Il y a des réalités guyanaises que pas grand monde ne conteste comme le fait que 7 % des enfants de 3 à 16 ans ne soient pas scolarisés, le plus souvent en raison de difficultés d’accès aux établissements scolaires ou de situation familiales particulièrement compliquées. Ou encore, le fait que la Guyane peine à recruter suffisamment de professeurs, notamment au regard des besoins liés à la pression démographique. Sur les dix dernières années, le nombre d’élèves a ainsi augmenté de 12% dans le 1er degré et de 21 % dans le second degré.
Et il y a ce rapport cosigné par deux services interministériels, l’Inspection générale des Finances (IGF) et l’Inspection générale de l’Education, du Sport et de la Recherche (Igers) et dont les conclusions ont été rendues publiques le 4 septembre.
Sur 166 pages et à grand renfort de chiffres et d'infographies, cette « revue de dépenses » des « dispositifs en faveur de la jeunesse » commandée du temps où Elisabeth Borne était à Matignon explique en somme que « les perspectives démographiques à court et moyen terme peuvent justifier une réduction des moyens d’enseignement nécessaires, à politique éducative constante ».
Le rapport s’appuie notamment sur une donnée : la diminution des effectifs scolaires de 350 000 élèves entre 2017 et 2023. Parmi les territoires où une réduction drastique des moyens est envisagée se trouvent les outre mers, et en particulier la Guyane, dont la démographie est pourtant totalement à rebours de la tendance nationale.
Trois scénarios pour "rationaliser les coûts"
Concrètement, le rapport étudie trois scénarios. Le premier (lui-même découpé en trois formules qui varient selon la prise en compte de l’Indice de position sociale (IPS) ou des projections démographiques) cherche à ajuster les « taux d’encadrement » des établissements aux caractéristiques similaires en identifiant des classes « surdotées », c’est-à-dire avec « trop » peu d’élèves par rapport à la moyenne.
Entre 360 à 600 classes pourraient ainsi être supprimées à l'échelle de la France et les cinq académies ultramarines en payeraient un lourd tribut puisqu’elles font partie des six académies présentant le taux « d’élève par classe », le plus faible, et donc, selon la logique du rapport, le plus de classes « sur dotées ».
« Les académies de Guyane, de Guadeloupe et de Martinique sont très fortement sur-représentées parmi les classes susceptibles d’être fermées. En effet, la Guyane représente une part de classes fermées plus de 6 fois supérieure à la proportion des classes situées en Guyane, et ce, pour l’ensemble des scénarios retenus »
Les auteurs du rapport IGS-IGERS
Difficile de croire que ce calcul purement comptable ignorant les spécificités du territoire (par exemple le nombre plus élevé qu’ailleurs d’élèves allophones ou maîtrisant mal le français, dont les difficultés particulières justifient leur présence dans des classes plus petites qu'ailleurs...) considère la question démographique comme le mentionnent pourtant les auteurs du rapport.
En effet, selon l’Insee, la Guyane, département parmi les plus jeunes de France, connaît la première croissance démographique du pays (hors Mayotte), de l’ordre de 1,6 % par an en moyenne. L'institut prévoit que la population atteindra 428 000 habitants en 2050, soit un doublement par rapport aux années 2000.
Relever le seuil de dédoublement des classes
Le second scénario étudié par les inspecteurs généraux n’épargne pas non plus la Guyane. Sur ce volet, le rapport s’intéresse aux économiques réalisables grâce au relèvement du seuil de dédoublement des classes de CP CP-CE1 et CE1 en éducation prioritaire. Cette mesure instaurée en 2017 fixait un seuil de 12 élèves par classe afin d’améliorer la capacité d’apprentissage des écoliers et réduire les inégalités scolaires.
En relevant le seuil de dédoublement à 15 élèves par classe, la Guyane perdrait par exemple 93 classes, et serait la troisième académie la plus touchée de France, derrière Créteil (124) et Versailles (136).
Au niveau national, cette mesure permettrait de supprimer entre 117 et 2359 classes, selon si le relèvement du seuil se fait jusqu'à 13 ou 17 élèves par classe.
« En proportion, quel que soit le seuil de dédoublement choisi, les niveaux les plus concernés par des fermetures de classes se situent dans les académies de Guyane, Montpellier, Reims, Toulouse, Versailles et Lyon, en milieu urbain et en réseau d’éducation prioritaire renforcée »
Les auteurs du rapport IGS-IGERS
Enfin, le troisième scénario se penche sur la cohérence du « maillage territorial » et identifie une série d’établissements que l’on pourrait tout simplement supprimer, d’autres se situant à moins de 20 minutes en voiture, donc suffisamment proches pour en absorber les élèves. En tout, 1 925 écoles, soit 4% du total et 33 collèges (0,5% du total) ont été trouvés, soit une « redistribution de 5700 postes », mais la Guyane n’est, pour le coup, pas concernée.
L’inverse aurait été audacieux de la part des auteurs du rapport, sachant que la Guyane manque cruellement d’établissements scolaires et compte plusieurs chantiers, comme le collège de Montsinery-Tonnégrande qui devait ouvrir à la rentrée 2024 ou le lycée de Maripasoula prévu pour 2025.
Des pistes de travail pour nourrir le projet de loi de finance 2025 ?
Si ces différentes modélisations ne sont que des « pistes de travail » et non des « recommandations » proprement dites, leur décalage avec la réalité ultramarine, et particulièrement guyanaise, pose question. Un élément de réponse est peut-être à trouver en préambule du rapport lorsque les auteurs reconnaissent que ce « travail en chambre » doit être « affiné par des informations relevant des services déconcentrés [de l’Etat] afin d’en asseoir l’acceptabilité ».
En tout cas, ces propositions ont de quoi inquiéter les personnels du monde éducatif et les collectivités locales à l’approche des débats sur le projet de loi de finance 2025 marqués par un contexte de déficit public bien plus fort qu'anticipé.