Polémique autour du recrutement d'un chef de rang dans un restaurant d'Hell-Bourg : le gérant s'explique

Restaurant à Hell-Bourg, Salazie
Pointé du doigt sur les réseaux sociaux, un restaurant d'Hell-Bourg à Salazie : l'établissement a publié une offre d'emploi de chef de rang, en ciblant des candidats extérieurs à l'île. Il n'en fallait pas moins pour provoquer le débat, même si les difficultés à recruter dans le secteur sont réelles ces dernières années. Le gérant du restaurant justifie n'avoir trouvé aucun candidat compétent localement.

"Vous rêvez de venir découvrir l'île de La Réunion tout en travaillant, cette offre est faite pour vous" : tel est le début de l'annonce publiée par le gérant d'un restaurant du village d'Hell Bourg à Salazie, sur les réseaux sociaux il y a quelques jours, plus particulièrement sur le groupe Facebook "Emplois HÔTELLERIE - RESTAURATION". Un groupe ouvert à tous, que ce soit aux Réunionnais comme aux habitants des autres départements. 

L'établissement est depuis quelques jours à la recherche d'un chef de rang pour répondre à l'affluence en haute saison touristique. Entre février et octobre, la clientèle peut varier du simple au double selon son gérant. 

Regarder le reportage de Réunion La 1ère : 

Polémique à la Villa Marthe à Hell-Bourg

Des compétences techniques et précises

A Hell-Bourg, Margot Willer, cheffe de rang au sein de l'établissement, explique la nécessité d"un autre chef de rang pour compléter notre équipe". 

"On cherche des gens dynamiques, qui peuvent aussi travailler le soir, le week-end, c'est important de comprendre cela"

Margot Willer, cheffe de rang dans l'établissement salazien

Margot Willer détaille les multiples compétences spécifiques requises pour le poste, entre le côté relationnel, être à l'aise en public et mettre à l'aise le client, le côté commercial pour pouvoir vendre les plats ou les vins, le bon sens pour la gestion des tables... En haute saison, le restaurant peut servir jusqu'à 120 couverts le midi, pour une quinzaine de salariés. Des compétences techniques et bien précises donc.

Des annonces régulièrement pointées du doigt

Malgré tout, ce type d'offres d'emploi publiées potentiellement à destination de postulants résidant dans l'Hexagone, est régulièrement pointé du doigt par des Réunionnais. Qui dénoncent non seulement une discrimination à travers ce démarchage de ces annonces auprès d'un public métropolitain, alors que le chômage sévit sur le département.

20% de chômage à La Réunion

Pour mémoire, selon les chiffres de l'Insee, 20,2% de la population réunionnaise était au chômage au 3ème trimestre 2023, contre 7,2% en France métropolitaine. Au 4ème trimestre 2023, dernier bulletin trimestriel en date de France Travail, La Réunion comptait 115 820 demandeurs d'emploi tenus de rechercher un emploi et sans activité. 

"Mépris" 

Face à de tels chiffres, Remy Bourgogne, citoyen se présentant comme faisant partie du "Mouvement Réunionnais", a souhaité interpeller le restaurant de Salazie pour lui faire part de son indignation. "Quel mépris envers nos jeunes issus du Lycée hôtelier de La Réunion Christian Antou, du Centhor, des CFA etc !", déplore-t-il dans sa publication, relayant également l'annonce de l'établissement. 

"Favoriser les talents locaux"

Dans un long communiqué ce mardi, Rémy Bourgogne estime que "nous devons changer notre façon de faire ici à La Réunion", fustigeant des annonces qui ne seraient proposées que dans l'Hexagone en oubliant d'être publiées localement. 

"Il y a des personnes qui ne veulent pas travailler partout, ici et en France hexagonale, mais sous-entendre, comme beaucoup le font, que nous ne serions pas capables, que nous serions paresseux (tout le vocabulaire néo-colonial) est inacceptable, et nous nous dresserons toujours contre cela ! Il est temps de repenser notre approche de l'emploi et de favoriser les talents locaux." 

Rémy Bourgogne, Le Mouvement Réunionnais

Le citoyen du "Mouvement Réunionnais" dit même avoir recherché les offres d'emploi sur France Travail pour des chefs de rang, et n'en avoir trouvé que quatre, mais "aucune annonce de la Villa Marthe". "De plus, aucune annonce n'est visible sur les réseaux sociaux du restaurant", dénonce-t-il.

Des employés dans l'incompréhension

Pourtant, à Hell-Bourg, l'affiche informant de la recherche d'un chef de rang est bel et bien placardée à l'intérieur du restaurant concerné ce mardi midi. Et les employés de cet établissement bien connu dans le village, au lendemain de cette polémique, ne comprennent pas pourquoi leur annonce fait tant de bruit. 

