C'était un leitmotiv de l'exécutif. Dans son projet de délibération fixant la programmation des réformes fiscales à venir, le gouvernement assurait, en décembre 2021, que ses actions s'articuleraient notamment autour de la "lutte contre les inégalités". Il s'agissait alors "d'assurer une meilleure équité du système de prélèvements obligatoires entre les contribuables" et de chercher "un juste équilibre entre la fiscalité des revenus issus du travail et celle assise sur le patrimoine".
Un objectif ambitieux, basé sur un constat clair : les inégalités ne reculent que très lentement. En 2019, les 20 % de Calédoniens les plus aisés détenaient près de 44 % de l'ensemble des revenus. À l'inverse, les 20 % de Calédoniens les plus modestes n'en percevaient que 5 %. Autre statistique parlante : en 2019 toujours, le niveau de vie médian des ménages non-kanak (234 200 FCFP/mois) demeurait deux fois plus important que celui des ménages kanak (116 000 FCFP/mois).
L'augmentation de la CCS
Une situation à laquelle il faut ajouter l'inflation galopante que subit le Caillou depuis la crise sanitaire et le début de la guerre en Ukraine. "L'inflation contribue aux inégalités. Quand le prix d'un produit augmente, il augmente aussi bien pour les riches que pour les pauvres, mais cette augmentation impacte plus durement les pauvres, notamment en ce qui concerne les produits alimentaires", souligne Gaël Lagadec, maître de conférences en sciences économiques à l'Université de la Nouvelle-Calédonie.
Malgré la volonté affichée par le gouvernement, les premières mesures adoptées ne paraissent pas aller dans le sens d'une réduction des inégalités. Tous les salariés, y compris les moins aisés, ont ainsi vu leur taux de CCS (Contribution calédonienne de solidarité) passer de 1 % à 2 %, l'idée étant d'apporter de nouveaux financements à la Cafat et à l'Agence sanitaire et sociale.
Dans son rapport rendu fin 2021, le cabinet d'étude DME estimait que cette mesure se traduirait "par une légère perte de consommation pour les ménages les plus modestes". Les autres ménages, quant à eux, absorberaient "le relèvement de la CCS par une baisse de leur épargne".
La fiscalité indirecte, facteur d'inégalités
Outre la CCS, la réforme fiscale a également accouché d'une augmentation de la taxe sur le tabac. Là encore, le rapport remis par DME alerte sur les conséquences possibles pour les ménages les plus modestes. Ainsi, il est attendu de la hausse sur le tabac qu'elle contraigne "les fumeurs les plus modestes à arbitrer sur les autres postes de consommation".
La réforme imminente de la TGC, qui devrait rapporter 4 milliards de francs supplémentaires, risque elle aussi de produire des effets similaires. "Les ménages les plus modestes sont les plus affectés par la mesure", notait la projection de DME fin 2021, lors de l'examen de la première version. Le cabinet ne s'était pas penché à l'époque sur la modification de la TTE (la taxe sur la transition énergétique), mais là encore, la mesure s'inscrit dans une optique de fiscalité indirecte.
"Le problème des impôts indirects, c'est qu'ils ne dépendent ni des revenus des ménages ni de leur situation géographique", souligne de son côté Samuel Gorohouna, maître de conférences en sciences économiques à l'UNC. "Si vous choisissez par exemple d'augmenter une taxe sur le carburant, cela pourra aussi pénaliser les habitants des régions isolées car ils doivent faire plus de route", complète-t-il.
"Il faut toutefois distinguer deux volets : il y a celui des taxes indirectes, moins justes que la taxation directe. Puis il y a le volet de l'utilisation des recettes collectées, qui peut amener une compensation par la redistribution", nuance le professeur.
"Lutter contre les injustices"
Une redistribution difficile à opérer tant que le budget n'aura pas été rééquilibré. Interrogé sur le sujet, Gilbert Tyuienon se défend d'écarter le thème des inégalités, qu'il considère comme "une ligne directrice". "On essaye de prendre en compte ce facteur du mieux qu'on peut", affirme le membre du gouvernement chargé de la fiscalité, qui cite notamment la réforme de la TGC.
Si la taxation des services va être revue à la hausse, "les taux sur l'alimentaire vont être abaissés à 3 %, ce n'est tout de même pas rien", souligne-t-il. Et de poursuivre : "À côté de ça, l'idée, c'est de travailler aussi sur les autres volets comme la modification à venir de l'impôt sur le revenu pour réintroduire plus d'équité et de progressivité."
Le maire de Canala insiste sur un autre point : la "lutte contre les inégalités" peut aussi s'interpréter comme la "lutte contre les injustices, sans forcément se pencher sur telle ou telle catégorie". La redevance sur l'extraction et la taxe sur l'exportation minière s'inscrivent dans cette optique.
"On avait des entreprises qui exploitaient une ressource naturelle du pays et qui ne payaient rien", rappelle Gilbert Tyuienon, avant de conclure : "Avec toutes les aides dont elles bénéficient dans ce secteur, c'était normal qu'il y ait un minimum de contribution. Qu'une partie de cette redevance soit fléchée vers les communes minières, ça fait partie de la lutte contre les injustices".