Monnaie de Yap (3/3): des sites bientôt inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO ?

Qu'est-ce qui a bien pu pousser des marins à tailler des monolithes de calcaire, et à les remorquer sur plus de 450 km en haute-mer, pour s'en servir comme monnaie d'échange? L'histoire de la monnaie de pierre lie étroitement l'île de Yap et les Palau.
Ces colosses de calcaire ramenés par les Yapais au prix de tant de sueur et de morts fascinent le monde. Beaucoup de musées dans le monde en possèdent un exemplaire, et plusieurs sites yapais et palauans sont en bonne voie de labellisation par l’UNESCO. 
L'épopée des chercheurs de pierre yapais (volet 1/3), rendue célèbre par les économistes (volet 2/3), pourrait être reconnue par l'UNESCO en juin 2018. Yap et les Palau vont déposer leur dossier de candidature d'ici janvier 2017.  
 

Yap: l'arrivée des colons marque la fin de la monnaie de pierre 

 
À 2000 km à l’est des Philippines, et 400 km au nord-est des Palau, les quatre îles de l’état de Yap se dressent au-dessus du Pacifique, montées sur des roches magmatiques. Gagil-Tamil, Yap, Maap et Rumung sont étroitement reliées entre elles par un récif corallien. À Yap, le calcaire n’existe pas, et ce matériau a fasciné des marins yapais en visite aux Palau. À un point tel qu'ils ont taillé des monolithes dans les falaises de calcaire des îles rocheuses de Palau et les ont ramenés sur Yap, où les colosses de calcaire sont devenus une monnaie d'échange. 
Des visiteurs intrigués par une pièce de monnaie yapaise, dans un musée américain.
Personne ne sait quand les Yapais se sont mis à tailler des monolithes pour faciliter leurs échanges. « On ne sait pas à quel siècle les premiers monolithes ont été taillés, on ne peut pas dater la pierre au carbone 14 », souligne l’archéologue australienne Anita Smith. En l'espace de quelques siècles peut-être, les Yapais se sont échangés plusieurs dizaines de milliers de monolithes. Aujourd'hui, il en resterait environ 13 000. 
À partir des années 1800, les contacts se multiplient entre les Yapais et des explorateurs européens et américains. En 1869, les Allemands installent un comptoir sur Yap, puis ils rachètent les îles Caroline, dont Yap fait partie, aux Espagnols en 1899. L’arrivée des colons révolutionne le système de la monnaie de pierre.
Jusqu’alors, les Yapais creusaient les falaises de calcaire palauanes avec des coquillages ou des pierres aiguisés – ces monolithes-là sont plus précieux aux yeux des Yapais. Les Occidentaux leurs procurent des outils en métal, bien plus efficaces, et les aident à transporter les monolithes dans leurs grands bateaux. La production a augmenté. 
En 1919, les Japonais deviennent les nouveaux maîtres de Yap. « Les Japonais, et les Allemands qui les ont précédés, ont détruit beaucoup de monolithes, en les déplaçant, en les marquant à la peinture, en les utilisant comme ancres pour les bateaux, et puis pas mal de Yapais sont morts à cause du conflit contre la puissance coloniale et de la Seconde guerre mondiale. Tout cela a cause une rupture de la transmission du savoir sur ces monolithes », regrette Scott Fitzpatrick. Quand les Américains ont remplacé les Japonais aux commandes de Yap en 1945, le dollar a définitivement évincé la monnaie traditionnelle.
 

Classement à l'UNESCO: « cette fois-ci je suis à peu près sûre qu'ils réussiront »

 
Les quelque 13 000 pierres restantes n’ont pas été bougées depuis des siècles. La plupart du temps, on les retrouve dressées le long des places de danse, là où se déroulent toutes les activités culturelles du village. Plusieurs sites à Yap (États Fédérés de Micronésie), la banque de monnaie de pierre de Mangyol et l’île d’O’Keefe, ainsi que des carrières de calcaire des Palau - Uet el Daob ma Uet el Beluu et Chelechol ra Orrak, figurent sur la liste indicative du Patrimoine mondial. En 2010, peu convaincue par le plan de gestion de ces sites culturels, l’UNESCO a retoqué la candidature des deux pays à une inscription des sites de la monnaie de pierre sur la liste du Patrimoine mondial.

« Les États Fédérés de Micronésie et les Palau devraient renvoyer une nouveau dossier de candidature d’ici janvier 2017, et l’UNESCO rendra sa décision vers juin 2018 », prévoit Anita Smith, qui a aide les deux pays à monter leur dossier. « Je suis tellement ravie qu’ils reposent un dossier, et cette fois-ci, je suis à peu près sûre qu’ils réussiront, parce que la monnaie de pierre de Yap, c’est vraiment une histoire fabuleuse que le monde entier doit connaître. C’est un exploit humain, d’aller tailler ces monolithes et de les ramener sur des radeaux, pour cela il fallait aussi qu’ils maîtrisent les techniques pour fabriquer de solides pirogues, mais aussi les techniques de navigation traditionnelle, tout cela est compris dans la nomination des sites de la monnaie de pierre. »
De nombreux musées dans le monde possèdent un exemplaire de monnaie de pierre de Yap - entre autres: le Quai Branly, le British Museum, le MONA de Hobart. Plus surprenant: le musée de la Banque d'état du Pakistan expose un disque de calcaire yapais, à Karachi, la capitale.

Que changerait cette inscription au Patrimoine mondial par l’UNESCO ?

« Je ne sais pas si cela aurait beaucoup d’impact sur le tourisme parce que ça reste compliqué d’aller à Yap, prédit l'archéologue américain Scott Fitzpatrick. Après il y a sûrement un certain nombre de voyageurs qui choisissent leur destination en compulsant la liste du patrimoine mondial. En tout cas, l’inscription sur la liste permettrait d’offrir une reconnaissance internationale aux Yapais, et il y aurait plus d’intérêt pour percer les mystères de cette monnaie, sur la façon dont elle s’est développée dans la société yapaise. »