Fondée en 1938 par le docteur Raymond Magnin, la clinique du même nom a accueilli de nombreuses parturientes. Prêtes à accoucher, elles ont passé, de jour comme de nuit, la porte de l'établissement reconnaissable à la villa Unger, la maison coloniale en son sein. Les dernières patientes ont été prises en charge en septembre 2018, avant le déménagement de la structure vers la clinique Kuindo-Magnin à Nouville. Aujourd'hui, les souvenirs demeurent.
Comme celui de Marie Raflin. Pas évident d’accoucher seule, sans son mari. Mais le 23 septembre 2004, elle n’a pas le choix. Elle pousse la porte de la clinique Magnin, en l'absence de son époux qui se trouve alors dans l'Hexagone. Elle se souvient encore du "patio et de ses fleurs" à l’entrée de l’établissement.
Marie donne naissance à Tom, son fils aîné. L’accouchement s'avère un peu compliqué mais l’équipe est "très bienveillante". "J’ai eu le droit d’appeler mon mari, raconte-t-elle. Ils m’ont gardée plus longtemps parce que j’étais seule. Ils se sont occupés de Tom toute la semaine. Mes amis ont pu venir me rendre visite n’importe quand."
Autant de petites attentions qui peuplent aujourd’hui ses souvenirs. De "super souvenirs". "Un accouchement n’est pas anodin. C’est une vrai chamboulement dans la vie d’une femme, estime-t-elle. C’est bien d’échanger, d’avoir du réconfort."
"J'ai réussi à rigoler pendant les poussées"
Du réconfort, Sahorie Ben Larbi en a eu. Elle n'oublie pas le savoir-faire de la sage-femme qui prend soin d'elle lors de son accouchement en 2013. Elle lui permet de faire abstraction de la douleur malgré les contractions. "Pendant l’accouchement, j’ai réussi à rigoler pendant les poussées. C’était une expérience extraordinaire", se souvient-elle. Les locaux ont beau être assez "petits et vieux" selon elle, ils ne sont pas "froids". "C’était chaleureux comme à la maison."
C'est le terme qui revient. Au dire des patients comme de l'équipe médicale, la clinique Magnin était un établissement "chaleureux et familial"."On travaillait en confiance, avec les patients comme avec les gynécologues. Il y avait des liens forts avec les uns comme avec les autres", se souvient Claire Celma, qui y a été sage-femme de 1989 à 2018.
Salle de consultation, salles d'accouchement, suites de couche... Toutes les unités sont au premier étage, ce qui soude les équipes entre elles. "Nous étions très proches. On se voyait en permanence. On travaillait en groupe", indique Marie Hugon, sage-femme à la clinique Magnin de 1993 à 2017.
Magnin de mère en fille
Sans parler de la proximité avec la patientèle. "On était dispo 24 heures / 24 pour les patientes", indique le Dr Christophe Duron, gynécologue-obstétricien. "On accouchait celles qu'on avait suivies. C'était agréable pour elles comme pour nous. Ça n'existe plus, aujourd'hui."
Certains patientes, qui ont notamment donné naissance à des enfants prématurés, séjournent longtemps à la maternité. "Il y avait des larmes le jour du départ. Ça nous faisait un pincement au cœur à tous", se souvient Claire Celma.
Les attaches se renforcent aussi au fil des générations. "On en a vu plusieurs arriver. Des mamans qui ont accouché sont revenues en tant que grand-mères", poursuit Claire Celma. Judy s'inscrit dans cette lignée. Elle, qui a vu le jour à la clinique Magnin, y met au monde sa fille Madysson en 2015. Un vœu qui lui tenait à coeur. Comme une sorte de bon présage pour l'avenir. "Le bâtiment était un peu vétuste, mais le personnel était gentil et à l’écoute, raconte Judy. Les sage-femmes passaient de temps en temps, mais on avait notre intimité. On était dans notre cocon à toutes les deux."
Il arrive parfois que la clinique soit un lieu de fête. Comme ce jour de 1996, où une maman qui avait accouché quelques mois auparavant est venue fêter, avec sa troupe de danse tahitienne le 600e bébé de l'année de la structure. "C’était un cap et toute une réorganisation en termes de personnel", relate Claire Celma. Un chiffre qui augmentera. "De 600 bébés en 1996, on est passé à 1 000 en 2005", précise Marie Hugon.
