La coutume dans les institutions calédoniennes [2/3] : le bilan mitigé du Sénat coutumier

Le sénat coutumier, à Nouville.
A l’heure où se discute l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, les représentants du monde coutumier veulent peser dans les futures institutions [2/3]. Leur rôle semble amené à évoluer alors que le Sénat coutumier lui-même tire un bilan en demi-teinte de ses 25 ans d’existence.

Le Sénat coutumier veut prendre son avenir en main, alors qu’indépendantistes et non-indépendantistes doivent discuter des contours du futur statut de la Nouvelle-Calédonie, ouvrant la voie à une refonte des institutions issues de l’Accord de Nouméa. 

Le 12 juin dernier, la chambre de Nouville lançait ainsi un "appel à contribution des personnes ressources", pour "apporter leur expertise de façon à faire émerger (…) des politiques publiques de l’identité kanak". 

En avril, ce sont deux "pirogues" qui ont parcouru le pays, du Nord au Sud et d’Est en Ouest, pour présenter dans chaque aire la "vision autochtone et le projet de société" portés par le Sénat coutumier et les conseils coutumiers à travers à l’IAD, l’Instance autochtone de discussions, dans le cadre, là encore, des discussions sur le futur statut du territoire. 

Un rôle consultatif, qui laisse le Sénat sans réels moyens d’agir 

Car les sénateurs eux-mêmes le disent, le bilan des 25 ans d’existence du Sénat coutumier n’est pas totalement satisfaisant. "Les institutions coutumières sont sans réelles compétences", constatent-ils dans leur projet de société. 

"Les sénateurs ont reproché une certaine lenteur au gouvernement et au Congrès dans le traitement des dossiers de l’identité kanak", confirme Sylvain Pabouty, président de la commission de la législation et de la réglementation relative aux affaires coutumières au Congrès. "Donc, ils se sont mis, à un moment donné, à produire leurs propres textes, comme sur la dévolution successorale ou le congé coutumier. Mais, comme leur rôle n’est que consultatif, on était bien obligé de renvoyer au gouvernement, qui lui-même a sa vision des choses et ses propositions. Au final, personne n’est réellement satisfait. » 

Le Sénat coutumier a également tenté d’agir au plus haut niveau dans les politiques publiques, comme en 2009 et 2016 où il est intervenu en Comité des signataires pour proposer des mesures à intégrer aux contrats de développement. "Aucune n’a été reprise, que ce soit par l’Etat, la Nouvelle-Calédonie, les provinces ou les communes", regrette le Sénat. Un échec d'autant plus cuisant qu'il est souvent enjoint de se saisir du problème de la jeunesse. Or, parmi les projets éconduits, figurait le "plan Marshall", une série de propositions visant la jeunesse, l'éducation et la lutte contre la délinquance.

Ce qui fait dire aux sénateurs que, "au cours des six mandatures des accords de Matignon et de Nouméa, les attentes exprimées par les institutions coutumières et les chefferies n'ont pas été prises en compte dans les politiques publiques." 

Un mode de désignation contesté 

Si les sénateurs estiment ne pas avoir les moyens d’agir, leur légitimité est régulièrement remise en cause. Représentent-ils la coutume et donc les chefferies ou les personnes de statut coutumier ?  

"Il y a eu un mélange des genres, pense Sylvain Pabouty. Lorsqu’il est créé en 1998, le Sénat coutumier, ce n’est que la représentation de l’identité kanak, ça n’a rien à voir avec un conseil des grands chefs. Pourtant, certaines aires ont choisi d’envoyer leurs grands chefs." C’est par exemple systématiquement le cas pour les aires de Maré et Lifou.  

Il faut dire que l’Accord de Nouméa prévoyait que, dans un premier temps, chaque aire désigne ses représentants selon "les us et coutumes", tout en laissant ouverte la possibilité d’une élection des sénateurs, à partir de 2005.  

Une solution qui n’a pas été retenue par les intéressés, relate Sylvain Pabouty, qui travaillait alors avec la membre du gouvernement en charge des affaires coutumières. "Pour des grands chefs, se faire élire, ce n’était pas envisageable. Et puis 'us et coutume', c’est vague, cela permettait à chaque aire de faire comme bon lui semble."

En 2017, une première crise sérieuse a vu les aires drehu et nengone se disputer la succession de Joanny Chaouri, et dégradé la légitimité de l’institution, qui a mis plusieurs mois à retrouver un fonctionnement normal.  Mais la dernière en date, qui a vu Hughes Vhemavhe, soutenu par des grands chefs, tenter de se maintenir à la tête du Sénat malgré une condamnation pour conduite en état d’ivresse, a porté un coup sérieux à la crédibilité de l’institution. "Le Sénat a touché le fond, un fond abyssal", lançait alors Yvon Kona, son porte-parole, visiblement exaspéré. 

L’élection, ce n'est plus un mot tabou.

Jean Kays, membre du conseil de l'aire Xârâcùù

Les sénateurs seront-ils à l’avenir élus, leur garantissant une assise démocratique et non plus hiérarchique ? Si, en 2005, l’idée faisait l’unanimité contre elle, elle a fait son chemin au vu de ces rebondissements, bien malvenus alors que les coutumiers veulent leur place à la table des négociations. "Nous, en pays Xârâcùù, on a été jusqu’à l’élection, ce n'est plus un mot tabou", explique Jean Kays, membre du conseil d’aire. Il faut tirer le bilan du mode de désignation depuis 30 ans. Il y a toujours de la contestation des sénateurs donc nous, on est partis sur le mode électif. Reste à savoir quel serait le collège électoral.”  Plus tabou également, la modernisation de la représentation coutumière : la question des candidatures de femmes et de jeunes est elle aussi sur la table.

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