1 Un contexte politique et social tendu
Attaque de la gendarmerie de Touho, embuscade à Koindé, nuit de saccages à Témala... Le début de l'année 1983 est tendu. Depuis que l'Union calédonienne a pris position pour l'indépendance, en 1977, la tension monte en Nouvelle-Calédonie.
L'élection présidentielle de 1981 va l'attiser. Pour la première fois, les indépendantistes s'engagent dans la bataille en soutenant un candidat, François Mitterrand. Mais le président socialiste ne tient pas sa promesse d'autodétermination. La déception crée colère et violence. Manifestations, menaces, pillages... En septembre 1981, le secrétaire général de l'Union calédonienne est assassiné au Mont-Dore.
En juin 1982, les centristes de la Fédération pour une nouvelle société calédonienne (FNSC) s'allient au Front indépendantiste, renversant le gouvernement de Dick Ukeiwé. Attisant la colère dans le camp loyaliste du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR). En juillet, des militants casqués font irruption à l'assemblée territoriale.
2Un moment historique
C'est dans ce contexte, qu'en mai 1983, Georges Lemoine, secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, en visite en Nouvelle-Calédonie, propose une table ronde pour faire "le bilan des espérances et des propositions de chacun" et "aboutir à un nouveau statut de large autonomie interne". Elle a lieu début juillet, au château de Nainville-Les-Roches, à 40 km de Paris.
>>> À regarder : Les chemins de l'histoire, sur la route de Nainville-les-Roches
"Un moment historique", souligne Christian Boissery, alors membre de la FNSC. C'est la première fois que les principales forces politiques calédoniennes sont réunies dans l'Hexagone. "Depuis, à chaque fois qu’il y a un problème, on organise une réunion à Paris", commente-t-il au micro d'Anne-Claire Lévêque dans l'émission Retour sur l'actu.
Historique également pour ce qu'il s'est dit, souligne ce témoin. Du côté des politiques calédoniens qui y étaient, il ne reste plus que lui et Jean-Pierre Aïfa, à l'époque président de la FNSC et de l'assemblée territoriale.
3Ce qu'il s'est dit
De quatre jours de discussions officielles et informelles, sort une déclaration finale qui confirme l’abolition du fait colonial, reconnaît la légitimité du peuple kanak, du droit à l’indépendance et parle de l’élaboration d’un statut interne d’autonomie spécifique.
"Il y a la reconnaissance du fait colonial, qui pour nous est capitale. Et la reconnaissance de la légitimité kanak, qui est le pendant de la reconnaissance de la légitimité des autres ethnies sur le territoire, qui est capitale pour la paix et la sécurité dans notre pays", retient Jean-Marie Tjibaou. Le leader affirmera aussi que la revendication indépendantiste est "nationaliste, non raciste". Par les autres ethnies sont désignées les autres "victimes de l’histoire, issues de la colonisation pénale, de la colonisation minière", indique Jean-Pierre Aïfa. Une porte est ouverte vers la définition d'un corps électoral.
D'autres l'ont été. La régionalisation des pouvoirs, le transfert de compétences, le rôle de la coutume... "Nainville-Les-Roches, c’était les prémices des accords", considère Christian Boissery.
4Un échec ?
La table ronde ne permet cependant pas de calmer le jeu. Le RPCR refuse de signer la déclaration finale. Le parti "a assisté à un certain nombre d’échanges de vues, a appris un certain nombre de choses, retenu un certain nombre d’autres choses et constaté que sur un certain nombre de points, des désaccords profonds existaient encore", explique alors Jacques Lafleur.
Trois mois plus tard, un statut dit Lemoine, accordant une plus large autonomie à la Nouvelle-Calédonie, est adopté. Un an après, le pays sombre dans la violence des évènements. Il faudra attendre cinq ans pour que Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur se retrouvent, cette fois main dans la main, à Matignon, pour signer la paix.
Aux yeux de Christian Boissery et Jean-Pierre Aïfa, Nainville-Les-Roches n'a pas pour autant été un échec. "On a appris à se connaître", souligne le premier. Grâce à la présence de coutumiers notamment, "les gouvernants intègrent que la Nouvelle-Calédonie n’est pas l’Occident, que c'est un pays d'Océanie qui a des us, des coutumes, et qui règle ses problèmes par le consensus", estime le second. Le prochain reste à trouver.
Le reportage vidéo d'Antoine Le Tenneur :