DOSSIER. Bilan de l'Accord de Nouméa : le clivage politique était inscrit dans le texte [1/4]

L'accord de Nouméa à sa signature, et quelques mots de son préambule.
Pour sa troisième visite, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, est venu avec deux documents essentiels aux discussions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie : l'audit de la décolonisation et le bilan de l'Accord de Nouméa. Décryptage de ce dernier en quatre volets. A commencer par la politique.

L'Accord de Nouméa devait permettre de construire une "communauté de destin", quel que soit l'avenir institutionnel choisi. Vingt-cinq ans après sa signature, alors que les trois référendums d'autodétermination prévus par le texte ont été organisés, l'heure est à l'élaboration d'un nouveau statut. Et donc au bilan. L'Etat en a commandé un, réalisé par le cabinet CMI à partir d'évaluations précédentes, de données consolidées et de 48 entretiens menés avec des représentants de l'Etat, des décideurs calédoniens, des acteurs de l’enseignement, de l’économie, de la justice et du logement social ou encore des experts.

Présenté par le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer aux élus calédoniens le 1er juin, il est en ligne sur le site du haut-commissariat.

L’accord a paradoxalement contribué à entretenir le clivage politique que le destin commun était censé transcender.

Bilan de l'Accord de Nouméa

Sur le plan politique, parce qu'il prévoyait des "consultations binaires, l’accord a paradoxalement contribué à entretenir le clivage que le destin commun était censé transcender", analysent notamment les rapporteurs. Le texte comportait des ambiguïtés, sur le sens et les objectifs de l’émancipation, rappellent-ils. Pour les indépendantistes, il devait déboucher sur l’indépendance. Pour les non-indépendantistes, il devait redessiner les relations entre les communautés pour que la Nouvelle-Calédonie puisse rester dans la France. L'élaboration d'un projet commun aurait pu lever cette ambiguïté mais la nature des référendums prévus par l'accord ne l'a pas permis, concluent les auteurs du document.

Des causes d'inertie

Si "ce clivage politique n’a pas empêché la société calédonienne d’évoluer", l'augmentation "des personnes se déclarant de plusieurs communautés et/ou du métissage (8 % en 2009, 11 % en 2019)" le montre, il contribue à une certaine "inertie du processus de décision", voire à "une absence de décision politique sur certains sujets". Par exemple le transfert de la compétence éducation.

>> Lire aussi: "Retour de Gérald Darmanin en Nouvelle-Calédonie, les enseignements de son interview du dimanche 4 juin"

Deux autres facteurs d'inertie politique, inhérents à l'accord, sont également cités. La répartition des compétences entre les quatre pouvoirs (Etat, Nouvelle-Calédonie, provinces et communes), d'abord. "Dans plusieurs domaines, un seul échelon ne dispose pas de tous les leviers permettant de conduire une politique publique cohérente." L'environnement, l'éducation ou encore l'urbanisme se retrouvent ainsi entre plusieurs mains. Sans qu'aucun mécanisme formel d’ajustement ou de coordination n'ait été prévu par les signataires, note le rapport. 

Le partage des pouvoirs, érigé en principe, a aussi été montré du doigt par certaines personnes interrogées. Mais, c'est la seule critique émise envers une collégialité jugée largement bénéfique. 

Des institutions respectées

Elle apparaît en effet "comme un facteur déterminant de la reconnaissance de la légitimité des institutions et de leurs décisions, jusqu’au niveau technique, par les deux sensibilités principales. En ce sens, l’objectif de l’Accord de Nouméa a été atteint."

Attention cependant, préviennent les rapporteurs : le désaccord sur la définition du corps électoral spécial pour les élections provinciales "pourrait affecter à terme la légitimé des institutions", essentielle à la poursuite de la paix et de l'émancipation.

L'objectif de rééquilibrage politique, à travers l’accession des Kanak aux responsabilités, peut être considéré comme atteint.

Bilan de l'Accord de Nouméa

Le rééquilibrage politique en faveur des Kanak, rendu notamment possible par les modalités de répartition des sièges au Congrès (7 pour les Îles, 15 pour le Nord, 32 pour le Sud), participe également au respect des institutions, souligne le document. Combinée aux restrictions électorales, cette clé de répartition a même "eu pour effet de surreprésenter les provinces à population kanak majoritaire". 

Or, "l’accord n’ayant pas prévu de mécanisme d’ajustement pour tenir compte des évolutions démographiques, la question du niveau légitime et acceptable du rééquilibrage politique se pose désormais", mettent en garde les rapporteurs, évoquant une province Sud lésée. Ce, alors que "la majorité des Kanak (52 % en 2019) vit désormais en province Sud contre 39 % en 1996". 

Les cartes sont maintenant entre les mains des élus calédoniens et de l'Etat. 

A venir, ce mardi matin : le bilan économique de l'Accord de Nouméa.