Ça se passe depuis le 7 et jusqu’au 16 septembre. Les Journées nationales d’action contre l’illettrisme mettent en lumière une problématique loin d’être rare dans le pays et pourtant encore tabou. Mais aussi les solutions qui existent pour accompagner celles et ceux qui en souffrent dans leur quotidien, y compris au travail.
1C’est quoi, l’illettrisme ?
Difficultés à écrire, à lire, à compter mais aussi à se repérer dans le temps et dans l’espace… Voilà la définition que donne l’ANLCI, l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme on parle d’illettrisme quand quelqu’un, quand bien même il a été à l’école, n’a pas une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base, pour être autonome dans les situations simples de la vie courante. Comme faire les courses, retirer de l’argent à un distributeur, lire la notice d’un appareil, prendre un médicament, suivre la scolarité de son enfant, calculer des quantités, lire une consigne de travail, ou des règles de sécurité. Ou encore remplir une attestation de déplacement pendant la crise Covid.
C’est à différencier de l’analphabétisme, qui désigne des personnes qui n’ont jamais été scolarisées. On parle aussi d’innumérisme, pour la non maîtrise des nombres. Ou d’illectronisme, pour la difficulté à utiliser les appareils numériques et l’informatique.
2Ça fait quoi ?
Alexandre a 41 ans. Depuis petit, il était pénalisé par son illettrisme. “Il y a des jours, je me sentais différent, parce que des enfants de cet âge-là savaient lire, compter, et moi je ne savais ni lire ni compter. Ni écrire.” Il a fallu apprendre à s’adapter, au quotidien. Un exemple ? “Mes parents m’ont dit : ‘Faudrait que tu passes le permis. ‘ ‘Mais comment je vais faire ? Je sais pas lire.’ Ils m’ont dit : ‘On va t’aider.’ Ma mère me lisait les questions. J'ai fait la même chose avec le [permis] poids-lourd. L'un, c'était ma mère et l'autre, c'était mon père." Alexandre a décidé de retourner à l’école, en quelque sorte. Jean-Pierre, bénévole à la Croix-Rouge, le suit depuis deux ans. Par exemple en lui apprenant à remplir un chèque.
Un témoignage à découvrir dans ce sujet de Nina Clément, Claude Lindor et David Sigal
"Ma difficulté, c'est quand je vais faire des papiers à la Cafat, à la banque, par exemple", racontait John lors d’un précédent reportage. "J’étais serveuse et je faisais de tête, confiait Yvonne dans un autre. J’avais des petites techniques pour ne pas montrer que je suis dans ce problème-là." Pour contourner les obstacles et cacher une situation dont on a honte, les personnes en situation d’illettrisme développent d’autres savoir-faire. Ce qui rend d’ailleurs la chose difficile à repérer.
3Combien de Calédoniens sont concernés ?
L’importance du phénomène a été évaluée par une enquête IVQ ("information vie quotidienne") réalisée en 2013 par l’Isee, Institut de la statistique et des études économiques. Ses résultats ont montré qu’en Calédonie, l’illettrisme concerne plus de 29 000 personnes âgées de seize à 65 ans. Ça représentait à l’époque 18 % de la population, un taux très au-dessus de la France métropolitaine (7 %). Et 38 % des seize-65 ans étaient en situation d’innumérisme. Toujours selon cette enquête, les personnes en situation d’illettrisme étaient des hommes à 56 %. Presque la moitié (48 %) avaient un emploi, tous les secteurs d’activité étant concernés. Les deux-tiers vivaient en province Sud (65 %). Un quart (25 %) avaient entre 55 et 65 ans.
4Qu’est-ce qu’il en est, dix ans après ?
"On ne dispose pas malheureusement pas de données plus récentes", signale Marie Benzaglou, directrice de l’Emploi et du logement à la province Sud, la direction en charge de l’illettrisme. "Mais on continue à partir du postulat qu’un Calédonien sur cinq est en situation d’illettrisme, ce qui est extrêmement important." Une tendance est toutefois fournie par les tests de lecture et de compréhension pratiqués durant les Journées défense et citoyenneté. En 2018, sur 3 912 jeunes participant à la JDC, un sur trois rencontrait des difficultés dans le domaine de la lecture. La moitié d’entre eux avaient des difficultés sévères. Au final, 17,7 % pouvaient être considérés en situation d’illettrisme.
5Comment repérer une situation d’illettrisme ?
"On a commencé par sensibiliser nos agents", expliquait Marie Benzaglou ce mardi, dans le journal radio de midi. "On a mené des ateliers en interne mais aussi une formation, disponible pour tous les agents de la province Sud qui reçoivent du public et qui leur donne des petites ficelles. Cette personne peut être en situation d’illettrisme parce qu’elle vient faire sa démarche accompagnée par quelqu’un qui va remplir son formulaire. Parce qu’elle nous dit : ‘J’ai oublié mon stylo ou je n’ai pas de lunettes, est-ce que vous pouvez remplir pour moi ?’. Il y a de petits signes, de stratégies de contournement, qui peuvent nous mettre la puce à l’oreille. L’idée, ce n’est pas de juger mais d’aider. Ce n’est pas une honte. Ce qui nous intéresse, c’est d’accompagner ce personnes pour les aider à progresser dans leur vie. Notamment les demandeurs d’emploi."
