DOSSIER. Instabilité politique, suradministration, transferts de compétences : ce que dit le bilan de l'Accord de Nouméa [4/4]

Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, image d'illustration
Dans ce dernier volet de décryptage du bilan de l'Accord de Nouméa, zoom sur les crises gouvernementales, l'état de la fonction publique et les transferts de compétences. Trois sujets auxquels les rédacteurs du rapport, rendu public lors de la venue du ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, accordent d'intéressants paragraphes.

1Depuis 1999, il y a eu autant de gouvernements à Paris qu'ici

Des référendums binaires, pour ou contre l'indépendance, une répartition des compétences complexe ou encore le partage du pouvoir : plusieurs mesures prévues en 1998 sont sources d'inertie politique, le premier volet de décryptage du bilan de l'Accord de Nouméa le soulignait. Et les changements de gouvernement dans tout ça ? Depuis 1999, 17 gouvernements et 10 présidents de gouvernement se sont succédés. Pendant ce temps, en France, il y a eu 17 gouvernements, 10 premiers ministres et 4 présidents de la République. 

L'instabilité évoquée par certains Calédoniens n'est pourtant pas qu'une impression, souligne le cabinet CMI, auteur du bilan. Les alternances et les crises gouvernementales ont augmenté depuis 2009. Alors que les changements de tendance politique à la tête du gouvernement survenaient jusque-là suite à des élections provinciales (2004 et 2009), elles se produisent depuis de plus en plus souvent en cours de mandature (2011, 2015, 2021). 

La cause première d'instabilité semble être la dispersion croissante des forces politiques.

Bilan 2023 de l'Accord de Nouméa

La Nouvelle-Calédonie a par ailleurs connu "des périodes significatives (entre 3 et 4,5 mois) sans gouvernement et/ou président élu (2011, 2015, 2017 et 2021)". Après les cinq changements de gouvernement de 2011, la loi a été modifiée pour tenter d'y remédier : une liste ne peut plus faire tomber le gouvernement par des démissions collectives successives. Mais cette évolution n’a pas empêché d’autres crises gouvernementales. 

Pour les rapporteurs, "la cause première semble politique avec la dispersion croissante des forces politiques". La plupart des démocraties connaissent le même phénomène. Mais il ne se traduit pas toujours pas une instabilité telle qu'en Nouvelle-Calédonie. L'explication se trouve dans le fonctionnement des institutions. 

Au moment de l'Accord de Nouméa, le Congrès comptait deux groupes pour cinq partis. Désormais le nombre de groupe oscille entre quatre et cinq pour neuf à douze partis.

Quand l’Accord de Nouméa a été élaboré, le Congrès comptait deux groupes pour cinq partis. Les signataires de l'Accord de Nouméa n'avaient alors pas jugé nécessaire de prévoir une prime majoritaire par exemple, comme c'est le cas en Polynésie française. Maintenant que le nombre de groupes oscille entre quatre et cinq pour neuf à douze partis, cela aurait pu contribuer à stabiliser les majorités gouvernementales, pose le cabinet, lançant là une piste de réflexion pour les discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

2Trop de fonctionnaires, vraiment ?

Les transferts de compétences de l'Etat vers la Nouvelle-Calédonie ont-ils réellement conduit à une suradministration comme certains pouvaient le craindre ? C'est une autre question étudiée par le cabinet CMI. Réponse : non. "La fonction publique de Nouvelle-Calédonie compte 10 200 fonctionnaires fin 2022 contre 7 345 en 2005 mais la part de l’emploi public (fonctionnaires, contractuels de droit public et agents des organismes de sécurité sociale) dans l’emploi total a baissé", indique le rapport. En parallèle, comme envisagé, le nombre de fonctionnaires calédoniens dans l'emploi public a augmenté : les agents d’Etat étaient 18,5 % en 2003, 15 % en 2019. 

La Nouvelle-Calédonie enregistre un taux d'administration faible mais des "surrémunérations" élevées.

Autre indicateur pris en compte pour l'analyse : le "taux d'administration" de la Nouvelle-Calédonie. Il est plus faible que dans les autres départements et collectivités d'Outre-mer et que dans l'Hexagone. Mais les fonctionnaires d'Etat détachés en Nouvelle-Calédonie touchant la surrémunération la plus haute d'Outre-mer après la Polynésie, le bénéfice budgétaire est quasi nul. Les auteurs estiment à 33 milliards de francs le coût de cette majoration de salaire.

3Des compétences globalement bien assumées, mais...

L'émancipation devait passer par des transferts de compétences de l'Etat vers la Nouvelle-Calédonie. Dans la liste prévue par l'Accord de Nouméa, seule l'éducation est restée aux mains de Paris, le Congrès n'ayant pas demandé à la récupérer. Ces compétences sont toutes exercées sans "aucune carence manifeste", indique le bilan du texte de 1998. Avec plus ou moins de facilité... En cause, analysent les rapporteurs : l'absence d'études d'impact préalables pour évaluer d'une part les capacités humaines et financières, d'autre part les besoins d'un territoire de 270 000 habitants. 

Remarque importante alors que l'éventualité de nouveaux transferts de compétences est au coeur des débats sur l'avenir constitutionnel de la Nouvelle-Calédonie. 

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