Les générations se succèdent. Les pratiques évoluent au sein de l'établissement. Entrée à la maternité en 1970 et formé au métier d'aide-soignante, Joëlle Ugolini a connu l'époque où les sœurs missionnaires vivaient à la clinique. "Elles travaillaient de jour comme de nuit et étaient très dévouées, raconte celle qui a œuvré à la maternité toute sa carrière durant. Il fallait les aider en salle d'accouchement. On s'occupait aussi des bébés. Il fallait leur donner à boire pendant la nuit. Il nous fallait nettoyer régulièrement les couffins en osier avec une brosse à dents pour cause d'hygiène."
D'autres professionnels de santé ont connu une tout autre époque. "En 1994, on avait introduit le fait qu'on ne baigne plus les bébés à la naissance, se remémore Marie Hugon. Il y avait des réticences, alors qu'aujourd'hui, on ne se pose plus la question. Avant 2000, on a initié tout le monde au peau à peau avec le nouveau-né : les aide-soignants, mais aussi les puéricultrices. Il a aussi fallu rappeler aux mamans que l'on fait dormir le bébé sur le dos sans couverture."
Avec de telles expériences en mémoire, pas facile d'envisager la fermeture de la clinique. De nombreux patients et soignants ressentent alors beaucoup de nostalgie. Judy se sent "très malheureuse". "Comme ce sont de vieux bâtiments, on y tient", confie-t-elle. "La clinique Magnin a vu naître tant de Calédoniens, estime le Dr Duron. C'est une partie du patrimoine calédonien qui disparaît. Ça fait mal au coeur"
Bientôt un Ehpad
Si l'ancienne clinique est fermée depuis 2018, il y a toujours de la vie sur son site. Des travaux s'y poursuivent depuis quelque temps déjà.
Un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) prend peu à peu forme : la résidence Magnin. "L'idée est de rester dans la continuité de ce qu'a fait la famille Magnin dans la santé. Il y a eu des naissances de bébés à la clinique, pourquoi ne pas créer un Ephad?" indique Aurélie Magnin, une des associées de ce projet.
La résidence sera dotée de 100 lits, dont 14 places réservées aux personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer et 14 autres aux personnes en autofinancement. S'ajoutent à cela, trois lits d'accueil temporaire pour des séjours d'une durée d'un à trois mois, et quatre places temporaires à la journée.
La villa Unger, la maison coloniale qui a plus de cent ans, restera au cœur de l'établissement. On y trouvera l'accueil, l'administration et les salles de soin. Autour se dressera un bâtiment en forme de "U", de trois étages, qui abritera les chambres et salles de restaurant. Les travaux de la résidence devraient aboutir fin 2023.
Quelques dates
1938 : création de la clinique Magnin
1964 : construction de la maternité et des blocs opératoires
1991 : début des travaux de rénovation de la maternité. Ajout d’un plateau obstétrical
1994 : mise en place des consultations en gynécologie
Fin 1994 : rénovation du service gynécologique et création d’un service fécondation In vitro
La clinique Tollinchi
Certains Calédoniens ont vu le jour à la clinique Tollinchi, ouverte par Paul et Guillaume Tollinchi. Elle se situait rue de Sébastopol, en face des locaux actuels de Caillard et Kaddour. La structure comptait deux salles d'accouchement et une nurserie. Il y avait plus de 40 lits, trois blocs opératoires et une salle de stérilisation ainsi qu'un ensemble de radiographie et de radiothérapie. Evelyne Vitse y a accouché en 1966 avec l'aide du docteur Paul Tollinchi. Elle se souvient d'une "belle clinique et de personnes charmantes". A sa fermeture, "le gros du matériel a été rachetée par la clinique Magnin", précise le Dr Duron.
>> Retrouvez le premier volet de ce dossier, consacré à la polyclinique de l'Anse-Vata. Le troisième doit être publié samedi 22 avril, à 7h40. Il portera sur l'hôpital de Magenta.