Voilà trente-cinq ans, la Calédonie vivait le point culminant de ce qu'on a appelé les Evénements. Ce fut l'affaire d'Ouvéa, avec l'attaque de la brigade de Fayaoué par des militants indépendantistes kanak. La prise de 27 gendarmes en otages. Puis l'assaut donné à la grotte de Gossanah afin de libérer les militaires encore détenus, et sa conclusion sanglante. Un terrible épisode, lourd de vingt-cinq morts et plusieurs blessés, entre le 22 avril et le 5 mai 1988. Parmi les tués, quatre gendarmes, deux parachutistes du 11e Choc et dix-neuf indépendantistes. Les forces de l’ordre ont été accusées d’exécutions sommaires.
Le contexte actuel
Depuis, il y a eu la poignée de mains entre leaders des camps opposés. Les accords de paix signés à Matignon le 26 juin et à Oudinot le 20 août. Leur prolongation par l'Accord de Nouméa le 5 mai 1998, et les trois consultations sur l'autodétermination qu'il prévoyait. En cette fin 2023, l'attention se porte sur la suite à donner, et sur les discussions politiques devant permettre d'écrire l'avenir institutionnel, alors que persiste la revendication de pleine souveraineté.
L'apparition d'une distinction
Dans l'intervalle, une distinction a été créée, suite aux attentats de 2015 sur le sol français. La Médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme "rend hommage à ceux qui sont tués, blessés ou séquestrés lors d'événements terroristes". En 2020, elle est sollicitée pour plusieurs gendarmes qui ont subi le drame d'Ouvéa. Réponse négative de la justice. Le tribunal administratif de Montpellier est saisi.
Le double refus
Le 13 juillet 2023, les demandeurs sont encore déboutés. Raisons invoquées à ce double refus :
- les faits dont les gendarmes ont été victimes n'ont pas été qualifiés d’actes terroristes par les autorités judiciaires ;
- l'action publique est déclarée éteinte. Les violences comme celles-ci, survenues en Calédonie avant le 20 août 1988, tombent sous le coup de l’amnistie.
Avocat au barreau de Lille, Manuel Gros contre-argumente. Il évoque ainsi des situations jugées similaires, dont les protagonistes ont eu la médaille. Me Gros représente notamment six gendarmes qui se sont pourvus devant la Cour administrative d’appel de Toulouse. Leur recours doit être examiné courant 2024.
L'importance pour les requérants
La procédure a-t-elle une chance d’aboutir, vu l’ampleur politique du sujet ? L’avocat assure que les requérants ne nourrissent pas d'arrière-pensée envers les indépendantistes kanak, mais plutôt envers leur propre hiérarchie. "La Nouvelle-Calédonie n’est pas du tout en cause dans l’histoire. C’est son histoire indépendantiste", a-t-il déclaré à Emma Jaconelli, pour Outre-mer la 1ère. "Autant il est très important pour ces six gendarmes d’avoir cette médaille, autant ce ne serait pas un geste trop difficile, à mon avis, pour l’État de [la] leur accorder. En plus, il n’y a pas d’argent en jeu."
La "rancœur" tournée vers l'institution
"Dans les rapports humains entre les familles concernées, ça va bien", ajoute le conseil. "Certains d’entre eux ont un contact réel. Ils vont régulièrement là-bas (…). C’est plutôt un problème avec leur hiérarchie et avec l’état-major." Et de souligner : "Ils ont tous fini adjudant ou un truc comme ça, alors que si vous regardez le cursus, ils auraient dû finir commandant ou capitaine, tous. Ils ont ça sur le cœur. Cette médaille a pour eux une valeur symbolique mais derrière, il y a aussi toute une rancœur. Ils ont été harcelés."
Un combat judiciaire raconté par le quotidien Le Figaro le 12 décembre, et suivi depuis plusieurs années par la presse spécialisée autour de la gendarmerie (dans cet article ou encore celui-là).