Le vent est tombé et la mer est calme en ce milieu de nuit à Nouméa. Rendez-vous est donné pour un départ à 1h30 du matin. Quatre hommes embarquent alors sur la pilotine, qui quitte Port-Moselle pile à l'heure. Bernard et Dylan, les pilotes de l'embarcation, emmènent Alain et Morgan rejoindre les navires qu'ils convoieront depuis la passe de la Havannah, dans le lagon sud. Leur spécialité ? C'est de guider les bateaux d'envergure dans les passages difficiles, à l'entrée ou à la sortie des ports.
"Allez bon courage, à demain". Alain lui, va se coucher dans la cale. Il ne rejoindra le cargo qu'à 10 heures du matin, après une pause à Port-boisé. La lune, lumineuse à 90 %, éclaire les reliefs et accompagne la progression de la pilotine et ses vingt nœuds de vitesse de croisière. Dans la cabine de pilotage plongée dans la pénombre, Dylan a pris les commandes.
Le paquebot, illuminé comme un phare dans la nuit
À 2h45, Bernard, 25 ans de métier, prend sa place à l'approche du canal Woodin. Une demi-heure plus tard, le COSS-NC lance des appels radio à destination du paquebot pour connaître sa position. "Maintenant, grâce aux nouvelles technologies, et aux applications comme Marine traffic, on a les informations en temps réel", explique Dylan, dans la profession depuis trois ans.
Le halo de lumières observé à Prony confirme que l'activité a bien repris à l'usine du sud. De l'autre côté de la passe, il ne reste que quelques minutes de navigation avant l'apparition du paquebot, illuminé comme un phare dans la nuit. Une silhouette se découpe dans l'encadrement de la porte.
"Un moment dangereux"
Morgan Penven, le pilote maritime, décrit la manœuvre qui va suivre : "on va s'approcher doucement et venir le long du bord. Il va falloir que tu te tiennes au bateau et que tu fasses attention. Il faut monter quand la pilotine est la plus haut possible, et grimper rapidement les premiers échelons pour éviter de se faire coincer les jambes. C'est un moment dangereux."
Peu après 4 heures du matin, la pilotine se colle à la coque de l'impressionnant paquebot. Une échelle de corde apparaît, pour monter les deux mètres d'écart. La houle, clémente, permet cette nuit-là une ascension facile. "Welcome on board." Le comité d'accueil vérifie les pièces d'identité, avant de guider le pilote au pas de course dans les coursives. Des passagers sont encore réveillés, ou déjà debout. "Good morning" : au huitième étage, la passerelle s'ouvre sur le commandant.
Laisser la main
Première étape : les deux hommes échangent sur l'état du bateau, Morgan Penven est présenté aux officiers présents et prend les commandes du navire. Le soleil pointe déjà ses rayons alors que le Carnival splendor entre dans le lagon calédonien. Mario Imbimbo en est le capitaine, en poste depuis deux semaines sur une vacation de trois mois.
C'est la première fois que je découvre ce paysage de jour et c'est magnifique. Nous sommes heureux d'être de retour en Nouvelle-Calédonie.
Mario Imbimbo, commandant du Carnival splendor
À l'aide de jumelles, l'Italien tentera plus tard d'apercevoir le centre culturel Tjibaou, conçu par son compatriote Renzo Piano. Il n'a pas de réticence à laisser le gouvernail à un autre. "C'est confié aux mains de personnes capables, qui ont de l'entraînement et de l'expérience. Je suis toujours en charge de la navigation, et je supervise, en même temps que l'équipe. Nous avons un plan de passage défini, planifié à l'avance. Nous passons par des zones étroites : la passe de la Havannah, le canal Woodin... Nous respectons les vitesses et la distance par rapport aux côtes."
"Sur la passe de la Havannah, où arrivent tous les bateaux qui viennent de l'Est, il peut y avoir pas mal de courant, décrit Morgan Penven. La côte est proche... S'il y a le moindre souci, que le bateau n'est plus manœuvrable, il peut vite finir dans les cailloux."
Pour être pilote maritime, il faut être officier de la marine marchande
Après trois heures de progression, le paquebot de 290 mètres de long et ses 3 000 passagers arrivent à bon port. Morgan Penven, pilote maritime depuis douze ans, peut souffler, tout s'est bien passé. "La Calédonie, c'est l'une des plus grandes stations de pilotage au monde avec les îles Loyauté et l'île des Pins. En comparaison avec La Réunion par exemple, où il n'y a qu'un port : ils vont tout droit, ils rentrent et c'est fini. Ici, on a l'équivalent de trente fois La Réunion. C'est assez long, il faut un an de préparation à peu près. Il y a un concours, le meilleur gagne et devient pilote."
Au bout de six mois de formation, on est lâchés, si tout va bien évidemment. Après on évolue, on se perfectionne au fil du temps.
Morgan Penven, pilote maritime calédonien
Avant les évènements de 2024, ils étaient quatorze associés. Ils ne sont plus que onze aujourd'hui. "Nous n'avons aucune vision sur le trafic maritime. L'usine du nord a fermé, on ne sait pas si elle va rouvrir. Celle du sud reprend doucement, mais on ne sait pas si ça va durer. Pour les paquebots, c'est pareil. On travaille avec les usines de nickel, les paquebots, les cargos... Plein de secteurs qui sont en suspension. Et quand on s'associe avec nous, c'est pour vingt ans."
Comme les pilotes aériens, les pilotes maritimes doivent régulièrement "revalider" leurs brevets sur simulateur, lors de stages. "Il y a aussi des évolutions dans le métier : les bateaux sont plus gros". À 17 heures, le même jour, le géant des mers a repris la route vers l'Australie. Cette fois par la passe de Dumbéa, et dans les mains d'un autre pilote maritime.