"La position de la France est que la Nouvelle-Calédonie reste Française conformément aux trois référendums", a déclaré Gérald Darmanin devant les journalistes qui l'interrogeaient dimanche 4 juin, dans les studios de NC la 1ère.
Evocation de la Chine
"Il ne faut pas refaire le match tous les jours, a-t-il ajouté. En revanche, la France doit définir la place de la Nouvelle-Calédonie dans notre union nationale. Cette place est dans l'indo-Pacifique, défini par le président de la République." Et de développer : "Ce n'est pas pareil, bien sûr, d'être aujourd'hui la Nouvelle-Calédonie quand nous voyons parfois la prédation des Chinois, ce qui se passe dans le monde Pacifique, les retournements d'alliances politiques (…) Et puis peut-être donner plus d'autonomie à la Nouvelle-Calédonie pour rayonner régionalement."
"Une société très binaire"
Concernant le futur projet institutionnel à élaborer, "c'est à ceux qui voudraient considérer que l'autonomie d'aujourd'hui ne suffit pas de proposer un projet", indique le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer. "Mais ce projet, estime-t-il, ne peut être qu'inclusif de tous les Calédoniens, et de toutes les générations. Et on voit bien sans doute, dans ce qui s'est passé dans les trois dernières [consultations], que malgré les rapports positifs de l'Accord de Nouméa, malgré le travail démocratique qui a eu lieu ici, il y a toujours une société qui est très binaire, entre ceux qui veulent l'indépendance et ceux qui ne veulent pas l'indépendance."
"Et ça, souligne-t-il, c'est un échec pour nous tous. On doit réfléchir ensemble parce qu'après tout, vous vivez sur la même terre, vous avez les mêmes problèmes. Quand Ouvéa disparaît de la Terre parce que le réchauffement climatique est au rendez-vous, ce n'est pas une question d'indépendance ou de non-indépendance. Comment on travaille ensemble à ce que la Nouvelle-Calédonie soit moins clivée et que ce soit un vrai destin commun ?"
Je prends l'exemple du réchauffement climatique ou de la place des femmes. Ce n'est pas une question d'indépendance ou de pas d'indépendance. Comment on fait pour améliorer les choses ? On doit le faire sur le nickel. On doit le faire sur la place des femmes. On doit le faire sur la sécurité routière (…) On doit le faire sur les compétences (…) Est-ce qu'on ne peut pas, tout en respectant l'Accord de Nouméa, simplifier les compétences ?
Les indépendantistes transmettent leur vision de la décolonisation
Gérald Darmanin s'attarde sur "les sept critères que met l'ONU pour savoir si un pays est ou pas sous la colonisation. La France, affirme-t-il, remplit les sept, pour dire que nous sommes sortis de cette dépendance. Après, on doit encore discuter. La position du gouvernement n'est d'humilier personne. J'ai dit, notamment, à la délégation indépendantiste, qu'il fallait qu'ils nous disent - ce qu'ils m'ont d'ailleurs rendu comme document ce soir - ce qui correspond pour eux à la décolonisation complète."
Une dernière séance de discussion avait en effet lieu dimanche en fin d'après-midi, à Nouméa, au haut-commissariat. Comme annoncé, elle a eu lieu avec la délégation indépendantiste, dans le sillage de la rencontre bilatérale qui s'est tenue vendredi matin. Il a été question de la trajectoire institutionnelle du pays, du corps électoral. Mais aussi de deux nouveaux points. L'un, amené par les indépendantistes, concerne l'identité kanak. L'autre, posé par Gérald Darmanin, porte sur l'axe indo-Pacifique.
Bilan et audit
Certains non-indépendantistes ont émis le souhait que l'Etat demande le retrait de la Calédonie de la liste des pays à décoloniser. Est-ce à l'étude, ou est-ce que ça pourrait venir après un référendum de projet ? Gérald Darmanin répond en évoquant sa récente prise de parole à New York devant le comité C24. "On a rendu à la fois le bilan de l'Accord de Nouméa et l'audit de décolonisation", ajoute-t-il en évoquant les deux document, ô combien attendus, qui ont été présentés ce jeudi aux élus et rendus publics dans la foulée.
