La province Sud relance une étude sur les grands requins

Requin tigre, image d'illustration
Cinq ans après une première tentative avortée, la Maison bleue annonce le lancement d’une nouvelle étude scientifique sur la population et les comportements des requins tigres et bouledogues. Ce projet, réalisé avec l’IRD et co-financé par l’Etat, sera déployé sur sept sites de la province Sud, où plusieurs attaques ont été recensées ces dernières années.

Leur présence est monnaie courante dans le lagon et pourtant, le comportement des requins tigres et bouledogues reste méconnu en Calédonie. Pour évaluer leur abondance et analyser leurs déplacements, la province Sud lance une étude "sur l'écologie des grands requins". Le projet, qui prévoit de suivre une centaine d'individus de chaque espèce, s'appuiera sur plusieurs outils. Tout d'abord, les squales vont être marqués puis relâchés en mer. Ils pourront être suivis grâce à la présence d'hydrophones déployés d'un bout à l'autre de la province Sud.

Prélever de l'ADN environnemental

Des caméras appâtées seront également installées pour mesurer la fréquentation de ces requins dans nos eaux. Enfin, nouveauté de ce programme : l'utilisation de l’ADN environnemental. "On va filtrer de l’eau pour collecter les bouts de cellules perdus par ces animaux, qui montrent qu’ils étaient présents, précise Laurent Vigliola, chercheur à l'IRD. Ça, c’est assez expérimental. En croisant ces trois technologies, on va essayer d’avoir une sorte de cartographie des endroits où ils seraient plus présents, suivant les saisons aussi."


Sept sites étudiés à la loupe

La présence et le comportement de ces requins seront scrutés depuis sept sites de la province Sud, de Prony à Bourail, en passant par le Grand Nouméa et Thio. L'étude doit se dérouler sur quatre ans pour un montant de 200 millions de francs, dont les trois quarts seront pris en charge par l'Etat. "L’objectif, c’est d’avoir des données scientifiques sur la présence des requins en province Sud afin de prévenir les attaques, telles qu’on les a connues ces dernières années", indique Gil Brial, deuxième vice-président de la province Sud.

Il s'agit de prévenir et protéger les Calédoniens, en ayant "une utilisation du lagon la plus objective possible", ajoute Gil Brial. La collectivité compte également s'inspirer de "ce qui se passe ailleurs, en Australie et en Afrique du Sud".


Une première étude abandonnée

L'idée de mieux connaître les requins tigres et bouledogues du lagon calédonien n'est pas nouvelle. En mai 2019, il y a cinq ans presque jour pour jour, une étude avait été lancée par la province Sud, la ville de Nouméa, l'IRD et le port autonome pour suivre les déplacements de ces deux espèces et évaluer leur abondance sur les côtes de Nouméa et Bourail.

Mais le projet a tourné court neuf jours plus tard, après l'attaque du jeune Anthony par un squale, dans la marina de Port-du-Sud, à Nouméa. Priorité a été alors donnée à l'abattage de tigres et de bouledogues pour "réduire le risque requin".


Des campagnes d'abattage systématiques

Cette politique dite de "régulation" des requins tigres et bouledogues s'est accentuée en 2023, au plus fort de la crise requin. En l'espace de trois semaines, entre le 29 janvier et le 19 février, trois attaques de squale surviennent sur les plages de Nouméa, dans un périmètre restreint : un véliplanchiste est attaqué à l'anse Vata, deux nageurs sont mordus au Château-Royal.

La dernière attaque s'avère mortelle : un touriste australien succombe à ses blessures. Des campagnes d'abattage de requins sont alors planifiées presque tous les mois. Plus de 120 tigres et bouledogues sont tués dans le lagon de Nouméa sur la seule année 2023.


Sur le terrain de la justice

Ces abattages systématiques sont aujourd'hui suspendus. Le collectif environnemental Ensemble pour la planète a obtenu gain de cause auprès du tribunal administratif, qui a annulé la décision de la mairie de mener ces campagnes, sans un minimum de connaissance scientifique.

Autre mesure retoquée, par la cour administrative d'appel de Paris, cette fois : le retrait des requins tigres et bouledogues de la liste des espèces protégées du code de l'environnement de la province Sud.

Mais ces deux décisions ne sont pas définitives : la mairie a fait appel et la province a déposé un pourvoi en cassation. "Il faut continuer à se battre et nous en sommes désolés parce que ce n'est ni dans l'intérêt des pouvoirs publics ni d'EPLP de guerroyer de cette façon, confie Martine Cornaille, la présidente du collectif. Il faut que les pouvoirs publics prennent acte des décisions de justice."


Une "grande nouvelle"

Pour EPLP, ce sont bien ces décisions qui ont poussé la province Sud à relancer une étude scientifique. "À chaque fois, les juges ont dit qu'au vu des circonstances d'ignorance dans lesquelles on se trouvait, on ne pouvait pas accepter les abattages systématiques, rappelle Martine Cornaille. On ne connaissait même pas la taille des populations originelles, ni les impacts de cette politique d'abattage."

Le lancement de cette nouvelle étude scientifique est donc "une grande nouvelle" pour Ensemble pour la planète. Même si le collectif déplore qu'elle "intervienne très tard". "C'est dès 2019 qu'il aurait fallu lancer ce genre d'étude, estime la présidente. Depuis, près de 240 requins ont été abattus. Je ne sais pas dans quelle mesure les scientifiques en tiendront compte dans leur étude."