Restaurant à Hell-Bourg, Salazie

"On cherche juste du personnel compétent"

D'autant que, selon Shayna, assistante de direction du restaurant, les compétences recherchées de chef de rang se font rares localement. "On cherche juste du personnel compétent, pour proposer un service de qualité", justifie-t-elle, faisant part de son incompréhension. 

"On se retrouve démunis quand on arrive en grosse saison et qu'on a besoin de personnel. Forcément, à un moment donné on est obligés de s'ouvrir à autre chose, d'élargir les horizons et de chercher ailleurs parce qu'on a besoin de ce personnel qualifié là pour travailler".

Shayna, assistante de direction

Des compétences liées à l'expérience

Une situation que confirme Jérémy Laup, le gérant du restaurant concerné, lui-même formateur pour adultes. Selon lui, les compétences requises pour le poste de chef de rang sont extrêmement précises, et "ne s'acquièrent pas forcément au lycée mais davantage par l'expérience".

Ecoutez les précisions de Jérémy Laup, gérant du restaurant, invité sur le plateau de Réunion La 1ère : 

Interview de Jérémy Laup, gérant de restaurant

Absence de demandes sur le poste

Alors "favoriser les talents locaux", oui, mais quand il y en a sur le marché... Le gérant aujourd'hui visé par les critiques dit avoir tout tenté, et "dans l'ordre" : Pôle Emploi, des groupes de recherche d'emploi locaux sur les réseaux sociaux comme "Job 974", le réseautage... Et même son "vivier d'apprenants", en tant que formateur. Sans succès. 

"Bien sûr qu'on a des Réunionnais capables à La Réunion ! La preuve, on a beaucoup de Réunionnais embauchés chez nous là-haut (à Hell-Bourg, ndlr)"

Jérémy Laup, gérant du restaurant

Difficultés de formation

Jérémy Laup met en évidence des difficultés de formation à La Réunion, notamment dans "l'accompagnement pour la suite" qui fait encore défaut pour avoir "des chefs de rang de qualité". Autrement dit, les compétences sont bien là à La Réunion, mais elles restent encore à être peaufinées. "Il faut continuer à former ceux qui vont sortir du Centhor et du lycée hôtelier", insiste-t-il. 

"Pour être chef de rang il faut pouvoir accueillir le client, porter trois ou quatre assiettes, maîtriser le porter du plateau, maîtriser l'anglais, l'argumentation commerciale, connaître les vins, les cocktails, les plats, savoir gérer une équipe, savoir ouvrir et fermer le restaurant, gérer l'encaissement, la fidélité clients... Tout ça,  ce sont des choses qu'on n'acquiert pas forcément au lycée, mais avec l'expérience"

Jérémy Laup, gérant du restaurant

Des conditions qui peuvent faire freiner les candidats

Le gérant est également bien conscient des freins qui existent autour de ces métiers de la restauration : amplitude horaire, travail le soir et le week-end, saisonnalité forte...

La localisation du restaurant, à Hell Bourg, peut aussi faire reculer certains candidats habitant dans les bas. "Un territoire qui est isolé et un peu loin pour certaines personnes en recherche d'emploi", reconnaît-il. 

Salaire selon expérience

Il y a aussi les salaires, réputés pour ne pas être très élevés dans le secteur, que ce soit à La Réunion ou en métropole. Selon Jérémy Laup, un chef de rang exerçant 39 heures par semaine peut prétendre à 1 600 euros de salaire net mensuel a minima, et plus en fonction de son expérience. "Je suis extrêmement ouvert sur la rémunération, mais en face de la rémunération, il faut des compétences", affirme Jérémy Laup. De toute façon, c'est l'expérience qui va primer lors du recrutement à ce poste, fait-il comprendre. 

Une problématique vieille de plusieurs années

Quoi qu'il en soit, la problématique de la pénurie de candidats dans ces métiers n'est pas nouvelle. De nombreux établissements dans l'hôtellerie et la restauration peinent à trouver de la main d'oeuvre, encore plus depuis la crise Covid et le confinement. 

L'étude "Besoins en main d'oeuvre" publiée par Pôle Emploi en avril 2023 faisait ressortir des pénuries de candidats dans les domaines de l'hébergement-restauration, l'action sociale, et la formation. Selon les données repertoriées par l'organisme, depuis renommé France Travail, les entreprises réunionnaises faisaient part de 530 projets d'embauche de serveurs de cafés et restaurants, et 910 projets d'embauche d'employés polyvalents de cuisine.

Manque d'expérience ou de diplômes

D'après la même enquête, parmi les motifs de d'inadéquation des candidats en 2021, les entreprises citaient dans 64% des cas un manque d'expérience professionnelle, et dans 58% des cas une insuffisance de formation ou de diplôme. De quoi souligner, avant toute chose, un réel besoin d'adéquation de la formation aux secteurs qui recrutent à La Réunion.