L'Accord de Nouméa, oui mais…
"On a vu, d'une part, qu'il y a eu beaucoup moins d'inégalités qu'il y a trente ans. Est-ce que les accords de Nouméa ont été efficaces ? Oui, parce qu'il y a moins de différences entre les gens d'origine kanak et les autres." En revanche, "on a vu qu'il y avait beaucoup de difficultés pour que la Calédonie puisse exister économiquement parce que sa croissance n'est quasiment le fait que de l'argent que verse l'Etat français. Quand on veut être autonome (je ne parle même pas d'indépendance), il faut d'abord accepter de vivre de sa propre richesse." Il enchaîne : "Le nickel, qui est une magnifique richesse, partout ailleurs ça marche, sauf chez nous."
Pour la France, il n'y a plus de colonisation en Nouvelle-Calédonie.
Un clivage à "dépasser"
Au détour de l'entretien, cette formulation : "Si demain, il y avait une nouvelle question, un nouveau projet, est-ce qu'il ne faudrait pas dépasser un peu ce 'camp indépendantiste, camp non indépendantiste' ? C'est la même terre pour tout le monde. Et il faut sans doute travailler ensemble, beaucoup plus que ne l'ont fait aujourd'hui les partis politiques de Nouvelle-Calédonie, et le travail de l'Etat, c'est d'organiser cela."
Droit à l'autodétermination
"Les Calédoniens ont choisi de rester Français, replace le ministre. La Nouvelle-Calédonie est dans la France. Il faut désormais donner un projet à la Nouvelle-Calédonie. C'est quoi être Français en Nouvelle-Calédonie ? Comment on peut encore améliorer le travail que fait l'Etat en Nouvelle-Calédonie ? C'est quoi l'axe indo-Pacifique et la place de la Nouvelle-Calédonie. C'est sûr…" Mais d'ajouter : "Ce n'est pas moi qui reconnaît un droit à l'autodétermination, c'est la Constitution de la République française (…) et la charte des Nations unies (…) Ce droit à l'autodétermination de tous les peuples d'Outre-mer, pas seulement de la Nouvelle-Calédonie, il faut savoir comment on l'exerce. Ça ne peut pas être demain puisque trois référendums viennent de se dérouler. Nous avons posé que d'ici deux générations, on puisse voir les conditions qui mèneraient à exercer ce droit (…)."
Les indépendantistes ont fait savoir que l'idée de garantir le droit à l'autodétermination à l'horizon d'une ou deux générations leur semblait un délai trop long. Quelle a été leur position à ce sujet durant la rencontre de ce dimanche ? "Ils m'ont dit : 'C'est trop long', rétorque Gérald Darmanin. Mais ça, c'est leur position. Je respecte la position du FLNKS mais ce n'est pas la position de l'Etat français. Sinon, ça ne sert à rien d'organiser des référendums."
"Pas sûr que le Oui ou Non ait été très efficace"
"Dans l'exercice du futur droit à l'autodétermination (dans longtemps, mais il faut évidemment le garantir), qu'est-ce qu'on veut poser comme question ?", a déclaré le ministre, dans la lignée du courrier adressé aux groupes politiques du Congrès. "Est-ce qu'on veut encore poser une question binaire, Oui ou Non? Pas sûr que le Oui ou Non ait été très efficace. Ce qu'a proposé l'Etat, c'est que celui qui veut poser la question propose un projet pour la Nouvelle-Calédonie. C'est très différent du Oui/Non. Ça demande sans doute de travailler et de réfléchir davantage, et de convaincre davantage, une très grande majorité de Calédoniens." Bref, un référendum de projet, plus qu'un référendum d'autodétermination ? "C'est la proposition qu'a fait l'Etat. Nous attendons des réponses. J'ai constaté que les indépendantistes n'avaient pas dit 'Non' à la proposition. Ils n'ont pas encore dit 'Oui'".
"Droit de pétition"
Gérald Darmanin s'interroge : "Est-ce que c'est toujours les élus du Congrès qui doivent déclencher [le] référendum ? J'ai entendu beaucoup de Calédoniens, dans mes trois déplacements, notamment des jeunes, qui disaient : 'Ces questions, elles nous dépassent. C'est fini. Désormais, on veut parler d'autre chose et surtout, on veut avoir notre mot à dire.' Peut-être qu'il faut un droit de pétition ?"
