Honiara la capitale s’est vidée de ses habitants. Le système de procuration n’existe pas, aux Salomon, et depuis le week-end dernier, une foule compacte de passagers se presse au port pour embarquer à destination de leur province natale.
Galère
Des voyages éprouvants, dont la durée peut dépasser les vingt-quatre heures, à bord de ferries au confort sommaire. Et encore, à condition de pouvoir monter à bord. "Il y a beaucoup trop de monde qui veut partir", soupire le Français Thierry Nervale, directeur de l’Autorité maritime des Salomon. "Ce bateau-là", dit-il en scrutant le quai depuis son bureau, "on voit tout de suite qu’il dépasse sa capacité maximale. On va être obligés d’aller l’inspecter, voire de le retenir à quai. Et forcément, ça va faire des mécontents."
Parade de camions
Le scrutin, repoussé en raison de l’organisation des Jeux du Pacifique, passionne les Salomonais. Lundi, comme à chaque élection, les candidats ont profité du dernier jour de campagne officielle pour une parade aux allures de démonstration de force. Ce sont des centaines de camions, emplis de supporteurs vociférants, qui ont écumé les rues de Honiara toute la journée. Du jamais vu.
Enjeux d'importance
Un intérêt dû à l’enjeu : pour la première fois dans l’histoire du pays, les élections ont été regroupées. On vote donc pour la constitution du parlement national, mais aussi pour les assemblées provinciales. Et surtout, ce sont les premières depuis le "switch" de 2019. Cette année-là, le Premier ministre Manasseh Sogavare cessait de reconnaître Taïwan pour se rapprocher de la Chine. Avant de signer avec Pékin, en avril 2022, un pacte militaire dont le contenu exact est resté secret, mais qui pourrait conduire un jour à l’établissement d’une base militaire chinoise aux Salomon.
Un Occident concerné
De quoi faire tousser le monde occidental :
- l’allié américain, dont la première division de marine porte toujours sur son écusson la mémoire du tribut payé pendant la bataille de Guadalcanal ;
- les Australiens, longtemps premiers pourvoyeurs d’aide internationale et à la tête de la force qui a ramené la paix dans l’archipel au début des années 2000 ;
- et enfin les Britanniques, l’ancienne colonie étant membre du Commonwealth et ayant donc Charles III pour roi.
Nouveaux investisseurs
Le rapprochement avec la Chine a apporté une nouvelle vague d’investisseurs chinois, notamment dans le commerce. "Avant, Chinatown, c’était juste autour de la rivière. Maintenant, c’est de l’entrée à la ville, c’est tout Honiara qui est devenue Chinatown", estime Ofani Eremae, à la tête du renommé média d’investigation In-depth Solomons. "Il y a toujours eu des Chinois, ici. Mais c’était de petits épiciers. Pour nous, ce sont des Salomonais. Cette nouvelle génération est beaucoup plus agressive en affaires et elle est en train de détruire le tissu économique local." En 2021, un mouvement de colère envers la politique pro-Pékin, et plus largement la communauté chinoise, débouchait sur l’incendie de plusieurs magasins à Honiara, causant trois morts.
Des airs de référendum
Dans ce contexte, "plusieurs candidats de l’opposition considèrent cette élection comme un véritable référendum pour ou contre la Chine", assure le Calédonien Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique. De fait, pour la première fois, la majorité des 334 candidats aux 50 sièges de parlementaires à pourvoir se sont affiliés à un parti ou une coalition. Celle, pro-chinoise, de Manasseh Sogavare et celles, plus circonspectes envers Pékin, de Matthew Wale et de Peter Kenilorea Jr.
Quelle coalition va l'emporter ?
Ce mercredi soir, la coalition du Premier ministre sortant pourrait sortir en tête des urnes, selon plusieurs observateurs locaux. Mais même si c’est le cas, le chemin vers une réélection – qui serait historique – est encore long. Au lendemain du scrutin, les tractations commenceront entre les parlementaires élus pour faire émerger un gouvernement et un Premier ministre. Des négociations dans lesquelles Sogavare excelle, mais qui peuvent prendre plusieurs semaines.