Les accords de Matignon-Oudinot observés trente-cinq ans après

Depuis le 26 juin 2022, une statue commémore à Nouméa ces accords et cette poignée de main.
Une date majeure dans l'histoire contemporaine de la Nouvelle-Calédonie, symbolisée par une poignée de main entre deux leaders opposés et par le retour à la paix. Le 26 juin 1988, à Paris, un accord était conclu à l'hôtel de Matignon entre les délégations indépendantiste et non indépendantiste, sous l'égide de l'Etat. Puis complété par un autre, signé rue Oudinot. Récit, et regards.

Que le regard porté sur cet épisode historique soit bienveillant ou critique, trente-cinq ans après, la Nouvelle-Calédonie vit dans l'héritage de ce qui a émergé le week-end des 25 et 26 juin 1988 à Paris. 

Pourquoi ces accords ?

L'Histoire de France retient les accords de Matignon signés en 1936, ceux qui ont ouvert la voie à davantage de droits pour les travailleurs. Puis, un demi-siècle plus tard, d'autres accords sont négociés pour tenter de sortir la Nouvelle-Calédonie de l'impasse violente dans laquelle elle se trouve. Ces "Evénements", pour ne pas dire cette guerre civile, qui connaît un paroxysme avec le drame d'Ouvéa. La brigade de Fayaoué attaquée, quatre gendarmes tués, de nombreux autres pris en otages et l'assaut donné à la grotte de Gossannah qui s'achève par la mort de dix-neuf Kanak et deux militaires.

Comment sont-ils préparés ?

Une mission du dialogue conduite par Christian Blanc est dépêchée en Calédonie par le gouvernement Rocard pour tenter de trouver une solution en renouant les fils de la parole. Elle compte un pasteur protestant, un chanoine catholique et un ancien dirigeant franc-maçon, ainsi qu'un spécialiste du droit et deux anciens préfets qui connaissent le Caillou. Les six hommes rencontrent des centaines d'interlocuteurs.

Qui représente la Calédonie ?

Par la suite, ce n'est pas sur place, mais à Paris, qu'une délégation d'indépendantistes et une délégation représentant les défenseurs de la Calédonie dans la France se retrouvent à chercher une issue à la situation. Sous l'égide de l'Etat incarné notamment par Michel Rocard. Côté loyalistes : Jacques Lafleur, Jean Lèques, Maurice Nenou, Dick Ukeiwé, Henri Wetta, Pierre Frogier, Pierre Bretegnier, Robert Naxué Paouta. Côté indépendantistes : Jean-Marie Tjibaou, Yeiwené Yeiwené, Caroline Machoro, Edmond Nekiriai et Nidoish Naisseline. 

Qu'est-ce que ça signifie ?

Les négociations finales durent de longues heures, entre le samedi 25 et le dimanche 26 juin. Elles s'achèvent par le fameux accord issu de Matignon et resteront symbolisées par l'idée de la poignée de main entre les deux chefs de délégation, Jean-Marie Tjibaou président du FLNKS et Jacques Lafleur président du RPCR. Ici, devant les caméras :

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Ecoutez le Premier ministre Michel Rocard dans cette archives de l'Ina  :

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Cet accord est suivi le 20 août par un autre signé rue Oudinot, au ministère des Départements et territoires d'Outre-mer. D'où l'expression "accords Matignon-Oudinot". Ces documents posent une période transitoire de dix ans, de développement et de rééquilibrage, avec des garanties à l'adresse de la population kanak, avant que la Calédonie ne se prononce sur son autodétermination. Avec à la clé, une nouvelle organisation institutionnelle. 

En quoi consistait le référendum du 6 novembre ?

Le 6 novembre 1988, ils seront approuvés par les électeurs français lors d'un référendum - marqué par une forte abstention. 79,99 % des suffrages exprimés répondent Oui à la question : "Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 ?" Ces accords seront prolongés par l'Accord de Nouméa, le 5 mai 1998. 

Qu'en retiennent les signataires ?

Il ne reste qu'un tiers des treize personnalités calédoniennes qui composaient les deux délégations. Dont Caroline Machoro-Reignier, la seule femme, et Pierre Bretegnier. Thérèse Waïa et Carawiane Carawiane ont recueilli leurs souvenirs et leurs impressions. Elle, retient la difficulté et le "pari sur l'intelligence". Lui, raconte le passage de la très grande tension, au soulagement.

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Que dit la population ?

“On ne voit pas trop le changement”, dit l’un. “C’est beaucoup de changement”, estime l’autre. Avis partagés, au moment de commenter ce qu’il reste de la poignée de main… Paroles recueillies à Koné et à Nouméa par Brice Bachon, Maurice Violton, Nathan Poaouteta et Ismaël Waka-Ceou.

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Qu'en est-il ressorti ? 

La Calédonie porte encore les fruits des accords de Matignon-Oudinot. Les infrastructures routières, les trois provinces ou encore le dispositif 400 cadres, devenu Cadres avenir.  

Mais ce que les historiens soulignent avant tout, c’est la notion de paix. "Pour les Calédoniens, l'armistice, c'est le 26 juin 88", résume Olivier Houdan. “Ça a été accueilli avec soulagement, formule quant à lui Luc Steinmetz, parce que ça a été vraiment la conclusion de la paix et l'espoir de la paix retrouvée en Nouvelle-Calédonie."

Quelle façon de marquer cette date ?

Le sujet est abordé de façon régulière mais à ce jour, la date du 26 juin n’est pas fériée comme celle du 24 septembre. En revanche, depuis l’année 2022, la poignée de main est matérialisée au cœur de Nouméa, sur un espace rebaptisé place de la Paix, par une statue monumentale de Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou. Son premier anniversaire a donné lieu samedi 24 juin à une cérémonie coutumière, en lien avec le festival Caledonia +687 qui s’est tenu dans la foulée. Un événement qui entend porter les valeurs de ces accords et de ce geste. 

Quel écho politique en 2023 ?

Autre rendez-vous en lien, la conférence-débat inédite organisée par le FLNKS lundi soir à Nouméa, compte-rendu à lire ici. La fin de cette journée anniversaire a aussi été marquée par un communiqué “35 ans d’accords, et après ?”, émanant du groupe les Loyalistes et signé par Sonia Backès. Estimant que “la poignée de mains est bien loin”, il attaque “la gestion indépendantiste, à la tête de quatre institutions sur cinq”, estimant qu’elle “ne cesse de bafouer la parole donnée”. Et de conclure : “A l’heure où les discussions sur le futur statut de la Nouvelle-Calédonie sont en cours, cette journée du 26 juin nous oblige, chacun d’entre nous et quelle que soit sa formation politique, à retrouver l’essence même de cette poignée de mains : celle d’un avenir qui nous invite à vivre en toute égalité, liberté et surtout fraternité.”