Pas de "petit tour de vis" présidentiel
Si les discussions actuelles perdurent, doit-on s'attendre à ce que le chef de l'Etat arrive, avec un accord dans ses valises ? "Le président de la République viendra très certainement en Nouvelle-Calédonie", répond Gérald Darmanin. "Il suit particulièrement nos discussions (…) je rentre, lundi soir, à Paris. Dès le lendemain, je le verrai pour lui rendre compte de mon déplacement. Mais le président de la République, il a à la fois des choses à dire sur la place de la France en Nouvelle-Calédonie, sur l'Histoire parfois douloureuse qui s'est déroulée ici et il va encourager les discussions. Mais ce n'est pas lui qui va, avec son petit tour de vis, mettre fin à des discussions. Il va cependant réaffirmer que, si nous n'avançons pas, alors l'Etat, lui, avancera."
>> Lire aussi: "Avenir institutionnel : selon Gérald Darmanin, les indépendantistes acceptent de discuter d'un corps électoral glissant pour les provinciales"
Corps électoral
"Je crois qu'on a pris ce temps de la réflexion, considère le ministre. A la fin du mois d'août, on se reverra une sixième fois et j'ai toujours dit qu'on tiendrait les élections provinciales en 2024 (…) j'ai dit aux indépendantistes et aux non-indépendantistes : 'Je suis venu avec l'esprit de dialogue (…) mais au bout d'un certain temps, si personne ne veut bouger, je bougerai et nous prendrons nos responsabilités pour changer le corps électoral.' Je crois que ça a été entendu et qu'il vaut mieux un bon consensus, bien évidemment. C'est ce que nous sommes en train de travailler."
Aujourd'hui, les indépendantistes ont fait un grand pas puisqu'ils ont accepté l'idée de parler de ce corps électoral glissant, de faire rentrer des gens dans cette liste électorale qui était bloquée depuis très longtemps et qui était un scandale, et ils ont proposé dix ans [comme durée minimale de résidence].
"Ce qui compte, dit Gérald Darmanin, c'est que ce corps électoral soit désormais dégelé. On va évidemment faire quelques études au haut-commissariat et sans doute, fin août, nous mettre d'accord sur le modus operandi."
Je rentre à Paris aujourd'hui et nous saisirons le Conseil d'Etat cette semaine pour connaître la méthode juridique pour pouvoir modifier [le] corps électoral. Mais quoi qu'il arrive (…), la politique, c'est que la prochaine fois, aux élections provinciales de 2024, les onze mille natifs qui ne peuvent pas voter, pourront voter pour les provinciales, et que les gens qui seront depuis entre sept et dix ans, on verra bien, sur le sol calédonien, puissent désormais voter.
"J'ai dit trois choses sur ce corps électoral, a détaillé Gérald Darmanin :
- 1, il y a onze mille natifs, kanak ou non kanak, qui ne peuvent pas voter parce que les règles sont absurdes. Tout le monde a l'air d'accepter, y compris les indépendantistes, que ces onze mille personnes entrent dans le corps électoral des provinciales.
- 2, il faut qu'on regarde les choses désormais pour que la liste électorale des provinciales et la liste électorale des référendums puissent être plus simplifiées (…)
- Troisièmement, que l'on passe d'un corps électoral figé à un corps électoral glissant. C'est-à-dire que des gens qui restent depuis un certain temps en Calédonie puissent voter. J'ai proposé sept ans. Les non indépendantistes avaient dit, dans quelques interventions, trois ans ou cinq ans. Les indépendantistes proposent dix ans."
Objectif : les trilatérales
"On a réussi à débloquer des situations, estime donc le ministre. Chacun, désormais, est d'accord pour discuter de l'ouverture du corps électoral pour les provinciales de l'année prochaine." Gérald Darmanin qui annonce avoir demandé à ses interlocuteurs politiques calédoniens que "la prochaine fois que nous nous voyons, sans doute fin août, quand on les invitera à Paris, indépendantistes et non-indépendantistes, on puisse enfin tenir des trilatérales".
Triple entretien
Rappelons qu'au terme de sa troisième visite en Nouvelle-Calédonie en seulement six mois, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer était reçu au sein des studios de NC la 1ère à Nouméa, dans le cadre d'une édition spéciale du journal télévisé. Il était interrogé par notre journaliste Thérèse Waïa ainsi que nos collègues Elise Washetine de Caledonia et Elizabeth Nouar de Radio Rythme bleu, sur le premier bilan à tirer de ce déplacement avec Jean-François Carenco, ministre délégué aux Outre-mer.