La coutume dans les institutions calédoniennes [1/3] : une longue quête de reconnaissance

A l’heure où se discute l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, les représentants du monde coutumier, au premier rang desquels le Sénat, veulent peser dans les discussions et dans les futures institutions [1/3]. Il faut dire que leur rôle a longtemps été minimisé et instrumentalisé, avant d’être reconnu par les accords de Matignon puis de Nouméa.

Le 31 mars dernier, le Sénat coutumier donnait mandat à l’Instance autochtone de discussions pour porter la parole coutumière et défendre "un projet de société du peuple kanak qui donne toute sa place à la coutume et à l’identité kanak", expliquait son président, Victor Gogny.

Pour le Sénat, pas de doute, les discussions ne peuvent avoir d'autre base que les acquis de l’Accord de Nouméa, dont les institutions coutumières.

Des "conseils des grands chefs" connus mais niés par la colonisation

Car à l’échelle de l’histoire moderne de la Calédonie, la reconnaissance de la coutume au sein des institutions est très récente. Si, dès les débuts de la colonisation, plusieurs textes font référence à l’existence des "conseils des anciens", l'administration coloniale ne s'appuie pas pour autant sur eux.

Ainsi, dès 1867, le gouverneur Guillain institue, dans un arrêté du 24 décembre, la "tribu" comme unité politique dirigée par un chef. A sa tête, se trouve "un grand chef, à qui sont adjoints des chefs de village et des conseils qu’il choisit parmi les plus influents", sans plus de précision. Et lorsque, 30 ans plus tard, le gouverneur Feillet installe les grands chefs, le 24 octobre 1897, puis le service des affaires indigènes, le 9 août 1899, autour des grands chefs de district, toute mention à un conseil des anciens a disparu. "L’interface du chef suffit à l’administration", écrit le chercheur Michel Naepels dans un chapitre de l’ouvrage collectif La coutume kanak  dans l’Etat.

Si, après la révolte kanak de 1917 et la Première Guerre mondiale, un rapport de 1919 évoque la possibilité d’instituer des  "conseils de tribu", s’inspirant de ces conseils des anciens, cette réforme ne verra jamais le jour et il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que l’idée d’un conseil coutumier ne ressurgisse.

Un débat ouvert avec la fin de l’Indigénat

Avec la fin du régime de l’Indigénat, la revendication d’une représentation coutumière au sein des institutions émerge très rapidement. Dès 1946, les mouvements politiques confessionnels kanak évoquent la question, parallèlement aux demandes d’émancipation politique. Ainsi, l'Union des indigènes calédoniens amis de la liberté dans l'ordre (Uicalo) demande  "que le chef ait un conseil élu par ses sujets", tandis que l’Association des indigènes calédoniens et loyaltiens français (AICLF) propose de "rétablir le conseil des anciens qui examinerait avec le chef toutes questions concernant le bien de la tribu".

La reconnaissance officielle du conseil des anciens au niveau tribal fait partie du programme de Maurice Lenormand en 1951, et débouche même sur un projet législatif en 1958 - qui ne verra jamais le jour - prévoyant que ce conseil soit élu pour une durée de deux ans, "suivant les règles coutumières".

Mais il faudra attendre le 10 décembre 1981 pour que deux délibérations reconnaissent le rôle coutumier. D’abord, au niveau des clans, dans la "délibération relative au conseil du clan et au conseil des chefs de clan", mais aussi avec la création par l’assemblée territoriale du "Conseil national des grands chefs". Ce qui ne va pas sans contestation, aussi bien du côté du loyaliste Dick Ukeiwé que de l’indépendantiste Nidoish Naisseline, dubitatifs sur ce passage de l’échelon local à l’échelon du territoire.

Les aires et le Sénat, acquis des différents accords

En 1983, la table ronde de Nainville-les-Roches, où le tout jeune Conseil des grands chefs est représenté par son président Hilarion Vendegou, envisage la création d’une seconde chambre, à la fois coutumière et communale, aux côtés de l’assemblée territoriale. L’option ne sera pas retenue par les accords de Matignon-Oudinot, qui entérinent en 1988 la création d’un conseil consultatif coutumier et créent les huit aires coutumières que l’on connaît actuellement, dotée chacune d’un représentant, désigné "selon les usages de la coutume".

Dix ans plus tard, c’est sur cette même base des aires coutumières que naît le Sénat coutumier, composé de 16 membres, deux par aires, "obligatoirement consultés sur les sujets intéressant l’identité kanak". Mais qui, au fil des années, a de lui-même considérablement élargi ses prérogatives en proposant en 2014 une "charte des valeurs du peuple kanak" ou encore un "plan Marshall pour sauver l’identité kanak" deux ans plus tard. Bien loin du simple rôle consultatif, le Sénat coutumier entend désormais devenir force de proposition à part entière et que cette prérogative soit inscrite dans le prochain statut du territoire.

La coutume dans les institutions calédoniennes [2/3] : le bilan mitigé du Sénat coutumier

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