Audience de rentrée particulièrement solennelle, ce mercredi, pour le monde judiciaire calédonien. Elle s’est déroulée dans la matinée à la cour d’appel puis au tribunal de première instance, en présence du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti. L’occasion, pour le ministre, de visiter les nouveaux aménagements du palais de justice : des salles rénovées à l’image de la cour d’assises et près de 1 000 m2 d’espaces supplémentaires pour une enveloppe d’un milliard de francs, financée par Paris. "L’État veut soutenir la justice, classique telle que je la connais, et la justice coutumière qu’on ne peut oublier", a déclaré le garde des Sceaux aux médias.
La Nouvelle-Calédonie fait partie des juridictions qui seront servies en tout premier.
Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux
De nouveaux effectifs en attente
Le ministre a également rappelé les moyens humains supplémentaires, accordés ces dernières années au Caillou : neuf magistrats de plus, trente nouveaux greffiers et du personnel contractuel. Ce n’est pas fini. Sur la base de la loi de programmation du ministère de la Justice, qui prévoit des crédits à la hausse entre 2023 et 2027, deux magistrats supplémentaires et six contractuels viendront bientôt compléter les effectifs calédoniens, a annoncé Eric Dupond-Moretti. "Cette juridiction avait besoin de ces personnels supplémentaires (..) La Nouvelle-Calédonie fait partie des juridictions qui seront servies en tout premier", a-t-il déclaré.
Objectif affiché : "remettre toute l’institution judiciaire à flot", après "trente ans d’abandons humains et politiques", a lâché le ministre. "Tout le monde sait qu’il y avait des difficultés, que les magistrats travaillaient avec des morceaux de bric et de broc et que l’institution judiciaire ne tenait que grâce à leur investissement personnel, par l’investissement des greffiers. " Une reconnaissance du travail des professionnels de la justice, qui eux-mêmes, pendant ces audiences solennelles, ont salué les moyens affectés par le garde des Sceaux.
Une activité judiciaire soutenue
Car l’activité judiciaire en Nouvelle-Calédonie reste soutenue, comme le révèlent les chiffres du tribunal de première instance. En 2023, le parquet a enregistré 18 061 plaintes et procès-verbaux, ce qui est légèrement inférieur à 2022 (19 151) mais en nette hausse par rapport à 2021 (15 501). Ces dépôts de plainte et de procès-verbaux ont donné lieu à 6 259 poursuites.
L’an dernier toujours, 1 219 affaires ont été jugées en comparution de reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), sorte de "plaider coupable", et 2 665 jugements ont été prononcés par le tribunal correctionnel. Le fonctionnement du tribunal de première instance est assuré notamment par 33 magistrats (siège et parquet) et les 107 fonctionnaires du greffe.
Le drame de Yaté nous rappelle l’intérêt de traiter rapidement ces procédures.
Yves Dupas, procureur de la République
Le parquet évoque "une feuille de route chargée"
Le procureur de la République Yves Dupas a profité de la visite du ministre pour rappeler les principaux défis du parquet de Nouméa, "très mobilisé" sur une série de problématiques : les violences intrafamiliales qui ont augmenté de 15 % ou encore "les exactions commises dans le cadre de conflits interclaniques". " Le drame de Yaté nous rappelle l’intérêt de traiter rapidement ces procédures ", a observé Yves Dupas.
Autres domaines qui mobilisent le ministère public : la lutte contre les trafics de stupéfiants, pour lesquels les procédures ont augmenté de 60 %, ou encore la lutte contre la délinquance financière, "qui demande beaucoup plus de temps sur des enquêtes au long cours".
Enjeu crucial "pour l’avenir de ce territoire", estime le procureur : les jeunes et le traitement de la délinquance. "Nous avons besoin d’une direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse qui ait les moyens de son action. Parce qu’actuellement, les mesures judiciaires ne sont pas correctement suivies et tout cela ne fait qu’aggraver les formes de délinquance."
Les jeunes représentent la majorité des détenus dans nos prisons.
Bruno Dalles, procureur général près de la cour d'appel
"Faillite" dans la prise en charge des mineurs délinquants
Du côté de la cour d’appel, où 131 affaires correctionnelles ont été jugées en seconde instance en 2023, et 25 affaires sont passées devant la cour d’assises, ce sujet inquiète également. Pour Bruno Dalles, le procureur général à la cour d’appel de Nouméa, lutter contre la délinquance des mineurs passe par une meilleure détection et une meilleure prise en charge des enfants qui se trouvent dans des situations difficiles. "Les deux sont liés ", observe le procureur général, qui décrit " une situation de faillite".
" Alors même que la justice fait des efforts pour mieux suivre, avec plus de juges des enfants et plus de greffiers, on a des mesures qui ne sont pas exécutées." Pour Bruno Dalles, ces défaillances conduisent " à ce qu’une génération se laisse aller à la désespérance, en rupture de ban familial, coutumier, en déshérence dans le centre-ville. " Et le procureur de rappeler que ces jeunes majeurs représentent " la majorité des détenus dans nos prisons ".
Un raz de marée de recours contre les conditions indignes de la prison
Or, la vétusté et la surpopulation du Camp-Est ne semblent pas de nature à favoriser la réinsertion des détenus. Qualifiée de " prison de la honte ", le Camp-Est doit être remplacé d’ici quelques années par un nouveau centre pénitentiaire en baie de Koutio-Koueta, sur la presqu’île de Ducos, à Nouméa.
Le calendrier et les détails du projet doivent être dévoilés ce jeudi, lors de la visite sur site d’Eric Dupond-Moretti et de ses collègues Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, et Marie Guévenoux, ministre déléguée aux Outre-Mer.
Cette nouvelle prison était réclamée depuis longtemps par les acteurs de la justice, avocats comme magistrats. Mais la situation n’est pas réglée pour autant. En attendant ce futur centre pénitentiaire, la justice fait face à des recours en cascade contre les conditions de détention au Camp-Est, que le ministre de la Justice a qualifiées lui-même d’"indignes", ce mercredi.
L’an dernier, on a ainsi dénombré 61 recours de prévenus devant le juge des libertés et de la détention et 507 recours de condamnés devant le juge d’application des peines (JAP), dont 156 recours bien fondés conduisant à des aménagements de peines ou des transfèrements.
Et depuis le mois de janvier, on en relève déjà 153, rien que pour le JAP. À eux seuls, ces recours émanant de la Nouvelle-Calédonie représentent les trois quarts des procédures de ce type à l’échelle nationale. Une surcharge de travail considérable pour les deux juges d’application des peines de Nouméa. Un troisième poste est annoncé pour le mois de septembre 2024.
>> Revivez la journée de visite ministérielle ici
Le reportage d'Angéla Palmieri et Gaël Detcheverry