TÉMOIGNAGES. Ces maternités de Nouméa qui ont disparu : du CHT Gaston-Bourret à l'hôpital de Magenta, un lieu "plus confortable" [3/3]

L'entrée principale de la maternité de l'hôpital de Magenta en avril 2023.
Locaux trop vétustes ou trop exigüs… Plusieurs lieux de naissance, installés à Nouméa, ont fermé leurs portes au cours des dernières années. Ils ont disparu mais les souvenirs qu’ils laissent dans les mémoires demeurent intacts. Des Calédoniens racontent. Focus sur la maternité du CHT Gaston-Bourret qui a déménagé ensuite à l'hôpital de Magenta. Des structures qui s’apprêtent à entamer une nouvelle vie.

Bien des Calédoniens sont nés derrière ses murs. Ancien hôpital militaire, puis colonial, le CHT Gaston-Bourret, situé à l'entrée de Nouméa, a abrité une maternité durant de longues années. Avant que celle-ci ne déménage à l'hôpital de Magenta en 1984. Cette dernière structure a baissé le rideau début 2017. Les équipes, elles, ont pris leurs quartiers au Médipole. Mais dans l'esprit de nombreux Calédoniens, les souvenirs de ces lieux restent.

  • Le CHT Gaston-Bourret 

Françoise résume la maternité de l'hôpital Gaston-Bourret en quelques mots. "C’était rustique. Il y avait l’essentiel, mais ce n’était pas très confortable. Ça ressemblait encore à un hôpital militaire", se souvient celle qui donné naissance à deux enfants en 1976 et 1977. Ce confort sommaire, Rose* (prénom d'emprunt) aussi l’a connu. Elle, qui était aide-soignante au sein du CHT, y a accouché en 1980, 1981 et 1984. "On venait pour accoucher, pas pour être à l’hôtel", raconte-t-elle.

Sur le plan médical, les moyens sont très différents de ceux d'aujourd'hui. "Il n'y avait pas de gynécologues, raconte Josée Laborie, sage-femme dans l'établissement de 1980 à 1984. Il y avait des médecins militaires et cette spécialité n'existait pas chez eux. Quand il fallait faire une césarienne, on faisait appel à un chirurgien qui n'était pas spécialisé en obstétrique." Pour ce qui est de l'ambiance, elle garde le souvenir d'une équipe soudée.

En 1983, le CHT rachète la clinique privée de Magenta. Françoise y accouche en 1980. Y séjourner est "un luxe du point de vue des chambres comme de la nourriture, décrit Françoise. C’était neuf. C’était beau. On était choyé. C’était l’esprit d’une clinique privée." Une fois acquise par le CHT, la structure devient l'hôpital de Magenta.

  • L'hôpital de Magenta 

Certaines patientes vivent le fameux déménagement du CHT Gaston-Bourret à l'hôpital de Magenta. C'est le cas de Rose. En mars 1984, quelques jours seulement après avoir accouché dans le premier établissement, elle fait sa valise avec le reste du service. Direction l'hôpital de Magenta. Le trajet se fait en taxi pour certaines mamans, en ambulance pour d'autres. 

"Je suis montée à bord d’un taxi avec mon bébé. Il n'y avait de pas siège adapté, pas de coque. Je l'avais dans les bras. Les mamans qui avaient des bébés prématurés en couveuse, ont fait le trajet en ambulance. On était tous escorté par les motards de la police."

Rose

Un convoi pour le moins exceptionnel. "C'était insolite. C'était l'inconnu car on perdait nos repères. On était habitué au personnel de Gaston-Bourret et on ne connaissait pas celui de Magenta. On ne connaissait pas non plus la taille des locaux, poursuit-elle. Il a aussi fallu prévenir nos familles de ce déménagement. À l'époque, l'hôpital de Magenta se trouvait dans une impasse et la route pour y aller n'était pas si facile d'accès."

Patients et personnels découvrent des locaux plus grands, plus confortables et plus accueillants donc. Avec davantage de salles d’accouchement et de matériel. "Au rez-de-chaussée, il y avait ces salles, la maternité et les grossesses à risque, décrit Rose qui y a travaillé à Magenta de 1984 jusque dans les années 90. Au premier étage, on trouvait la gynécologie. Au deuxième, la pédiatrie." Et Josée Laborie de préciser que toutes les chambres avaient leurs commodités.

Mais ce qui change selon Rose, c’est surtout l’esprit de l’établissement. "L’humain était au centre de l’hôpital, souligne-t-elle. Il était beaucoup plus respecté. Il n’y avait plus ces vestiges de l’histoire coloniale. Avec le service d'urgences pédiatriques, on a gagné en qualité, en moyens humains et en compétences".

