La coutume dans les institutions calédoniennes [3/3] : Sénat, Inaat… des représentants divisés

Hippolyte Sinewami-Htamumu, lors de son intronisation comme président du Sénat coutumier, le 30 août 2019, à Nouméa.
A l’heure où se discute l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, les représentants du monde coutumier veulent peser dans les futures institutions [3/3]. Mais depuis quelques mois, l’activisme affiché d’Inaat ne Kanaky, qui rassemble les grands chefs du territoire, divise.

La question est revenue inlassablement, dans les tournées organisées par l’Instance autochtone de discussions (IAD), portée par le Sénat coutumier et les conseils d’aire, pour présenter son projet d’avenir : mais qui est donc Inaat ne Kanaky et quel est son but ?

Une association

Née lors du dernier congrès du pays kanak, qui s’est tenu à Canala en septembre 2022, Inaat ne Kanaky est une association présidée par Hippolyte Sinewami-Htamumu, grand chef du district de La Roche, à Maré. Son objectif ? "Représenter la coutume et l’identité kanak lors des discussions futures qui vont se tenir pour l’avenir du pays", écrivait l’association en mars dernier. 

Les grands chefs reçus par Darmanin

Quelques semaines plus tard, une délégation était reçue à Paris, par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin. Et ce, au moment-même où l’Instance autochtone de discussions présentait son propre projet dans les aires du pays. "Inaat, ils sont allés à Paris, mais quel est le travail qu’ils ont porté puisque les travaux sont en cours ? Qu’est-ce qu’ils sont allés dire ?", interrogeait alors un responsable coutumier. Avec, en filigrane, l’inquiétude de voir le travail effectué passer à la trappe, le projet d’avenir du Sénat coutumier devant être validé lors du prochain Congrès du pays kanak, en août. "Le risque, c’est que ce soit eux qui soient pris en compte", imagine un autre. 

Car si Inaat est une simple association, elle estime avoir une légitimité supérieure aux institutions coutumières "pensées dans le but de représenter la parole coutumière auprès des institutions de la Nouvelle-Calédonie et de l’État", et dont les membres ont été "désignés par les clans, les chefferies, les districts et les grandes chefferie", organisations traditionnelles qui existaient avant la colonisation.

Le soutien d’Inaat à Vhemavhe mal vécu

Et c’est en vertu de cette autorité auto-proclamée qu’Inaat est intervenue en février dernier pour réclamer le maintien de Hughes Vhemavhe à la présidence du Sénat, dont il avait été destitué à la suite de son arrestation pour conduite en état d’ivresse. Une ingérence mal vécue par le Sénat coutumier, lui-même sous le feu des critiques, en raison des faits reprochés à Hughes Vhemavhe.

Mais c’est semble-t-il l’organisation, fin mai, à la tribu d’Azareu à Bourail, d’une assemblée générale d’Inaat ne Kanaky devant notamment évoquer "la vision autochtone et le projet de l’identité kanak", ainsi que "l’organisation et la mobilisation des autorités et institutions coutumières", qui a mis le feu au poudre.

Le Sénat coutumier prend position

Si le Sénat coutumier avait déjà informé lnaat ne Kanaky qu’il ne reconnaissait pas l’association, l’institution prend alors position, publiquement cette fois, et de manière cinglante, via l’Instance autochtone de discussions : accusés de "récupération et d’appropriation des travaux de réflexion conduits par le Sénat coutumier",  les membres d’Inaat seraient à la recherche "d’une légitimité pour dominer et imposer leur vision personnelle".  

Pour l’IAD, "les leaders d’Inaat, dont les grands chefs de La Roche et de Hienghène, prenant prétexte de la crise, qu’ils ont entretenue […] se sont érigés en force alternative pour supplanter le Sénat coutumier et l’IAD". Enfin, pointent Mahé Gowé et Yvon Kona, les portes-paroles de l’Instance, "en dehors de l’IAD et du Sénat coutumier, personne n’est habilité à parler au nom des coutumiers et des institutions coutumières".

L'enjeu du calendrier

Les sénateurs coutumiers l’assurent, ils ne remettent pas en cause l’autorité des grands chefs. Dans le projet qu’ils portent, un conseil national des grands chefs, "garant de l’unité et de la cohésion", préside tous les quatre ans une "assemblée du peuple kanak", chargée "d’évaluer périodiquement l’évolution de la coutume et de la société kanak et calédonienne". Mais ce schéma ne devait prendre place qu’une fois entériné un nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie, et une fois l’ensemble des instances coutumières confortées.

Inaat ne Kanaky a décidé de ne pas attendre, l’association prévoit d’organiser la première assemblée du peuple kanak en septembre. Le congrès du peuple kanak, qui réunit une fois par an les aires pour désigner le président du Sénat coutumier, aura lieu, lui, les 25 et 26 août. Entre-temps, une visite du président de la République, fin juillet, et de nouvelles discussions à Paris sur l’avenir institutionnel, un mois plus tard, sont programmées. Reste à savoir si les coutumiers, qui revendiquent leur place à la table des négociations, réussiront à parler d’une seule voix.

La coutume dans les institutions calédoniennes [1/3] : une longue quête de reconnaissance

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