6Comment prévenir l’illettrisme ?
L'école joue un rôle primordial, dans la prévention. "L'idée, c'est de tout mettre en place, le plus tôt possible, pour permettre aux jeunes d'automatiser et de quitter le système scolaire avec ces compétences", estime Fanny de la Haye, maîtresse de conférence en psychologie cognitive à l’Inspé (c’est l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation). "Plus de la moitié des élèves de CE2 ne connaissent pas l'intégralité de leurs lettres de l'alphabet. Alors qu'on est sur un attendu de fin de cycle 1 : tous les élèves doivent quitter la maternelle en connaissant les 26 lettres de l'alphabet et en les reconnaissant dans les trois graphies." Les enseignants ne sont pas les seuls qui peuvent agir. "Le rôle de parent est capital, aussi. C'est à la maison qu'on peut se faire raconter des histoires, échanger autour des livres…"
Chargée de mission au gouvernement, Yolande Verlaguet a rédigé un rapport de cinquante pages sur l'illettrisme, qui a été remis à l’exécutif calédonien en mars 2021. "On a des enfants qui ne viennent pas suffisamment à l'école et pour tout apprentissage, il faut une régularité. Il faut poser les choses mais il faut aussi les rappeler", souligne-t-elle. En conclusion de ce rapport, la notion d’urgence. "Nous souhaitons une réelle prise de conscience de la situation de la population calédonienne en matière d’illettrisme et d’innumérisme. Cette prise de conscience, dont les alertes sont récurrentes ces dix dernières années, ne peut plus être différée. Elle appelle à l’action".
7Comment agir en entreprise ?
"L'illettrisme dans le monde professionnel, c'est vraiment une réalité", insistait Yolande Verlaguet cette semaine au micro de Marguerite Poigoune. "Il faut sortir des représentations. De se dire : ’C’est la faute de l'école’. ‘Ce n'est pas mon problème.’ ‘Ce n'est pas à moi, employeur de pallier à tout ça.’ Il y a vraiment une relation gagnant-gagnant à avoir. Si moi, employeur je travaille à la montée en compétences de ces salariés en difficulté, je vais gagner en productivité. Améliorer mon image, parce que j'aurai moins d'insatisfaction client, parce que j'aurai des salariés engagés, investis, autonomes. C’est un tout. Et redonner confiance à ces personnes est la première étape."
Le Fonds interprofessionnel d’assurance formation s’est impliqué sur le sujet. Un petit guide permet par exemple de comprendre les situations d’illettrisme au travail, et leur impact. Le Fiaf a aussi formé une quarantaine de "référents en compétences essentielles", afin de mieux identifier le phénomène, dans le public comme le privé, et proposer des remises à niveau. Pour les Journées d’action 2023, une campagne de sensibilisation a été déployée dans les entreprises, comme sur les réseaux sociaux.
8Des Journées d’action pour quoi faire ?
Depuis le 7 septembre, toutes sortes d'actions ont été proposées : jeu de coopération, ateliers numériques, concours de dictée… Et il en reste. Ce mercredi, un café citoyen est proposé à l'ancienne école communale de Touho, de 8h30 à 11h30 et de 15 heures à 16 heures. L'idée est d'échanger pour identifier des personnes prêtes à s'engager pour faire de la sensibilisation de proximité. A la bibliothèque Bernheim de Koné, un loto des livres a lieu ce mercredi de midi à 14 heures et de 15 heures à 16 heures. Il y a aussi, à 14 heures, l'heure du conte. Vendredi, c'est "Tu Koné joué?", une soirée jeux de 16 heures à 19 heures. A Nouméa, il reste plusieurs sessions du jeu d'évasion "Le Laboratoire" à l'espace jeunes de la province Sud, de 13 heures à 16 heures, mercredi, jeudi ou encore vendredi.
Illustration dans ce reportage de Thérèse Waïa et Carawiane Carawiane
A Koumac, la médiathèque propose le quart d'heure de lecture silencieuse mercredi, jeudi et vendredi, à 14h30. Jeudi, il y a aussi lectures partagées dans le hall de la mairie, de 8h30 à 11h30. A Kaala-Gomen, un café pédagogique est proposé à la médiathèque mercredi, à 14h30, pour parler "Illettrisme, réalité assumée ou fatalité". A Poindimié, à la bibliothèque Bernheim, atelier écriture de poésie syllabique jeudi, de 8h45 à 10h30. Enfin au Mont-Dore, à la bibliothèque du Pont-des-Français, foire aux livres et multimédias samedi, de 9 heures à 15 heures. Le film Un problème invisible en Nouvelle-Calédonie sera diffusé.
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