Ses racines prennent pied à Nanon-Kenerou, à Canala dans le pays Xârâcùù. Yvon Kona, 63 ans, vient de prendre de façon formelle la présidence du Sénat coutumier, après la passation de pouvoir lors du congrès du pays kanak à N’Dé. Dans le contexte référendaire et de crise sanitaire, alors que l’institution s’interroge sur son avenir, il était l’invité du journal télévisé ce dimanche 5 septembre. Voici ce qu’on peut en retenir.
Dans le sens de la vaccination
Face à la pandémie de Covid-19, le principe d’obligation vaccinale a été adopté vendredi 3 septembre en Calédonie. Dans la foulée, le Sénat coutumier a exprimé une position mitigée : il a répété son soutien à la campagne portée par le gouvernement tout en "prônant la liberté individuelle" de se faire vacciner, ou pas. La question est donc posée à Yvon Kona : "Etes-vous contre la vaccination obligatoire ?"
Réponse : "Lorsqu’on a discuté de la maladie à N’Dé, on a dit la chance suivante : on soutient la démarche initiée par le gouvernement. D’ailleurs, l’aire coutumière à laquelle j’appartiens a organisé des vaccinations à la tribu de Kouergoa en soutien à ce qui a été préconisé. Et on demande à nos autorités coutumières de prendre le relais dans nos tribus."
L'invité du JT a de nouveau parlé au passage de traumatisme laissé par de précédentes épidémies : "Nous avons, à part [le] choc de la colonisation, subi un autre choc qui est le choc microbien", a formulé le président du Sénat. "Je pense notamment à la lèpre. Autour de l’année 1920-1930, on a vu la population kanak atteindre des niveaux assez alarmants et à ce moment-là, on n’avait pas de médicament, pas d’antidote, pour contrer la maladie. Il y a des toponymes, des noms d’endroit qui rappellent des histoires de ce moment-là."
La résolution des conflits comme axe de travail
Autre actualité majeure de la semaine écoulée, l’inhumation des restes d’Ataï et de son dao, mercredi 1er septembre, dans la région de La Foa. Yvon Kona participait à cette célébration très symbolique, qui rappelait une page douloureuse du passé calédonien tout en parlant de réconciliation. Quelles démarches de ce type pourraient être entreprises, voire initiées, par le Sénat coutumier ? "Lorsqu’on parle de conflits dans notre pays, on a toujours deux dates qui ressortent", répond son président en parlant de la révolte de 1878 et celle de 1917 dans la région de Hienghène. "Je pense que ce qui s’est passé à La Foa va permettre d’ouvrir d’autres portes."
La résolution des conflits dans le monde kanak étant inscrite dans les objectifs du Sénat pour l'année à venir. "J’ai envie de m’attarder dessus durant ma mandature", ajoute Yvon Kona. "On ne pourra pas faire un avenir avec l’autre tant qu’on n’aura pas réglé les problèmes entre nous." Mais attention, en cas de conflit, "le Sénat coutumier n’est pas là pour régler le problème. On est là pour inciter, à des réunions de demande de pardon."
Pour le référendum, "pas de prise de position politique"
A presque trois mois du référendum, la question est aussi posée d'une prise de position par le Sénat coutumier. "Pas de prise de position politique pour le 12 décembre" à l'échelle de l'institution, assure Yvon Kona, qui insiste plutôt : "Le vote est un droit. Il faut aller voter tout simplement, peu importe que tu votes d’un côté ou de l’autre." Avec un double appel :
Peu importe le résultat qu’on aura au soir du 12 décembre, il faut qu’il soit respecté de part et d’autre. Mais dans tous les cas de figure, si une nouvelle page de l’Histoire s’écrit, nos autorités coutumières ont toute leur place dedans, pour la suite.
Quel fonctionnement à l'avenir ?
L'avenir du Sénat et des institutions coutumières calédonienne au-delà du référendum, c'est un axe de l'équipe en place. "Au congrès de N’Dé, une des résolutions qui a été entreprise est de nommer un groupe de travail qui va réfléchir sur les modalités de [fonctionnement] après. Je fais confiance à ce groupe de travail qui va se réunir d’ici peu". Il est notamment question de changer le mode de désignation des sénateurs. Avec la possibilité de faire siéger des femmes ? "Pourquoi pas".
Rappeler à la jeunesse "les fondamentaux"
Homme de transmission, ne serait-ce que par son travail à l’Agence pour le développement la culture kanak, il met en avant les nouvelles générations. S'il leur souhaite avant tout d’avoir un emploi, celui qui a été nommé sénateur de son aire en 2020 prône un travail particulier sur la jeunesse. "Au Sénat, on a des motions de tous les congrès de la jeunesse [kanak]. Quand on relit tous ces textes, on s’aperçoit qu’il y a une perte d’identité, une perte de repères. J’ai proposé de revenir aux fondamentaux : la naissance, le mariage et le deuil. Sans ça, on ne pourra jamais avancer."
Un internaute l’interroge, entre autres, sur "les incivilités commises par notre jeunesse". "Lorsqu’on regarde la tranche d’âge des jeunes qui commettent des choses pas bien, on va dire, on s’aperçoit que c’est à partir de treize ans", répond Yvon Kona.
Il évoque donc le besoin d’agir, en prévention, sur les plus petits : "Je pense qu’il faut faire un travail sur la jeune génération, niveau primaire, par exemple. Sans ce travail-là, on va toujours continuer à avoir des incivilités et ça risque de s’aggraver dans le temps." Avec toujours cette idée de transmettre les grandes étapes de la vie kanak, présentées comme "les fondamentaux" de la culture.
Le sujet "difficile" du cadastre coutumier
Comment avance la mise en place d’un cadastre coutumier, demande un autre internaute. "Quand on dit cadastre coutumier, ça veut dire définir la place de chaque clan dans un espace bien défini", restitue l'invité du JT.
"On s’est aperçu qu’il y a eu des mouvements de population, beaucoup trop de mouvements de population. Je prend l’exemple des îles Belep. Comment voulez-vous qu’on fasse un cadastre coutumier dans les normes puisqu’on sait qu’une partie des gens qui sont là-haut sont partis de la région de La Foa? De même dans les îles du Sud, notamment à l’île des Pins." Bref, il s'agit d'"un sujet assez difficile, parce qu’au bout de toutes ces années de colonisation, il va falloir redire la place qu’on occupait [il y a cent, 150, 200 ans…] C’est un gros chantier de travail."
Retrouvez l'entretien complet avec Nadine Goapana :