Centrale pays : la Chambre des comptes pointe des "errements successifs dans la conduite du projet"

La Chambre territoriale des comptes a publié, mercredi, son rapport sur le contrôle de gestion de la société Nouvelle-Calédonie énergie, chargée de la mise en œuvre de la centrale d'électricité pays. "Au vu des éléments recueillis", écrit la CTC, "rien ne permet d'affirmer que le projet conduit par NCE verra le jour".

La centrale pays "n'entrera en production, au plus tôt, que début 2025", mais près de 930 millions francs CFP y ont déjà été consacrés. C'est ce qui ressort du rapport d'observations définitives rendu public, mercredi 15 décembre, par la Chambre territoriale des comptes (CTC). Alors que sa construction est qualifiée d'urgente, "au vu des éléments recueillis, rien ne permet d'affirmer que le projet de centrale conduit par NCE [Nouvelle-Calédonie énergie] verra le jour", note la chambre.

Le rapport à consulter ci-dessous :

Censée remplacer la centrale électrique au fuel de Doniambo, en fin de vie, et répondre aux besoins énergétiques de la Nouvelle-Calédonie, la centrale pays est portée par Nouvelle-Calédonie énergie. Société de projet dont l'actionnariat est à majorité publique, cette dernière est en charge de sa conception, de son financement, de sa réalisation, de son exploitation et de sa maintenance.

Une solution évoquée depuis 2016

D'une capacité de 200 MW, la nouvelle centrale doit redonner de la compétitivité à la SLN, en entraînant une baisse du coût de production. Mais "malgré l’urgence affichée, le projet de centrale n’a pas encore vu le jour du fait des hésitations sur les besoins à satisfaire, la technologie et le combustible à retenir, mais aussi en raison des interrogations sur la capacité de NCE à financer et à mener à bien le projet", indique le rapport sur le contrôle de gestion de la CTC.

Depuis 2016 et la constitution de NCE, "une succession d'errements dans son pilotage et de remise en cause des fondements du projet initial" retarde le projet, déplore la chambre. Parmi ceux relevés par l'institution, la multiplication des études figure en bonne place, notamment sur le combustible et le choix de la technologie à mettre en œuvre.

Usine de la société le Nickel SLN à Doniambo en Nouvelle-Calédonie

Multiplication des études

Initialement, la SLN, qui a commandé deux expertises, dont la dernière en 2013, tablait sur une centrale au charbon, avant d'y renoncer, faute de capacité de financement. L'Etat, sur demande des élus calédoniens, a ensuite soutenu le projet, à travers une défiscalisation et en garantissant l'emprunt qui sera nécessaire au financement de l'infrastructure.

Deux nouvelles études, menées en 2016, ont ensuite abouti à la solution d'une centrale électrique sur barge, alimentée au gaz. Mais au lieu de suivre ces recommandations, NCE a choisi de commander de nouvelles études de faisabilité et de conception, presque deux ans après avoir composé une équipe technique complète. Les associés orientent les choix technologiques vers deux demi-centrales, ce qui double l'estimation du montant des investissements à mener, qui grimpe alors à 120 milliards de francs CFP.

Des projets concurrents

Après un appel à manifestation d'intérêts lancé auprès des industriels de l'énergie, la solution d'une centrale à gaz sur barge est de nouveau avancée. "Cette solution, pourtant recommandée par l’une des études initiales datant de 2016, décrite comme robuste technologiquement, rapide à mettre en œuvre et pouvant proposer le prix du KWh le plus bas, avait été écartée par les associés lors des études complémentaires qu’ils avaient engagées", pointe la CTC, qui rappelle qu'elle a finalement été retenue pour l'appel d'offres lancé le 19 novembre 2020.

Nouvelle-Calédonie énergie a également étudié une stratégie concurrente, le "tout énergies renouvelables". Jugeant cette alternative "irréaliste", Enercal conduit aussi une étude, pour transformer la centrale de Prony afin de l'alimenter au gaz, puis l'agrandir. Concurrentes, ces deux solutions "bien que menées par deux sociétés contrôlées par la Nouvelle-Calédonie, n’ont pas fait l’objet d’arbitrage. De ce fait, les deux équipes techniques continuent à les développer en parallèle, mobilisant des compétences et faisant appel à des expertises coûteuses", déplore le rapport de la CTC.

