Roch Wamytan, à propos des violences à Saint-Louis : "Ça ne sert à rien de mettre la pression, il faut savoir le contexte et poser des solutions"

Roch Wamytan, membre de l'Union Calédonienne, grand chef du district du Pont des Français et de la tribu de Saint-Louis.
Libération de la RP1, discussions au sein de la tribu de Saint-Louis, utilité du dispositif de "verrous" tenus par la gendarmerie… Autant de sujets évoqués par Roch Wamytan, grand chef de Saint-Louis, au cours d’un entretien accordé à NC la 1ère.

Comment venir à bout de la situation sécuritaire à Saint-Louis ? La question est au coeur des préoccupations des Calédoniens. Et en particulier des habitants du Mont-Dore Sud qui, depuis le début des émeutes, ne peuvent plus circuler librement en raison des agressions à répétition sur la RP1.

La problématique liée à cette portion de la route provinciale n’est pas nouvelle, mais elle a pris de l’ampleur ces quatre derniers mois. Jusqu’à nécessiter la mise en place par les gendarmes d’un dispositif de sécurité en amont et en aval de la tribu. Roch Wamytan, grand chef du district du Pont-des-Français et de la tribu de Saint-Louis, livre son point de vue. 

De longues heures de discussions au sein de la tribu 

Face à la montée des agressions perpétrées contre des gendarmes et des automobilistes, Roch Wamytan affirme que des actions sont menées en interne pour tenter d’apaiser les choses. Il évoque deux récentes réunions organisées avec les habitants de Saint-Louis parmi lesquels des "mamans", des autorités coutumières et politiques et bien sûr, de jeunes militants.

Début septembre, soit une semaine après le congrès du FLNKS, il est demandé à ces jeunes qui s’adonnent à des actes de violence avec armes, de libérer l’axe routier et de cesser de tirer sur les forces de l’ordre. Mais selon le grand chef, il est difficile de les raisonner. 

 C’était compliqué de leur expliquer qu’il fallait s’arrêter, maintenant.

Roch Wamytan

"On s’est dit qu’il fallait les laisser faire leur cheminement mental, psychologique, pour trouver des solutions. Une fois rendus [aux forces de l’ordre], il faudra qu’ils soient accompagnés [judiciairement] pour que ces jeunes ne soient pas livrés à leur sort. Eux, demandaient tout autre chose, c’est à dire de ne pas être poursuivis tant qu’on n’a pas commencé [nous, les leaders politiques] à discuter. Mais le procureur nous a dit que c’était impossible. Au cours de ces réunions, nous avons donc discuté du type de partenariat que l’on pourrait mettre en place à la faveur de ces jeunes." 

Des jeunes radicalisés après la prison 

Des jeunes constitués en une véritable "bande armée" selon les dires du commandant de gendarmerie, le général Matthéos qui affirmait récemment que "leur but est de tuer". Mais pour Roch Wamytan, cette situation trouve une explication dans le point commun que partage tous ces jeunes militants : l’expérience douloureuse de la détention, souvent dès l’adolescence.

"Il y a un mélange de revendications dans cette jeunesse qui s’est impliquée dans des actions violentes. Souvent, ce sont des jeunes qui ont été envoyés au Camp-Est à un jeune âge, suite à des incivilités. Cette prison a une capacité de 400 places mais 600 personnes y sont placées avec un taux d’occupation à 90-95 % par des Kanak ou des Océaniens. Lorsque ces jeunes sortent, ils sont radicalisés. Les conditions de détention et la politique judiciaire font que nous avons des difficultés à les encadrer quand ils sortent", déplore-t-il. 

Désaccords sur la stratégie politique 

Si la situation reste extrêmement tendue, y compris au sein de la tribu, la raison tiendrait à des désaccords entre cette jeunesse kanak et les responsables politiques indépendantistes. Ces responsables estiment, en effet, que depuis le 13 mai, le rapport de force s’est "élevé [en leur faveur]" et que le moment est venu pour les militants de terrain de laisser la place aux leaders politiques pour entrer en négociations.

"Ce qui bloque, c’est que des jeunes veulent aller au bout pour que naisse Kanaky (…) au delà de Saint-Louis, dans d’autres endroits, certains veulent aussi continuer la lutte jusqu’au bout c’est à dire jusqu’à la mort ou l’indépendance. (…) Nous essayons de leur expliquer que l’indépendance passera par des négociations."

Optimiste quant à une sortie de crise 

Pour le grand chef de Saint-Louis, tout est mis en œuvre pour sortir de cette crise. Les coutumiers du Mont-Dore, de l'Ile Ouen, accompagnés de responsables du FLNKS et de la CCAT mais également des représentants de l'Etat sont à la recherche d'une solution. 

Ceux qui devront répondre devant la justice répondront devant la justice mais il y a une volonté des responsables coutumiers de trouver une solution pour nos jeunes.

Roch Wamytan

"Je suis optimiste, on va y arriver" lance-t-il. Et de poursuivre : "je reconnais que les autorités avec lesquelles nous discutons font preuve de compréhension. Pourtant au début ce n’était pas évident. Ça ne sert à rien de mettre la pression, il faut savoir le contexte et ensuite poser les solutions pour résoudre ces conflits qui peuvent se résoudre… avec du temps.” 
 

"Les gens ne tirent plus, il n'y a plus de carjacking"  

Le leader indépendantiste réaffirme enfin sa volonté de voir la levée de ce qu’il nomme le "blocus" de Saint-Louis. Une situation injuste selon lui, qui l’avait conduit le mois dernier à saisir le tribunal administratif avant d'être débouté.

Mais Roch Wamytan persiste, "les gens ne tirent plus et il n’y a plus de carjacking". A cela s’ajoute les "1 500 personnes vivant dans la tribu et bloquées dans leur maison, et nous avons aussi 700 personnes originellement de la tribu qui sont en dehors de celle-ci et ne peuvent rentrer chez elles. Au total, plus de 2 200 personnes sont impactées par cette décision de l’Etat de fermer complètement cette portion de route entre Thabor et la Coulée." 

A ce jour, environ 14 000 personnes, résidant au Mont-Dore Sud et dans le Grand Sud, sont également isolées du reste du pays en raison du blocage de la RP1 lié aux exactions.