FACT-CHECKING. On a vérifié huit affirmations sur la réforme du Ruamm

Opposants et partisans la réforme ont distillé de nombreux éléments de communication ces dernières semaines.
"Tout comprendre sur le Ruamm et sa réforme" [3/4]. Dans la rue ou sur les réseaux sociaux, la réforme du Ruamm a suscité beaucoup de réactions ces dernières semaines. Retour sur huit affirmations concernant la proposition de loi de l'Eveil océanien.

Ces dernières semaines, partisans et opposants à la réforme du Ruamm ont multiplié les prises de parole sur le sujet. S'il est impossible de se pencher sur toutes les affirmations, nous avons choisi de travailler sur celles qui ont suscité le plus de réactions.

1) Les patentés qui gagnent 150 000 francs par mois vont-ils devoir donner un mois de salaire en plus pour payer le Ruamm ?

Dans le journal télévisé du 19 février, Sonia Backès affirmait qu'un patenté gagnant 150 000 francs par mois devrait payer un mois de plus de salaire au Ruamm à cause de la réforme.

La secrétaire d'Etat n'a pas tort. Son calcul concerne toutefois uniquement les 18 % de travailleurs indépendants ayant choisi la formule partielle, sans l'option "prestations en espèces". Autrement dit, la formule avec le taux de cotisation le plus bas (5 %). Les travailleurs ayant choisi cette formule devront payer 8,5 points de plus par mois, ce qui équivaut à environ 30 jours de revenus à l'année.

2) Des compensations ont-elles été prévues pour les travailleurs indépendants gagnant de faibles revenus ?

Les membres du collectif "Agissons solidaires" ont à maintes reprises brandi le cas des travailleurs indépendants gagnant de faibles revenus. Si Milakulo Tukumuli évoque "des compensations" lorsqu'il est question des plus faibles revenus, le projet actuel de réforme ne prévoit rien de concret à ce sujet pour l'instant.

"Rien n’a encore été acté : les travailleurs indépendants à faibles revenus seront aidés, mais les modalités, et donc le taux, sont en discussion depuis décembre 2022", nous ont confirmé les collaborateurs de l'Eveil océanien.

Il s'agira très certainement de l'une des questions sensibles abordées par la nouvelle commission spéciale au Congrès, qui doit apporter "des réponses concrètes" d'ici au 31 décembre prochain. 

3) La réforme vise-t-elle à "contenter les créanciers du gouvernement" ?

C'est l'un des arguments des opposants à la réforme. Dans un message plusieurs fois relayé sur les réseaux sociaux, il est écrit que "la réforme vise à contenter les créanciers du gouvernement (organismes bancaires et AFD) qui, en échange des prêts qu'il a contractés ces dernières années, attendent des réformes visant à équilibrer ses comptes publics".

L'auteur du message écrit que Veylma Falaeo, la secrétaire générale de l'Eveil océanien, l'a elle-même indiqué lors de son passage dans le journal télévisé du 28 février. Dans cette prise de parole, la membre du Congrès a effectivement évoqué très brièvement "l'annexe 6 lors de la signature du premier prêt". Mais elle n'explique pas que l'objectif est de satisfaire les banques et l'Agence française de développement.

Pour rappel, l'annexe 6 avait été signée lors du prêt Covid de 2020. Il s'agit d'un document dans lequel le gouvernement s'engage à suivre une trajectoire vertueuse pour assainir les finances du pays. Parmi les pistes évoquées, figure une "réforme du système de santé calédonien". Un projet régulièrement évoqué sur le Caillou et ce, bien avant la signature de l'annexe.

4) La réforme fait-elle peser tout le poids du déficit sur les travailleurs ?

Dans une publication sur les réseaux sociaux, le Medef-NC affirme que "la réforme fait peser tout le poids du déficit sur les travailleurs". L'affirmation peut toutefois être nuancée. Si les indépendants vont effectivement voir leurs cotisations augmenter de manière significative, d'autres travailleurs vont au contraire gagner en pouvoir d'achat.

C'est le cas par exemple des salariés, qui cotiseront moins qu'actuellement si leur salaire est inférieur à environ 800 000 francs brut. À l'inverse, les salaires supérieurs à cette somme seront impactés par la réforme.

En parallèle, le projet ne s'appuie pas exclusivement sur les travailleurs, mais aussi sur la "modernisation" des secteurs aidés et de la réduction sur les bas salaires, qui concernent également les employeurs. 

