Loi fiscale : pour l'opposition, le Gouvernement ne sait pas où il va

Commission des finances, à l'Assemblée de Polynésie, le 26 mars 2024.
Absence de données chiffrées, mutisme des représentants de la majorité indépendantiste... L'ambiance était tendue mardi matin lors de la commission des finances à l'Assemblée, après l'annulation de la loi fiscale par le Conseil d'État.

Les élus se sont réunis mardi 26 mars en commission des finances pour aborder à nouveau la loi fiscale. La procédure législative n'ayant pas été respectée, selon l'article 27 du règlement intérieur de l'Assemblée de la Polynésie française, le Conseil d'État a décidé le 25 mars, d'annuler la loi adoptée le 15 décembre dernier. Cette décision fait suite au recours déposé par l'opposition qui dénonçait justement des irrégularités dans l'examen du texte. 

Majorité "muette"

À la base, cette loi concernait l'immobilier, les taxes sur le tabac, les taxes sur les véhicules hybrides et électriques, et la défiscalisation entre autres. Des mesures censées rapporter quatre milliards xpf de recettes au Pays. Appliquée depuis le 1er janvier 2024, elle est aujourd'hui annulée...qu'en est-il donc des recettes fiscales déjà récoltées, ou des exonérations octroyées ? C'est précisément le point qui inquiète l'opposition. "Le ministre a été muet — pour être poli — et n'a apporté aucune réponse. J'ai l'impression qu'il navigue complètement à vue et qu'il attend les dispositions que le Président va lui indiquer" réagit, consterné, Nuihau Laurey du A Here ia Porinetia.

Le ministre de l'Économie n'a pas su chiffrer les pertes ou être précis sur les impacts de cette annulation. "Le résultat de cette loi est vérifiable notamment sur la défiscalisation, sur le fait que beaucoup de projets sont annulés, sont suspendus, et donc il y a un impact réel sur l'activité économique. Et sur ce sujet, aucune indication sur les impacts économiques, aucune sur les dispositions, aucune sur le collectif..." s'est agacé Nuihau Laurey. 

"Pas de cap"

Un collectif budgétaire aurait pourtant dû avoir lieu après la commission, comme c'est le cas dans ces situations, puisque le budget devient "insincère" jusqu'au 11 avril, date où la "nouvelle" loi fiscale doit être votée.

"Le ministre nous a répondu parfois, et d'autres fois qu'il n'avait pas forcément les chiffres en disant finalement qu'il y aurait plus d'argent à redresser de la part de personnes qui ont bénéficié d'exonérations, qu'il y aurait un guichet unique pour que les gens puissent réclamer leur dû. Ce n'était pas tout à fait clair : il y avait différents services, comme la douane, qui faisaient des grimaces pendant que le ministre parlait parce qu’apparemment, il n'y a pas eu de concertations et on voit bien que ça crée le trouble au sein des services. On a un budget insincère depuis hier matin...on aurait dû avoir un collectif par rapport au manque à gagner. (...) En fait, on a en face de nous des gens qui ne savent pas où ils vont, qui n'ont pas de vision, pas de cap...on se demande comment ils prennent des décisions et comment ils disposent des lois. Généralement on met en place des lois avec des chiffres. Or là, (...) ils ne sont pas capables de les motiver si ce n'est avec un doigt mouillé pour chercher le sens du vent" lâche Tepuaraurii Teriitahi, effarée. 

L'opposition est dans le flou face à une majorité muette et un ministre "qui dénigre limite les élus et qui dévalorise la décision du Conseil d'État" dixit Tepuaraurii.

De 400 millions à 1,7 milliards xpf : il faudra chiffrer et combler les pertes liées à l'annulation de la loi

La loi présentée ce mardi est quasi similaire à celle annulée. Si elle l'a été seulement sur la forme, l'élue Tapura n'hésite pas à critiquer le fond. "On arrive à déterminer qu'il y a 1,7 milliard xpf qui a disparu avec l'annulation de cette loi. Il faut les combler. Eux les comblent en représentant exactement la même loi. Là encore, on leur a dit : 'vous ne saisissez pas la chance qui vous est donnée de rectifier le tir, de voir s'il n'y a pas des échecs depuis le mois de janvier.' Ils n'ont pas l'intention de le faire contrairement à ce qui a été dit sur les ondes de Polynésie la 1ère par le Président qui parlait d'amendements possibles" continue d'argumenter l'élue, qui entend voter contre la nouvelle loi le 11 avril prochain.

La veille, Moetai Brotherson avait déclaré depuis Singapour, où il s'est rendu pour un voyage d'affaires, avoir anticipé : "on avait déjà passé en Conseil des ministres la nouvelle mouture, qui est sensiblement la même de la loi fiscale transmise dans le circuit. Elle devrait passer aujourd'hui ou demain en commission à l'APF pour ensuite être présentée en plénière."

Le lendemain, Anthony Géros a adopté le même ton rassurant, en contestant le 1,7 milliard xpf de pertes. Il a plutôt parlé de 400 millions xpf. Un chiffre évalué, selon ses dires, par les acteurs du Pays et qu'il qualifie de "goutte d'eau"... 

"Incapacité patente

Ce n'est pas tout à fait l'avis du sénateur Teva Rohfritsch, membre du groupe "Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants" et accessoirement ancien ministre de l'Économie et des finances. "La loi a été annulée, donc il va falloir rembourser trois mois de recettes fiscales indûment perçues. Une fois qu'on aura remboursé, on aura un trou de trois mois dans le budget du Pays. (...) J'aimerais bien que le ministre des finances confirme ce montant. Si l'avocat du Pays a annoncé 1,7 milliard xpf, pourquoi mentirait-il ? Et quand bien même ce serait 400 millions xpf, ça veut dire qu'il faudrait doubler, on parlerait donc de 800 millions xpf : 400 à rembourser et 400 nouveaux à trouver. Et si on est sur 1,7 milliard, on parle de 3,4 milliards xpf à trouver. C'est énorme. Le fait que l'on ait aucun chiffre à l'issue d'une commission des finances, c'est scandaleux. Jamais on ne nous aurait acceptés cela de notre temps. Notre Polynésie doit se réveiller. C'est bien le Taui, c'est bien cette alternance, mais c'est sérieux de diriger notre Pays !" s'insurge le sénateur, qui voulait d'abord croire en un renouveau avec l'arrivée au pouvoir du Tavini. 

Un an après, il estime que le Gouvernement a eu assez de temps. "Je suis attristé par l'incapacité patente de nos gouvernants aujourd'hui à faire face aux responsabilités qu'ils ont souhaitées" souligne Teva Rohfritsch, qui partage visiblement le même avis que Nuihau Laurey et Tepuaraurii Teriitahi. "C'est affligeant, merci de m'avoir invité ce soir... Je suis pour ma part très inquiet pour notre fenua. La bonhomie du Président au début a séduit un peu tout le monde et où est-il aujourd'hui ? On a vu une vidéo où il s'inquiète à peine de ce qui se passe dans son pays. Le ministre ne donne pas de chiffres. Enfin, on nage dans un flou total" conclut le sénateur.

Il est interrogé par Cybèle Plichart :