Contrats de développement, la Cour des comptes appelle à mieux encadrer les prochains

Exemple d'avenant signé entre l'Etat et une collectivité calédonienne pour ajuster un contrat de développement.
Quel avenir pour les contrats dédiés au développement et au rééquilibrage de la Nouvelle-Calédonie ? Ils font partie du processus tracé par les accords de Matignon et Nouméa. Or, cette période transitoire se termine, et la sixième génération de contrats arrive à échéance fin 2023. Raison pour laquelle la Cour des comptes l'a passée au crible. Entre apport positif et dysfonctionnements, elle en retire neuf recommandations. [2/2]

Le moment a du sens. Ce qu’on appelle les contrats de développement de la Nouvelle-Calédonie sont passés à la loupe par la Cour des comptes dans un rapport diffusé mardi 19 septembre. Et non pas la Chambre territoriale des comptes, le sujet étant de compétence Etat.

>> Retrouvez la présentation du dispositif dans ce premier article.

Le dispositif, spécifique au Caillou, est un élément à part entière du processus engagé avec les accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa. Les contrats de développement, qui "constituent une part significative de l’effort financier de l’État", sont inscrits dans la loi organique. Avec une ambition à la fois très large et à long terme, relève la vigie des finances publiques en citant l'article 210 de cette loi : "Les actions et opérations prévues par ces contrats favorisent l'accès aux formations initiales et continues, l'insertion des jeunes, le développement économique, l'amélioration des conditions de vie des populations et le développement culturel."

Les contrats de développement, outils financiers d’accompagnement du processus d’auto-détermination.

Rapport 2023 de la Cour des comptes, sur les contrats de développement

Moment déterminant

Or, "le processus transitoire du statut (…) arrive à son terme, alors même que le territoire connaît une démographie en berne, une économie en récession et de fortes tensions sur ses finances publiques locales", résume la Cour. "Quelle que soit l’évolution statutaire et institutionnelle du territoire", la poursuite de tels objectifs nécessitera le maintien d’une action publique qui devrait, conseillent plus loin ses magistrats, tenir compte d'une série de recommandations. 

Regard mitigé

En effet, observent-ils, "les contrats de développement, outils financiers mis en place depuis 1990 à l’appui du processus politique, montrent des réalisations concrètes et des projets d’accompagnement utiles par le financement de plus de 300 projets dédiés au développement du territoire et à l’amélioration des conditions de vie de ses habitants".

Cependant, estime le rapport, "ils n’ont pas permis d’inverser les grands déséquilibres historiques, économiques et sociaux du territoire. Si ces contrats œuvrent au rééquilibrage (…), l’évaluation de leurs impacts réels est aujourd’hui impossible faute d’avoir financé ces projets sans se préoccuper des modalités d’évaluation de leurs effets. Il n’en demeure pas moins que l’attractivité de la province Sud reste majeure et que le financement d’équipements publics ne peut à lui seul répondre à des disparités sociales qui restent fortes." 

Un cadre jugé "peu exigeant"

Forte de cette analyse, la Cour des comptes appelle à mieux encadrer et définir la prochaine génération. "Si les contrats font l’objet d’un suivi rigoureux, leur exécution n’en demeure pas moins complexe au regard d’un cadre de contractualisation peu exigeant, permettant l’inscription de projets non matures ou dont la soutenabilité financière n’est pas avérée, retient-elle.

Y compris à plus long terme : un équipement terminé peut ne pas être mis en fonction faute de moyens pour le faire fonctionner dans la durée. "À ces difficultés s’ajoute une maîtrise foncière souvent incertaine au regard de la possible restitution des terres liée au droit coutumier. De plus, l’impact des contrats est peu, voire pas évalué, au regard de subventions qui mêlent crédits d’investissement et de fonctionnement sans distinction ni lisibilité."

Exemples

En exemple de dossier pas bien ficelé, pour de multiples raisons, la Cour cite le projet de barrage à Pouembout "que la province Nord a souhaité inscrire dans le contrat de développement 2017-2022". Fin 2022, la collectivité "éditait un bilan du projet laissant apparaître que la maitrise foncière n’était toujours pas assurée, que les premières études venaient seulement d’être rendues et que les autorisations administratives étaient attendues dans un délai de 18 mois"… 

Au-delà des tensions sur les finances publiques locales, l’impréparation des projets au moment de la contractualisation comme le manque d’ingénierie conduisent à de très nombreuses modifications et avenants (267 révisions sur 330 projets). Le pilotage concomitant de dix contrats territorialisés accentue ces difficultés intrinsèques.