5) Y a-t-il eu un manque de concertation autour de la réforme du Ruamm ?

Lors des manifestations contre la réforme du Ruamm, les organisations et certains partis politiques ont, à l'instar d'Elizabeth Rivière, déploré un manque préalable de concertation. Une affirmation fermement démentie par Milakulo Tukumuli, dans un entretien accordé à nos confrères des Nouvelles calédoniennes le 26 février dernier.

Entre août et novembre 2022, plusieurs réunions ont été organisées pour discuter de la réforme et de la CRDSC, une taxe visant à rembourser progressivement la dette du Ruamm. Ces groupes de travail ont réuni des organisations syndicales de salariés, des organisations patronales et un représentant du gouvernement. La proposition de loi mentionne d'ailleurs les différentes revendications des partenaires sociaux.

Les chambres consulaires n'ont en revanche pas été invitées à ces discussions. "Elles n’ont pas à participer, ce sont des chambres consulaires", nous a indiqué Milakulo Tukumuli.

6) Le secteur aidé de l'agriculture bénéficie-t-il à des personnes non-identifiées par les registres de la chambre d'agriculture et de la pêche ?

Dans un entretien accordé à RRB le 17 février dernier, Milakulo Tukumuli a pointé l'écart entre les travailleurs identifiés à la CAP et ceux concernés par les exonérations du secteur aidé de l'agriculture.

"À la chambre d'agriculture et de la pêche, il y a 1 000 salariés identifiés. Quand on va à la Cafat pour demander qui on va compenser en termes de secteurs aidés, elle nous dit qu'il y en a 3 000. Les 2 000, on ne sait pas où ils sont. Ni nous, ni la chambre d'agriculture, ni personne", a-t-il affirmé.

Interrogée sur le sujet, la Cafat a confirmé cette information. "Des vérifications sont en cours pour déterminer les raisons de cet écart", nous explique la direction, qui n'est pour le moment pas en mesure d'expliquer ce constat. Les résultats des vérifications sont attendus dans la semaine du 20 au 26 mars.

7) Des travailleurs gagnant plusieurs millions de francs bénéficient-ils d'exonérations de cotisations ? 

Dans le même entretien, Milakulo Tukumuli a insisté sur l'importance de réviser les secteurs aidés. "Les exonérations à 75 % concernent tout aussi bien les salaires à 200 000 francs que ceux à 2 millions", a-t-il affirmé à l'antenne. 

Il n'y a effectivement pas de plafond pour les secteurs aidés. D'après la Cafat, il est tout à fait possible qu'un travailleur gagnant deux millions de francs bénéficie de l'abattement sur le taux de cotisation. L'organisme ne dispose toutefois pas de statistiques pour vérifier si ce type de cas existe réellement.

8) Le rapport de DME se montre-t-il critique vis-à-vis de la réforme ?

Les opposants à la réforme font régulièrement référence au "rapport Sudrie", du nom de l'économiste en charge, via son cabinet DME, de la plupart des études commandées par le gouvernement calédonien.

Capture écran de la synthèse de la DME concernant la réforme du RUAMM

Dans sa synthèse, DME souligne les points forts et les points faibles de la proposition. Si le cabinet salue notamment une meilleure couverture des travailleurs indépendants et la réduction des besoins de financement du Ruamm, certaines conséquences négatives sont également évoquées.

DME estime que la valeur ajoutée, autrement dit la valeur de production réalisée au sein des entreprises calédoniennes, diminuera de quatre milliards de francs. Les experts anticipent également une baisse de la consommation de l'ordre de 3,6 milliards, ainsi que la mise en danger de 300 emplois, considérés comme "menacés".

Il faut cependant souligner que le cabinet table, dans son étude, sur la suppression de la Réduction sur les bas salaires et des secteurs aidés. À l'heure actuelle, l'Eveil océanien affirme qu'il ne s'agit pas de "supprimer" mais "moderniser" ces deux types d'exonérations.

"Tant qu'ils n'ont pas été modernisés, on ne supprime pas. Les secteurs aidés datent d’il y a 30 ans. Il faut déterminer, secteur par secteur, si les modalités de l'aide sont toujours pertinentes", nous a précisé Milakulo Tukumuli.

Pour tout comprendre sur le Ruamm et sa réforme, NC la 1ère vous propose une série de quatre décryptages.