La polyclinique de l’Anse-Vata regardait la mer. Bien des Calédoniens y ont vu le jour de 1947 à septembre 2018. Période à laquelle elle a déménagé, comme les structures privées de Magnin et de la Baie-des-Citrons, dans les locaux de la nouvelle clinique Kuindo-Magnin. Depuis quelque temps, l'établissement est en cours de démolition. Plusieurs de ses baraquements ont déjà été détruits. Mais les souvenirs de la maternité restent vivaces dans les mémoires.
Patientes et équipes soignantes se souviennent de l'emplacement enviable. C'est d'ailleurs l'un des éléments qui a donné envie à Valérie Varizat d'accoucher à la polyclinique en 2007. "Je suis allée là pour le cadre et la proximité par rapport à notre domicile, raconte-t-elle. Nous avions vue sur le lagon." Il n'est pas rare de voir des femmes enceintes, en plein travail, marcher le long de la plage. Des familles s'asseyent sur une natte dans le jardin pour observer l'eau. Parfois même, des coutumes ont lieu sur cet espace de verdure. Ce qui confère à l'endroit "une authenticité", "un charme" au dire des patients. Bien loin des structures "plus aseptisées".
"La modernité ne répond pas à toutes les attentes"
Si les techniques et méthodes utilisées à la polyclinique sont modernes, les locaux le sont moins. Ils sont vieillissants depuis des années déjà. Il faut dire que les bâtiments ont été construits durant la Seconde Guerre mondiale. Ils sont chargés d'histoire, ce qui fait de la polyclinique un établissement "hors du temps", sourit le Dr Jean-Michel Piacenza, gynécologue-obstétricien qui a oeuvré là de 2002 à la fermeture en 2018.
Mais ce n'est pas problématique. "La modernité ne répond pas à toutes les attentes", poursuit-il. À en croire les patients et professionnels, l'essentiel est ailleurs. Ce qui plaît, c'est surtout le côté familial de cette polyclinique. "On a été très bien pris en charge. Il y avait une bonne ambiance et une certaine proximité entre les patients et les équipes. On n'était pas un numéro", relève Michel Varizat, l'époux de Valérie.
Une mixité sociale
"Les relations étaient très humaines et très chaleureuses, raconte Raymond Carré, anesthésiste-réanimateur qui a travaillé à la polyclinique de 1994 à 2018. Tout le monde se connaissait. On formait une petite famille. Une humanité rare." Et Sandra Foucher, sage-femme, de se souvenir : "Il y avait de la joie".
L'établissement, lui, est à l'image de la Calédonie. "C'était un des rares endroits où il y avait une telle mixité sociale", précise le Dr Jean-Michel Piacenza. Des femmes des îles accouchaient dans cette structure". Le personnel s'efforçe de se montrer à l'écoute des besoins. "Dans les années 90, il nous est arrivé de donner à des familles des placentas et des cordons car on savait que c'était important pour les Polynésiens, par exemple", cite à titre d'exemple Valérie Galzin, sage-femme, puis cadre de la polyclinique entre 1998 et 2018.
Si la polyclinique a été menacée en 1994 faute d'anesthésiste, l'activité de la maternité ne cesse de progresser avec le temps. En 1998, on compte 230 accouchements contre 900 en 2018.
Les méthodes, elles, évoluent au fil des années. "Quand ma fille a accouché en 2018, il y avait un ballon et une baignoire", se remémore Françoise. Des équipements que l'on trouvait dans la fameuse salle bleue. "On a toujours eu la volonté de mettre en place de nouvelles activités et d'améliorer la qualité des soins, souligne Valérie Galzin.
"Je me souviens d'une patiente de Lifou, dans la baignoire, qui rigolait parce qu'elle n'aurait jamais imaginé faire son travail dans l'eau."
Valérie Galzin, cadre sage-femme de la polyclinique
Sans compter les souvenirs liés à des aléas climatiques. Lors du passage du cyclone Erica en 2003, équipes et patients sont transférés à la clinique de la Baie-des-Citrons, un site moins exposé dont les murs sont plus robustes. "On a fait beaucoup de sorties, on a commandé des ambulances, raconte Valérie Galzin. Un médecin a évacué des patients avec son 4X4". Autre événement : l'alerte tsunami en 2011. "La police nous a demandé d'évacuer les lieux, glisse-t-elle. Le personnel était en tenue sur le parking. On se disait 'Mon dieu, qu'est-ce-qu'on fait? Est-ce qu'on part ou pas?' On a regardé arriver la vague...qui faisait 10 centimètres C'était assez incroyable."
Alors, lorsque vient l'heure du déménagement, les cœurs sont lourds." La projection vers une autre structure nous a aidé à digérer", confie le Dr Piacenza qui a également vu naître ses enfants dans ces murs. Avec la démolition en cours,"c'est une mémoire qui est en train de disparaître". Selon lui, le passé médical du site devrait être mis en avant dans le projet qui se dressera en lieu et place de la polyclinique.
Un espace mémoriel
Ce lieu, si cher à de nombreux Calédoniens, abritera un espace mémoriel dédié à la présence américaine. En référence à l'histoire de la polyclinique, cet ancien hôpital naval construit par les Américains durant la Seconde Guerre mondiale.
"On va retracer toute l'histoire du lieu. On n'a pas encore défini le contenu des supports, mais on a déjà de la matière."
Julien Fondère, responsable de la subdivision opérationnelle de la construction pour la ville de Nouméa
Un parc de loisirs verra également le jour. On y trouvera des terrains de pétanque, un petit skatepark, des work-out avec des agrès, un parc de jeux pour enfants et un espace scénique. Les trois bâtiments historiques, qui seront en partie conservés, abriteront une halle de marché et un restaurant. Il y aura également un parking. Les travaux devraient se terminer fin 2024.
Retrouvez le deuxième de nos trois volets le samedi 15 avril, à 7h40.