Synthèse du rapport 2023 sur les contrats de développement

Ailleurs dans ce rapport, la Cour interroge le "dimensionnement de certaines opérations". Comme le nouveau pont de Lekine à Ouvéa"L’ouvrage (…) est considérablement plus grand que la précédente structure, sans qu’aucun besoin supplémentaire n’ait été identifié. Il aura coûté (…) 2,7 milliards de francs CFP financés à 45 % par l’État", relève-t-elle. Rappelons que la raison invoquée pour un tel montant a été la réponse aux contraintes environnementales, notamment l'érosion du littoral. 

Les futurs contrats "devront être mieux circonscrits"

Au vu de ses observations, la Cour des comptes émet cet avis : "Pour l’avenir, les contrats devront être mieux circonscrits financièrement, mais aussi qualitativement ,en ne retenant que des projets matures, soutenables budgétairement par les collectivités bénéficiaires et dont la maîtrise foncière sera avérée. En se focalisant sur des investissements structurants, ils devront permettre un accompagnement mieux adapté aux enjeux du logement social, principalement dans le province Sud, et faire des enjeux environnementaux et climatiques une priorité mieux intégrée." 

Attention à avoir sur le logement social…

"Si le volet du logement et du logement social est aujourd’hui prépondérant dans les contrats de développement", est-il en effet souligné, "il conviendrait pour l’avenir de concentrer les aides sur la rénovation afin de ne pas accroître, par des constructions neuves, un niveau de vacance déjà très élevé. Dans cette optique, les financements concernant le logement ne devraient plus être soumis à la clé de répartition du rééquilibrage, dès lors que les enjeux sont très principalement situés dans la province Sud."

… et le changement climatique

Par ailleurs, écrit encore la Cour, "les enjeux environnementaux et d’adaptation au changement climatique sont désormais primordiaux. Si la dernière génération des contrats a amélioré leur prise en compte, le changement climatique observé, la multiplication des incendies, les inéluctables risques de submersion marine à Ouvéa ou sur la Grande terre, nécessitent des mesures urgentes". Une attention qui fait écho aux intentions récemment exprimées par les représentants de l'Etat. 

Les recommandations

Les recommandations s'adressent, soit à la direction générale des Outre-mer, soit au haut-commissariat, soit à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.

  1. Définir un mode de contractualisation qui garantit la réelle instruction des projets, le respect de leurs délais d’exécution et la réalité de leur financement.
  2. Retenir les projets d’investissement qui s'appuient sur des études de faisabilité et qui sont soutenables en termes de budget.
  3. Prévoir dans les contrats une clause qui conditionne les financements de l’État à la production d’attestations de maîtrise foncière.
  4. Définir une série d’indicateurs reliés aux objectifs économiques et sociaux des contrats et en assurer un suivi périodique. 
  5. Réserver le cadre des contrats de développement au territoire de Nouvelle-Calédonie et aux trois provinces, et développer d’autres modalités de soutien des projets communaux.
  6. Encadrer les dépenses de fonctionnement par des contrats ou des conventions spécifiques.
  7. Améliorer le volet logement social, en adaptant les financements aux réalités de la province Sud et en prenant mieux en compte la réhabilitation et la résidentialisation dans les projets retenus.
  8. Intégrer, pour chacun des projets ou réalisation, des objectifs relatifs à la transition écologique et énergétique.
  9. Organiser un suivi périodique renforcé, sous l’autorité du haut-commissaire, des crédits gérés par l’Ademe afin de garantir la bonne exécution de ces projets prioritaires.

Ajustements

La lecture de ce rapport laisse penser que des ajustements demandés sont déjà sur les rails. Fin juillet, le haut-commissariat évoquait ainsi "une nouvelle modalité de contractualisation" avec les communes. Ce que demande le rapport. A l'origine, les municipalités n'étaient pas prévues dans les contrats de développement. Elles ont été peu à peu intégrées, avec toute une série de conséquences détaillées dans le document.