Avenir de la Nouvelle-Calédonie : les clefs pour comprendre les discussions qui s'ouvrent à Paris

Entrée de la Première ministre Elisabeth Borne avant la Convention des partenaires sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, en octobre 2022.
Alors qu'il devient urgent de doter la Nouvelle-Calédonie d’un nouveau statut, la Première ministre et le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer rencontrent les représentants des partis indépendantistes et non-indépendantistes à Paris à partir du mardi 11 avril.

Indépendantistes et non-indépendantistes calédoniens ont rendez-vous à Paris pour discuter de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Les délégations doivent rencontrer la Première ministre, Elisabeth Borne, et le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin. Ces rencontres avec l'État sont une nouvelle étape du processus d'autodétermination entamé à la fin des années 1990, lors de la signature de l'accord de Nouméa.

À la veille des rencontres, la 1ère revient sur quelques éléments essentiels de ce processus.

L'urgence à agir

L'accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998, a été conçu pour offrir un statut temporaire à la Nouvelle-Calédonie. Il est le prolongement des accords de Matignon, négociés dix ans plus tôt pour mettre fin aux violences qui ont endeuillé le territoire dans les années 1980.

Alors que certains considèrent que l'accord de Nouméa est rendu caduc par la tenue du dernier référendum d'autodétermination, en décembre 2021, d'autres estiment qu'il peut s'appliquer jusqu'à ce qu'un nouveau statut soit entériné. La question doit être réglée rapidement, puisque les prochaines élections provinciales sont prévues en mai 2024.

Le calendrier pour ébaucher un nouveau compromis politique est très serré, d’autant que l’accord de Nouméa a valeur constitutionnelle : pour modifier le statut de la Nouvelle-Calédonie, il faut changer la Constitution, ce qui oblige à réunir les parlementaires en Congrès à Versailles et réunir la majorité des 3/5e des suffrages exprimés. 

Il y a urgence, mais depuis le dernier référendum, les discussions entre indépendantistes et non-indépendantistes ont cessé. En octobre dernier, les deux camps ont été invités à discuter à Paris par la Première ministre, mais les indépendantistes du FLNKS ont décliné l’invitation. Des discussions ont bien eu lieu lors de la visite de Gérald Darmanin sur le Caillou en mars, mais jamais à trois. Si indépendantistes et non-indépendantistes ont accepté de venir cette semaine dans la capitale, les rencontres devraient rester bilatérales, les deux parties échangeront a priori séparément avec les membres du gouvernement.

Les trois référendums

L'accord de Nouméa prévoyait l'organisation, en 2018 au plus tard, de référendums sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Si les électeurs rejetaient l'accès à la pleine souveraineté, un autre vote pouvait être demandé, et ainsi de suite jusqu'à la troisième consultation.

Un premier référendum s'est tenu en 2018. Le "Non" à l'indépendance l'a emporté, avec 56,67% des suffrages. En 2020, lors de la deuxième consultation, le "Non" l'emporte à nouveau, avec 53,26% des voix. Le troisième et dernier référendum s'est tenu le 12 décembre 2021. Cette fois, le "Non" l'a emporté à 96,50%. Les partis indépendantistes, qui avaient appelé leurs électeurs à ne pas voter, ne reconnaissent pas la légitimité du scrutin. Au contraire des non-indépendantistes, qui considèrent que la tenue de ce vote met un point final au chapitre ouvert par l’accord de Nouméa.

La question du gel du corps électoral

La Nouvelle-Calédonie est un territoire multiculturel où se côtoient Kanak, Européens, Wallisiens... Si les Kanak forment la première communauté du territoire, ils restent minoritaires et représentent environ 40 % des habitants. L'accord de Nouméa a pris en compte cette spécificité.

Les indépendantistes kanak estimaient que, même si des élections démocratiques étaient organisées, ils ne pourraient pas faire entendre leur voix dans la mesure où le peuplement colonial les a rendus minoritaires sur leur propre territoire. L'accord de Nouméa offre un compromis : le gel du corps électoral. Concrètement, pour atténuer le poids du peuplement récent et permettre aux Kanak de peser dans les décisions politiques, le corps électoral pour les élections provinciales et les référendums d'autodétermination est resté figé en 1998.

Pour pouvoir voter aux élections provinciales, qui déterminent ensuite la composition du Congrès et du gouvernement local, il faut avoir résidé en Nouvelle-Calédonie entre 1988 et 1998 ou être l'enfant d’un parent qui remplissait ces conditions. Ces modalités restrictives écartent environ 40 000 électeurs de ces scrutins. À noter qu'un enfant né en Nouvelle-Calédonie après 1998 de parents ne disposant pas de la citoyenneté calédonienne en est également privé. Les conséquences sont très concrètes. Non seulement les habitants de Nouvelle-Calédonie qui n'ont pas la citoyenneté calédonienne ne peuvent pas voter lors des provinciales, mais la loi calédonienne impose une priorité locale à l’emploi : à compétence égale, un employeur doit embaucher en priorité le candidat calédonien.

Pour les non-indépendantistes, qui estiment que les dispositions de l'accord de Nouméa sont caduques depuis le dernier référendum, le corps électoral doit s'ouvrir. Au contraire, les indépendantistes du FLNKS considèrent le gel du corps électoral comme une ligne rouge non négociable. Du côté du gouvernement, on veut réformer le système. "Nous tiendrons les élections à l'heure en mai 2024 avec un corps électoral qui sera modifié", assurait Gérald Darmanin en mars dernier.

Droit à l'autodétermination, clef de répartition et poids des provinces

Au-delà de l'épineuse question du corps électoral, de nombreux autres sujets clivent indépendantistes et non-indépendantistes. Se pose notamment la question du degré d'autonomie à accorder aux différentes provinces.

Sur le territoire, les dotations de l'État ne sont pas versées proportionnellement à la population. La province Nord et celle des îles Loyauté, majoritairement kanak, reçoivent la moitié des dotations alors que seuls 25 % des habitants y vivent. Cette répartition, négociée pour permettre un rattrapage économique des provinces à majorité kanak, est remise en cause par le camp non-indépendantiste, qui souhaite rééquilibrer les dotations en faveur de la province Sud, bien plus peuplée. 

Enfin, les indépendantistes continuent de revendiquer un droit à l’autodétermination, droit que l'État français reconnaît. Mais ce que contient ce droit reste à définir. Il faut par exemple négocier les conditions à réunir pour déclencher un nouveau référendum d’autodétermination.

Les discussions, qui débutent mardi 11 avril à Matignon, doivent durer jusqu’au vendredi 14.