Ils sont cinq grands chefs ou représentants de grands chefs à avoir fait le déplacement. Venus à Paris pour faire entendre leurs voix en marge des discussions bilatérales sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, les coutumiers sont restés un peu plus d’une semaine.
"On est venus pour demander notre place à la table des discussions", résume Hippolyte Sinewami-Htamumu, le grand chef de La Roche, dans les îles Loyauté. Notre volonté, c’est la prise en compte des autorités coutumières. On est venus apporter notre vision, la vision culturelle kanak."
Sans avoir été invités à la table des discussions par l’État, ils veulent peser dans les débats en multipliant les rencontres politiques. Les coutumiers ont été reçus par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin. La délégation a aussi rencontré le ministre délégué aux Outre-mer, Jean-François Carenco, mais également la loyaliste Sonia Backès, secrétaire d'État à la Citoyenneté et présidente de la province Sud, le sénateur LR Pierre Frogier, des représentants de partis de gauche ou encore l'assistant parlementaire de Marine Le Pen.
Pour clore son séjour parisien, la délégation coutumière a fait une coutume d'au revoir à la Maison de la Nouvelle-Calédonie, dans le centre de la capitale.
Deux droits parallèles
La coutume est un ensemble de règles et de rituels qui organisent la société kanak. Il n’existe pas une, mais des coutumes. "Chaque chefferie est souveraine, chaque chefferie a ses particularités. Sur les îles Loyauté, il y a une façon de gérer la coutume, et sur la Grande Terre une autre", explique Hippolyte Sinewami-Htamumu.
En Nouvelle-Calédonie, le droit commun et le droit coutumier cohabitent. Ce pluralisme juridique tient compte des procédures coutumières et permet aux Kanak de vivre selon leur culture. La loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie du 19 mars 1999 précise que "les personnes dont le statut personnel (…) est le statut civil coutumier kanak (…) sont régies en matière de droit civil par leurs coutumes". Dans les faits, pour les personnes de statut coutumier, c’est le droit coutumier qui s’applique –et non la loi classique- en cas de litiges concernant le foncier, les affaires familiales (mariage, divorce ou reconnaissance des enfants par exemple) et les questions de succession. Plusieurs dizaines d’audiences coutumières ont lieu chaque année en Nouvelle-Calédonie.
Pour qu’un enfant relève automatiquement du statut coutumier kanak, il faut que ses deux parents aient ce statut. Les enfants de couples mixtes acquièrent le statut de droit commun à la naissance, mais peuvent changer de statut. Il est par ailleurs possible, au cours de la vie, d’abandonner le statut coutumier pour passer au statut de droit commun.
Préserver le statut coutumier et les institutions
Le statut coutumier est un acquis de l'accord de Nouméa. L’objectif des chefs coutumiers présents à Paris en cette fin avril est de préserver cet acquis, quitte à le faire évoluer. "Ça tend vers l’évolution, mais on veut garder ce statut particulier, c’est notre identité qui est en jeu", insiste Hippolyte Sinewami-Htamumu.
Peu importe l’issue des accords, peu importe la nouvelle constitution demain, il faut que la vision coutumière soit reconnue.
Hippolyte Sinewami-Htamumu, grand chef de La Roche
Autre enjeu : pérenniser les institutions coutumières. Au-delà de l’instauration de deux droits parallèles, les accords de Matignon ont également créé un conseil consultatif coutumier, devenu "Sénat coutumier" lors de la signature de l’accord de Nouméa en 1998. L’institution est composée de 16 membres qui représentent les huit aires coutumières du territoire. Le Sénat coutumier peut émettre des avis sur les lois concernant les signes identitaires de la Nouvelle-Calédonie (choix du drapeau, sélection des figures sur les billets de banques etc.), le statut coutumier ou les terres coutumières. Environ 23% des terres de Nouvelle-Calédonie sont des terres coutumières : ces terres ne peuvent pas être vendues, mais il est possible de les louer.
Apolitisme affiché
La délégation coutumière venue à Paris se voit comme "une force de proposition", à même d’apporter "de la stabilité", selon Hippolyte Sinewami-Htamumu. "Quand on parle de la coutume, on ne parle pas de partis politiques", explique le grand chef de La Roche, qui cherche à faire "le tour des partis politiques, les partis non indépendantistes aussi".
Nous avons notre couloir de discussion, les partis politiques ont le leur. On n’est pas pour l’un ou contre l’autre. Dans nos chefferies, on a aussi des familles, des clans, qui sont loyalistes ou indépendantistes.
Hippolyte Sinewami-Htamumu, grand chef de La Roche
Membre du Sénat coutumier, Hippolyte Sinewami-Htamumu est également président du Conseil national des grands chefs. Créée en septembre dernier, l’instance se veut plus représentative car elle inclut les 62 chefferies du territoire. Si le Sénat coutumier a été associé aux groupes de travail mis en place par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer après la convention des partenaires en octobre dernier, le Conseil national des grands chefs n'a pas été convié. Mais rendez-vous a été pris avec le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, lors de sa prochaine visite sur le Caillou, courant juin. Hippolyte Sinewami-Htamumu espère également pouvoir rencontrer Emmanuel Macron cet été, si le président se rend comme prévu sur le Caillou.
En attendant, le combat pour la reconnaissance de l’autorité coutumière passe aussi par l’international. "On a eu des rencontres avec des juristes internationaux, notre position, c’est de parler aussi à l’international", explique le grand chef de La Roche, qui devait se rendre à l'ONU cette semaine mais qui, par manque de temps, s'est envolé directement depuis Paris pour la Nouvelle-Calédonie.