Warren Dexter : un ministre indépendantiste aux méthodes libérales

L'invité du journal du jeudi 22 août 2024 : Warren Dexter, ministre de l'économie, du budget et des finances.
Warren Dexter, ancien fonctionnaire dans le domaine de la fiscalité devenu ministre de l'Économie, du Budget et des Finances, était l’invité du journal ce jeudi 22 août. Il défend son projet de loi de Pays et répond à l'opposition, qui fustige le gouvernement et l'accuse de vendre le foncier aux étrangers.

Warren Dexter, 52 ans, a effectué une grande partie de sa carrière à la direction des impôts et des contributions publiques. Il a aussi été consultant dans le privé.

"Je dirais qu'entre les deux, j'ai pas mal baroudé dans les ministères comme conseiller, que ce soit dans les gouvernements indépendantistes ou autonomistes. Puis j'ai fait un petit passage aux affaires foncières. Jj'ai voulu connaître un peu la profondeur des problèmes fonciers de notre population."

Warren Dexter - ministre de l'économie, du budget et des finances

Aiata Tarahu : Vous êtes le ministre de l'Économie, du Budget et des Finances depuis le 19 août dernier. Pour en revenir à la séance qui s'est tenue à l'Assemblée ce jeudi 22 août, le gouvernement se défend, en indiquant qu'il n'a fait que copier et coller cet alinéa adopté par son prédécesseur. L'opposition, elle, accuse le gouvernement de vendre le foncier aux étrangers, puisque lorsqu'elle était au pouvoir, cette disposition n'était réservée qu'aux locaux. C'est le cas oui ou non ?

Warren Dexter : Non, ce n'est pas vrai. Cette disposition sur les acquisitions foncières, on a repris texto ce qui existait avant. Un texte qui a été adopté sous l'ancien gouvernement.

Aiata Tarahu : Si, comme vous le dites, vous n'avez fait que du copier-coller, ça signifie qu'aujourd'hui la politique du Tāvini, c'est de permettre qu'un étranger puisse acquérir du foncier privé avec une exonération d'impôts de surcroît ?

Warren Dexter : "C'est ça. En fait, ce dispositif, encore une fois préexistant, on a voulu le rendre plus facilement accessible. Parce qu’on veut proposer une alternative à tous les porteurs de projets, au-delà de dix milliards de francs pacifiques, à qui désormais on dit non à la défiscalisation. Parce que le problème qu'on a aujourd'hui, c'est qu'il y a une saturation de la défiscalisation. C'est quoi la défiscalisation ? [...] Vous avez des sociétés, au lieu de mettre leurs impôts dans la caisse du Territoire, elles les mettent dans les projets. Et aujourd'hui, on a plus assez de sociétés pour financer les projets. C'est pour ça qu'on propose d'autres alternatives pour les projets d'envergure."

Aiata Tarahu : Et concernant le foncier, vous confirmez ce que dit l'opposition ? Les étrangers pourront acquérir du foncier avec une exonération d'impôts ?

Warren Dexter :"Absolument. Ça existait déjà. Mais je pense que tout le monde a noté que c'est une manœuvre politique. Parce qu'ils ont voulu mettre le doigt sur un sujet qui est, on va dire, tabou au niveau du Tāvini Huira'atira ."

Aiata Tarahu : Mais est-ce que l'objectif, quand on est dans un nouveau gouvernement en plus, ce n'est pas de faire mieux que le précédent ?

Warren Dexter : "On fait mieux là, mine de rien, en rendant ce dispositif plus facilement accessible. En plus, on a amélioré un peu les régimes d'exonérations fiscales. Là vraiment, je pense qu'on est paré pour que des investisseurs étrangers et même locaux, parce que c'est aussi accessible à des investisseurs locaux, puissent venir développer notre fenua."

Aiata Tarahu : Selon vous, ce n'est pas contraire à l'idéologie du Tāvini Huira'atira , qui consiste à dire que les terres ne doivent pas être vendues aux étrangers ?

Warren Dexter : "Si, clairement. J'ai eu l'occasion de discuter en comité de majorité et je pense qu'avec le président Brotherson, on a pu les rassurer. Parce qu'il existe, en réalité, plusieurs garde-fous pour empêcher qu'il y ait des abus. Moi j'ai expliqué qu'on a déjà un droit de préemption. C’est-à-dire que si le Pays ne veut pas qu'un étranger achète un terrain, on a le droit de venir préempter. C’est-à-dire l'empêcher d'acheter, on va acheter nous-même. On a le régime des investissements étrangers où clairement, l'investisseur qui vient avec un projet ici on peut lui dire non, sans avoir à se justifier. Enfin, il y a le fameux arrêté d'agrément. C’est-à-dire que pour bénéficier des exonérations fiscales, il faut qu'il soit agréé par le conseil des ministres. Donc si le gouvernement n'en veut pas, il n’aura pas ses exonérations fiscales. À partir de là, on a rassuré les élus du Tāvini."

Aiata Tarahu : Il n'était pas plus simple de mettre un amendement et de supprimer tout simplement cette disposition ?