"Il fallait passer les barrages des policiers"

C'est en 1984 qu'Anne-Marie Mestre est arrivée à l'hôpital de Magenta en tant que gynécologue-obstétricien. Son mari y est anesthésiste. Elle se souvient des Événements : "quand on était appelé au milieu de la nuit, il fallait passer les barrages de policiers. Parfois on passait la nuit à l'hôpital compte tenu du sous-effectif qui prévalait à l'époque." Il faut dire qu'il y avait trois gynécoloques et deux anesthésistes.

A cette époque, les semaines sont "denses, raconte Anne-Marie Mestre. D'autant que les accouchements à risque sont orientés vers l'hôpital". Et Rose de glisser : "Avant les Evenements, les accouchements de brousse se faisaient dans les dispensaires à la Foa ou à Bourail par exemple avec l’intervention du médecin et des infirmières. Mais ces personnes ont été rapatriées. Après les Evenements, on a donc vu les mamans affluer à l’hôpital". 

Les soignants, eux, se montrent solidaires les uns avec les autres. Le Dr Catherine Charlier, gynécologue-obstétricien, se remémore cette ambiance "beaucoup plus intime qu'au Médipôle" . "On connaissait les personnes qui travaillaient. L'atmosphère était plus conviviale", indique celle qui a exercé dans les murs dès les années 90.

Les patients ou familles, qui sont passés par la clinique de Magenta dans les années 2000 et au-delà, se souviennent de cette chaleur humaine. "On n'avait pas l’impression de rentrer dans un hôpital. À part cette fameuse odeur. Toujours la même dans les hôpitaux, s’amuse Sylvana qui y a accueilli sa petite soeur en 2015. C’était sympa. Ça ne faisait pas peur." Et Marie-Anne, une de ses soeurs, de compléter : "on voyait toujours les mêmes têtes." Ce qui rendait l'établissement familier.

Une fresque ornait les murs en suites de couche au premier étage.

Des moments de joie pour certains.. Mais aussi de peine pour d'autres. Alizé Goxe en fait l'expérience. En 2014, elle perd sa fille ainée.

"Je n'ai pas de souvenirs avec ma première fille. C'est à l'hôpital que je l'ai rencontrée et que je lui ai dit aurevoir. Tous mes souvenirs avec elle sont liés à ce lieu."

Alizé Goxe

"Face au deuil périnatal, il y aurait eu beaucoup de choses à faire à l'hôpital. Mais je n'en veux pas aux équipes. Ça a évolué depuis." Dans sa mémoire, il y a du négatif mais aussi de bons souvenirs.

Alizé Goxe, qui est elle-même née dans cette structure de Magenta, choisit d'y donner naissance à sa deuxième fille en 2015. "Lors du suivi de ma deuxième grossesse, j'ai été traitée comme une reine."

Le dernier jour à la maternité de Magenta d'Elia, la fille d'Alizé Goxe.

La maman d'Alizé Goxe avec sa petite-fille Elia née en octobre 2015.

Quand Alizé Goxe apprend que l'hôpital de Magenta va fermer ses portes, ça lui fait "drôle". Forcément. "Cet hôpital, c’est un peu de ma vie, estime Rose. Là-bas, on a vu naître et mourir."

Quant aux soignants, ils ressentent également beaucoup de nostalgie. Comme en témoignent les rassemblements convivaux et petits messages laissés par les équipes avant de quitter les lieux.

Juste avant la fermeture de l'hôpital de Magenta, un rassemblement des équipes, exceptionnellement en civil, dans le bloc opératoire de la maternité alors qu'il ne fonctionnait déjà plus.

Les équipes de la maternité de l'hôpital de Magenta avant le déménagement début 2017. Les murs de la salle d'accouchement étaient recouverts de pensées des uns et des autres.

Les locaux du CHT Gaston-Bourret et de l'hôpital de Magenta, si chers à de nombreux Calédoniens, ne sont pas appelés à rester vides. Les premiers accueillent déjà certaines directions du gouvernement.

Quant aux seconds, ils seront réinvestis, en partie cette année, par le CHT qui en reste le propriétaire. Deux structures ont déménagé en janvier dernier, sur le site de l'hôpital de Magenta, vers l'ancien service d'hémodialyse. Il s'agit de l'hôpital de jour des enfants, qui se situait près du collège de Mariotti, et accueille les enfants de 3 à 12 ans. On y trouve aussi le Centre médico-psychologique, qui était installé à la Vallée-du-Tir. C'est un centre de consultation qui prend en charge les enfants de 0 à 13 ans. "Ca faisait plusieurs années qu'on cherchait un lieu adapté qui corresponde aux normes pour accueillir les enfants en bas âge, explique Hélèna Le Guyon, cadre supérieure de santé au Centre hospitalier spécialisé (CHS). En pédopsychyatrie, il y a de gros besoins chez les adolescents."

Retrouvez le premier volet de ce dossier, consacré à la polyclinique de l'Anse-Vata ainsi que le deuxième, dédié à la clinique Magnin.