Les soins de premier recours ? L'expression désigne en quelque sorte le niveau initial de contact entre la population et le système de santé. Dans le rapport qui a été mis en ligne mardi 2 mai, la Chambre territoriale des comptes examine la façon dont ça se passe en province Nord, environ 50 000 habitants, depuis 2017. Ce qui met la loupe sur les centres médico-sociaux, toujours appelés les "dispensaires".
Un diagnostic sanitaire à actualiser
D'abord, la CTC estime qu'il faut actualiser le diagnostic sanitaire de la province Nord. "Un "territoire 'jeune', marqué par un vieillissement de la population et confronté au phénomène de transition épidémiologique", décrit-elle. "Cette transition s’accompagne d’une amélioration de l’hygiène, de l’alimentation et d’une transformation des causes de décès, les maladies infectieuses disparaissant progressivement au profit des maladies chroniques et dégénératives, et des accidents. Des pathologies en découlent comme le diabète, l’hypertension artérielle, les maladies respiratoires et les cancers."
Or "la province Nord suivait les principales pathologies le plus souvent rencontrées en centres médico-sociaux et centres mère-enfant jusqu’en 2014. La connaissance actualisée des pathologies de la population reste nécessaire pour dimensionner au mieux l’offre de soins et les actions de prévention."
Tumeurs et maladies de l'appareil circulatoire
On sait toutefois qu'en 2018, les deux causes de décès les plus fréquentes y étaient les tumeurs (des organes respiratoires, des organes digestifs, etc.) et les maladies de l'appareil circulatoire (maladies liées à l'hypertension, cardiopathies, affections cardio-pulmonaires, maladies cérébro-vasculaires…). Comme pour le Sud et les Îles. "Toutefois, la proportion des maladies de l’appareil circulatoire est plus élevée en province Nord que dans les autres provinces."
Des CMS sur tout le territoire provincial
Les centres médico-sociaux émaillent toute la province :
- quatre dans le Grand Nord (Belep, Poum, Ouégoa et Pouébo) ;
- quatre sur la côte Ouest (Koné, sachant qu'il est implanté depuis fin 2018 à l'hôpital, Kaala-Gomen, Poya et Voh) ;
- quatre sur la côte Est (Hienghène, Touho, Poindimié et Ponérihouen) ;
- trois sur la "côte minière" (Houaïlou, Canala et Kouaoua) ;
- mais aussi un centre mère-enfant à Poindimié ;
- un centre médico-social polyvalent à Koumac ;
- et deux centres médicaux secondaires (tribu de Bondé à Ouégoa et village de Népoui à Poya).
La seule commune à ne pas en avoir est Pouembout, vu sa proximité avec Koné. Ils sont gérés par la direction provinciale des Affaires sanitaires et sociales et des problèmes de société (DASSPS).
Mais un maillage "à revoir"
Mais la chambre note que l’implantation des CMS "est historique et ne résulte pas d’un diagnostic territorial de santé régulièrement mis à jour". En outre, pour les auteurs de ce rapport, la gouvernance de la DASSPS est perfectible. Ils pointent "les vacances prolongées de postes d’encadrement".
Perfectible, aussi, l'organisation des soins : elle "peut gagner en efficience en révisant les plages horaires d’ouverture des centres médico-sociaux au regard des besoins et en améliorant la permanence des soins ambulatoires par un dispositif de régulation centralisé permettant d’alléger les interventions en astreinte".
Entre 2019 et 2021, huit CMS sur quinze concentraient les trois-quarts de l’activité ! D'où ce conseil : revoir le maillage territorial des "dispensaires" pour tenir compte de la baisse globale d’activité et de la concentration de celle-ci sur certains pôles.
Une pénurie qui touche toutes les professions médicales
Autre remarque, bien connue : "certains centres médico-sociaux manquent de médecins." Sur les trente postes prévus, seuls neuf étaient pourvus au 30 mai 2022 et sept dispensaires n’avaient pas de médecin (Voh, Kaala-Gomen, Belep, Ouégoa, Pouébo, Ponérihouen et Kouaoua). "Les centres médico-sociaux qui sont pourvus en médecins n’ont qu’un seul médecin, qui peut être absent durant ses congés ou pour raison de santé. Cette répartition ne permet pas de constituer d’équipes robustes de médecins par centre médico-social et crée des difficultés de fonctionnement."
Dans ce rapport, la Chambre des comptes souligne plus largement que "la province Nord connaît un déficit de l’ensemble des professions médicales".
- Les généralistes : "92,1 pour 100 000 habitants en province Nord à comparer avec un ratio de 122,3 en Nouvelle-Calédonie et de 153 en France métropolitaine".
- Les spécialistes : "26,3 pour 100 000 habitants en province Nord pour un ratio de 114,5 en Nouvelle-Calédonie et de 185 en France métropolitaine".
- Et les autres, aussi bien en libéral que salariés : infirmiers, chirurgiens-dentistes, masseurs-kinésithérapeutes.
