Les sept militants indépendantistes transférés dans l'Hexagone ont commencé à être entendus au tribunal de Lyon. C'est la première fois, depuis leur mise en examen. Des auditions menées par l’une ou l’autre des deux juges, basées à Nouméa, qui ont fait le déplacement. Les juges d’instruction ont pour mission d’enquêter en amont des futurs procès. Interpellés en Calédonie à la mi-juin, soupçonnés d’avoir orchestré les émeutes, ces membres de la CCAT, la Cellule de coordination des actions de terrain, sont incarcérés en détention provisoire ou assignées à résidence sous surveillance électronique. Toujours loin du Caillou. Entre-temps, Christian Tein, considéré comme le leader de la CCAT, a été désigné président du FLNKS.
Pour leur avocat, François Roux, il était urgent que ses clients puissent s’exprimer devant la justice. Entretien avec Tessa Grauman, d'Outre-mer la 1ère.
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Outre-mer la 1ère : Maître Roux, vous vous êtes déplacé à Mulhouse, auprès de Christian Tein. C’était pour préparer son entretien avec la juge d’instruction ?
François Roux : Lui, doit comparaître devant la juge d’instruction de Lyon le 26 septembre. Comme pour tous les prévenus, les prisonniers, je me rends d’abord à la prison, pour faire le point avec eux, et voir quelle réponse ils souhaitent apporter aux interrogatoires. Puisque la juge d’instruction, comme elle le leur dit, est chargée d’instruire à charge et à décharge [c'est-à-dire en cherchant à la fois des preuves de l'innocence et de la culpabilité]. Il est normal, pour les avocats que nous sommes, de faire le point avec nos clients avant les auditions.
Dans quel état d’esprit se trouve Christian Tein ?
F.R. : Lui, comme les autres, sont très déterminés à s’expliquer, et notamment à expliquer qu’ils se considèrent comme des prisonniers politiques. Ils sont totalement innocents des gravissimes faits dont on les accuse, et ils comptent bien s’en expliquer. Et puisqu’ils n’ont pas commis les faits qu’on leur reproche, alors ils sont là pour quoi ? Sinon, comme prisonniers politiques ?
Vous et vos confrères êtes plutôt bien disposés à la perspective que tous vos clients puissent rencontrer les juges d’instruction…
F.R. : Clairement. Ils sont là depuis plusieurs mois, sans avoir pu être entendus. Il était plus que temps que la justice leur donne la parole. Ils ont refusé, pour la plupart, et ils avaient bien raison, de s’expliquer en garde à vue, puisqu'en garde à vue, on n’instruit pas à charge ou à décharge. Ce n’est pas l’objectif de la garde à vue. Donc oui, ils ne demandent qu’à s’exprimer devant un juge, pour lever beaucoup, beaucoup de malentendus. En attendant, ils sont des prisonniers, dans des situations souvent très inconfortables. Plusieurs sont encore à l’isolement. Donc il faut que cela cesse le plus rapidement possible.
Pour nous les avocats, ils sont vraiment des prisonniers politiques.
Maître François Roux
Je rappelle que leur engagement politique se situe totalement dans le cadre, prévu par la loi, de la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie, de la résolution 1514 des Nations unies qui autorise cette décolonisation et qui dit que l’État, la puissance administrante, ne doit pas utiliser la force et la répression contre les personnes qui cherchent à se décoloniser. J’aimerais que tous nos concitoyens réalisent ce que c’est que d’être enfermés dans des prisons de la France métropolitaine parce qu’on a voulu exercer son droit à la décolonisation.
Combien de vos clients ont-ils déjà été entendus par les juges d’instruction, lesquels et comment cela s’est-il passé ?
F.R. : Les deux mamans [Frédérique Muliava et Brenda Wanabo-Iepze] ont été entendues. Je ne peux pas vous en dire plus mais c'était très important, que la juge entende les mamans raconter les conditions inhumaines, inacceptables, dans lesquelles elles ont été gardées à vue, enchaînées au mur la nuit pour dormir, le bras en l’air, et transportées pendant trente heures dans un avion, menottées, même pour aller aux toilettes, la porte ouverte. Indigne. Inadmissible.
Donc elles ont pu, oui, s’exprimer devant le juge, dire ce qu’elles avaient ressenti. À l’arrivée, dans les prisons, après avoir vécu ce qu’elles ont vécu, fouille à corps. On vous met à nu et on vous expertise, par tous les endroits, pour voir si vous cachez quelque chose. Voilà ce que mon pays a fait à ces mamans, et à ces papas.
Il est plus que temps qu'un juge qui instruit à charge et à décharge soit informé de tout ça. Il est plus que temps, que toutes ces personnes puissent rentrer dans leur pays.
Maître François Roux
Pour l’instant, seules les deux mères de famille ont été entendues ?
F.R. : Plus deux autres mis en examen. Christian Tein sera le troisième, parmi les papas, et il y en a encore deux autres la semaine prochaine.
Combien de temps en moyenne l'entretien dure-t-il ?
F.R. : Entre trois et quatre heures.
Y en aura-t-il d'autres ?
F.R. : Oui ! Qu'ils soient ou non remis en liberté rapidement, tant que le dossier ne sera pas terminé, il y aura forcément d'autres interrogatoires.
Comment se passent ces entretiens, dans un bureau prêté par le tribunal de Lyon ?
F.R. : C'est une instruction tout à fait normale. Avec une magistrale qui a préparé avec beaucoup de professionnalisme son audition, en reprenant les éléments du dossier. Et qui pose les questions nécessaires et qui permettent aux accusés d'apporter les réponses qui manquaient dans ce dossier. Voilà. La juge redit à chaque audition qu'elle est là pour instruire à charge et à décharge.
Les conditions dans lesquelles se passent les auditions vous semblent donc convenables ?
F.R. : Elles sont plus que convenables, elles sont tout à fait dans la norme prévue dans le code de procédure pénale.
Que va-t-il se passer ensuite ?
F.R. : Nous avons fait ce qu'on appelle des demandes d'actes, qui sont extrêmement importantes. Vous me permettrez de ne pas en parler tout de suite. En tout cas, les conséquences peuvent être extrêmement importantes. Nous attendons les décisions que prendront les juges.