D'autant que la centrale pays sera conçue pour s'effacer devant la production photovoltaïque et prendra le relai la nuit et les journées non ensoleillés. Pour la chambre, elle sera alors surdimensionnée "et son taux de charge grèvera inévitablement le coût de production". La CTC estime également que l'absence "d'une trajectoire énergétique à l'échelle de la Nouvelle-Calédonie" freine la conduite du projet.

Un producteur indépendant identifié

De son côté, le gouvernement souhaite confier la réalisation de la centrale pays à un producteur indépendant d'énergie. "Sans que soient examinés les risques et les menaces liés à ce choix et sans que soit initiée une réflexion sur les moyens de contrôle, voire les vetos éventuels, dont pourrait disposer la Nouvelle-Calédonie à chaque stade de réalisation", poursuit le rapport. "En cela, elle renonce à la souveraineté énergétique, qui était un axe fort de l’intervention de la puissance publique dans ce dossier".

Interrogé, Yves Lefèvre, président de Nouvelle-Calédonie énergie, reconnaît "qu'en cinq ou six ans, il y a eu une succession de présidents qui ont pu mettre des coups de barre à droite et à gauche". Il fait le point sur l'avancée de la centrale au gaz sur barge. "Nous avons identifié un prestataire en mesure de répondre à la dernière mouture de l'appel d'offres. C'est un groupement industriel qui s'appelle Karmol. Une association entre un industriel turc et des intérêts japonais. Pour la suite, il appartiendra à la SLN et à Enercal de se mettre d'accord avec le prestataire pour prendre sa proposition ou la décliner", explique-t-il.

929 millions engagés

Fin juin 2020, NCE avait engagé 929 millions de francs dans le projet. Quelque 364 millions ont été dévolus aux salaires de l'équipe projet et aux frais de fonctionnement de la structure. Les études menées ont coûté 499 millions de francs. 

Le renouvellement de la centrale de Doniambo devient urgent. Voilà bientôt un demi-siècle qu'elle est en service et juin 2025 marquera le terme de son arrêté ICPE ("installation classée pour la protection de l'environnement").

Retrouvez ci-dessous Yves Lefèvre, président de Nouvelle-Calédonie énergie, interrogé par Coralie Cochin :

Yves Lefèvre, président de NCE, réagit au rapport de la Chambre territoriale des comptes

Le reportage d'Erik Dufour et Nicolas Fasquel 

©nouvellecaledonie

Le reportage de Coralie Cochin 

Projet centrale pays

Recommandations et rappels

A noter que la Chambre des comptes a assorti son rapport de quatre recommandations et cinq rappels d'obligation juridique.

Les recommandations :

  • prévoir dans ses statuts des dispositions permettant de s’assurer de la présence régulière des membres de son comité de direction.
  • établir un outil de prévision et de suivi budgétaire permettant au comité de direction d’assurer le pilotage de l’entreprise.
  • faire adopter ses procédures d’achat par son comité de direction.
  • se doter d’un outil de suivi des achats afin de s’assurer du respect de ses procédures.


Les rappels d’obligation juridique :

  • la chambre rappelle à la société NCE qu’elle doit se conformer à son objet social.
  • qu’elle doit se mettre en conformité avec l’article 196 de la loi organique qui interdit à tout membre d’une assemblée de province ou du Congrès d’accepter, en cours de mandat, une fonction de membre du conseil d’administration d’une société d’intérêt général.
  • que la décision de rémunérer son président relève de la compétence exclusive de l’assemblée générale.
  • qu’elle doit se conformer aux termes de la convention d’objectifs et de moyens du 28 février 2019 en remettant au gouvernement une copie des études réalisées et en organisant tous les trois mois une réunion de présentation des résultats intermédiaires et finaux.
  • que la société NCE doit se conformer à l’article 16.2 de ses statuts et présenter pour autorisation aux membres de son comité de direction un budget annuel d’exploitation et d’investissement.