L’offre de soins en province Nord est restreinte. Elle est caractérisée par un manque de médecins généralistes et spécialistes, de chirurgiens-dentistes, de masseurs-kinésithérapeutes, d’infirmiers et dans une moindre mesure de sages-femmes. Ce déficit en personnel de santé s’explique, en grande partie, par un manque de personnels de santé libéraux.
Rapport de la CTC
Pour un recours aux médecins étrangers et aux infirmiers en pratique avancée
La vigie financière retient que des mesures spécifiques ont été prises ou sont en cours pour répondre à cette situation. Puisqu'il est devenu possible de recruter des professionnels contractuels qui n'ont pas forcément la nationalité française, elle "invite" la collectivité à passer par ce biais "pour relancer l’effort de recrutement sur les postes de médecins vacants en centres médico-sociaux".
Elle souligne aussi : "Une autre évolution réglementaire est en cours, celle permettant la mise en place d’infirmiers de pratique avancée pouvant prendre en charge certaines tâches actuellement dévolues aux médecins et libérant ainsi du temps médical." Et d'encourager la province "à faciliter la mise en œuvre de cette mesure".
Des conditions et un environnement de travail à améliorer
Le manque de personnel médical, résume la Chambre, "a été confirmé par une enquête menée en 2014 auprès des professionnels de santé, suivi du chantier 'attractivité du personnel médical en province Nord', ouvert en 2022." Selon ces études, les causes sont liées
- à des conditions de travail difficiles (surcharge, avec des astreintes et des gardes importantes ; forte rotation ; sentiment d'un manque de considération de la part de la direction provinciale ; isolement ; cadre de travail jugé imprécis ; manque de formation continue).
- et à l’environnement du lieu de travail (manque d'attractivité de certaines communes, logement souvent vétuste, difficultés d'intégration).
- Enfin, "des difficultés de recrutement de médecins peuvent s’expliquer en raison de l’attractivité de l’exercice en libéral ou hospitalier, en vacation ou en intérim plus intéressant tant au plan pécuniaire qu’en terme de temps de travail".
Un plan d’action a été élaboré afin de renforcer l’attractivité des postes de médecin. En entendant agir aussi bien sur le recrutement, l'accueil et l'accompagnement professionnel que sur les conditions de vie, la sécurisation des dispensaires comme des logements, ou la formation des cadres locaux. "La chambre invite la province Nord à en suivre la mise en œuvre dans les meilleurs délais."
La télémédecine et la médecine itinérante encouragées
Enfin, "la province Nord a commencé à développer la téléconsultation" pour pallier le déficit d’offre libérale de santé. "Avec des instruments permettant d’assurer des consultations à distance et de délivrer des diagnostics", relate la Chambre. "Elle a fait l’acquisition 'd’un chariot connecté', destiné à rester au sein du centre médico-social de Ponérihouen et de trois 'mallettes mobiles' destinées à Ouégoa, Pouébo et à la zone Houaïlou-Kouaoua." Province qui peut aussi avoir recours au développement de la médecine itinérante en déployant des infrastructures mobiles itinérantes. Des évolutions encouragées.
Paul Néaoutyine évoque des changements d'organisation…
Le président de la province Nord a répondu à ces observations. Dans un courrier daté de fin février, Paul Néaoutyine confirme "qu'un certain nombre de mesures, notamment de transformation et d'adaptation de notre organisation administrative, ont déjà été initiées". Il cite la délibération votée fin janvier sur l'organisation de la DASSPS. "Parmi les nouvelles dispositions, la création de quatre pôles : support, social, prévention et soins."
…des "Bureaux de proximité de soins"…
Mais aussi "le regroupement des quinze centres médico-sociaux en quatre Bureaux de proximité de soins (BPS), avec un pilotage managérial localisé, par bassin géographique." D'après le président de l'exécutif Nord, "cette nouvelle organisation permettra l'adaptation de l'offre de soins (médecine de ville, mais également soins d'urgence), à travers une gestion partagée entre plusieurs CMS. Le maillage territorial des centres médico-sociaux pour tenir compte de la baisse globale d'activité et de la concentration de celle-ci sur certains pôles est ainsi amorcée par la création de ces BPS."
Paul Néaoutyine évoque aussi le recrutement effectif d'un directeur. Ainsi qu'un diagnostic territorial actualisé de l'état de santé de la population qui "sera sollicité, en lien avec la Dass Nouvelle-Calédonie, et permettra d'établir une cartographie des risques régulièrement mise à jour".
…et des postes mieux pourvus
Concernant le recrutement médical, il cite encore plusieurs actions. "Les premiers résultats nous permettent d'observer un taux de couverture des postes de médecins passant de 36 % en juin 2022 à 63 % en février 2023." Soit dix-neuf postes de médecins généralistes en CMS occupés sur trente, dont deux par des praticiens itinérants.
On apprend également qu'un plan de sécurisation des "dispensaires" et des logements de fonction était alors en cours d'élaboration, en lien avec la gendarmerie et l'Etat. Il "donnera lieu à un audit des bâtiments publics, et un programme de travaux et d'investissement, sur deux ans (2023/2025), estimé à 150 millions, est co-financé sur le contrat de développement".