Warren Dexter : "J'étais opposé parce qu'encore une fois, on a besoin d'investissements dans ce pays. Il faut rendre les dispositifs attractifs. Aujourd'hui, on a la compétition internationale. Quand on est allé il y a quelques mois à Singapour, là-bas, ils ont tendance à placer là où c'est le plus rentable. C'est commun à tous les grands portefeuilles de ce monde. La matière hôtelière par exemple, va beaucoup aux Maldives, où vous avez une main-d’œuvre qui est trois à quatre fois moins chère que chez nous. Pour être compétitifs, on est obligés de proposer des leviers. Dans notre modèle social on ne peut pas baisser les salaires, tout le monde le sait. Il faut trouver d'autres solutions et ce sont celles-ci : les exonérations fiscales à l'importation et les exonérations à l'exploitation."

Aiata Tarahu : Les médias et les mauvaises langues diront que c'est une loi taillée sur mesure pour cette chaîne Aman Resorts, on l'a entendu dans le reportage, qui est un groupe singapourien et qui souhaiterait racheter un hôtel à Bora Bora. Vous confirmez ?

Warren Dexter : "Je confirme. Mais j'ai envie de dire que même s'il n'y avait pas Aman qui se positionnait, on aurait de toute façon proposer ces mesures. Lors de notre mission, on a vu beaucoup d'intérêts des investisseurs singapouriens pour venir en Polynésie. De toute façon, même s'il n'y avait pas eu Aman, on aurait travaillé ce texte. C'est clair et net."

Aiata Tarahu : C'est une loi qui bénéficie aussi aux grands projets touristiques, est-ce que cela ne dénote pas un petit peu avec la volonté du gouvernement de soutenir la petite hôtellerie ?

Warren Dexter : "Non, la petite hôtellerie est également soutenue à son niveau. D'ailleurs, je pense qu'aujourd'hui [jeudi 22 août NDLR], il y a un texte aussi qui est passé après les notes, en faveur des pensions. Ce sont des systèmes d'aides directs où le pays subventionne la réalisation de projets de pensions de familles. Non, ils ne sont pas du tout oubliés."

Aiata Tarahu : Un mot sur la loi fiscale annulée par le Conseil d'Etat, qu'en est-il des sommes non perçues, est-ce qu'elles seront réclamées ou ce sera cadeau ?

Warren Dexter : "C'est toujours en débat. C'est une problématique compliquée, parce que cet épisode contentieux nous oblige à réclamer 350 millions de francs pacifiques. Dont 300 millions de francs auprès des sociétés et 50 millions de francs auprès des particuliers. Notamment auprès des fameux primo acquéreurs, qui sont déjà lourdement endettés et à qui on devra réclamer ces droits détaxe. On fait vraiment tout pour procéder à ces rappels. Ce que nous allons faire prochainement, c'est saisir le juge administratif. Pour savoir si oui ou non nous avons le droit de ne pas réclamer ces taxes, en précisant que c'est une conséquence induite par la décision du Conseil d'État. Est-ce qu'on peut ou non, entre guillemets, ne pas donner une suite totale dans l'exécution de la décision du conseil d'État ?"

Aiata Tarahu : Vous étiez le technicien à la fiscalité deTevaiti Pomare, on pourrait croire aussi que vous êtes l'un des artisans de cette loi fiscale qui a été retoquée ?

Warren Dexter : "Absolument j'assume totalement."

Aiata Tarahu : Et aujourd'hui vous regrettez ?

Warren Dexter : " Non, parce que pour ceux qui connaissent bien le dossier, la première annulation qu'il y a eu, le gouvernement n'y était strictement pour rien. Il y a juste eu une erreur de procédure dans l'adoption à l'Assemblée. Le texte est passé en commission des finances deux fois et le conseil d'État nous dit : vous n'aviez pas le droit de le présenter une deuxième fois. Mais on ne s'y attendait vraiment pas."

Aiata Tarahu : Mais la loi fiscale a été retoquée sur le fond aussi ?

Warren Dexter : "Non pas du tout. Le texte a été annulé parce qu'il y avait ce vice de procédure, pour avoir présenté le texte deux fois en commission. Là où on est peut-être un peu plus fautifs, c'est avec la deuxième mouture. Pareil, on ne voulait pas réclamer les droits détaxes mais plutôt donner un effet rétroactif, pour éviter d'avoir à réclamer les taxes. Effectivement, c'était un coup de poker et ça n'a pas marché."

Aiata Tarahu : Puisque c'est un coup de poker, aujourd'hui vous ferez mieux ? 

Warren Dexter : "Là on a décidé de sécuriser notre position. On va saisir le juge administratif pour être sûr que cette fois-ci, on voit juste."

Aiata Tarahu : Ce jeudi 22 août, vous avez aussi affirmé à l'Assemblée qu'il faut être plus libéral pour créer des emplois. C'est plutôt une politique de droite. Est-ce que vous voulez transformer la ligne de conduite du Tāvini Huira'atira qui est plutôt une politique de gauche ?

Warren Dexter : "Alors c'est vrai que ça peut paraître cocasse parce que j'ai plutôt des idées assez libérales. Mais ceci étant, je conçois qu'il faut de la régulation, surtout dans de petites économies insulaires comme la nôtre. Parce que si on laisse faire, il y aura encore plus de positions dominantes et encore moins de concurrence. Après, c'est vrai que ça peut entrer en contradiction avec l'idéologie du Tāvini. L'histoire de l'acquisition foncière dans le système des grands investissements ça a été un exemple, où j'ai dû motiver ma position. Je suis content de voir que le président Brotherson est un peu au milieu. Il est guidé par le bon sens en fait. Je ne pense pas qu'on puisse dire que c'est quelqu'un de gauche ou de droite."