Philippe Gomès, cofondateur de Calédonie ensemble : "Pour sauver le nickel, l'Etat doit reprendre le contrôle"

Philippe gomès, cofondateur de Calédonie ensemble, au JT du 28 janvier 2024.
Le cofondateur de Calédonie ensemble, Philippe Gomès, était dimanche soir l'invité du journal télévisé de NC La 1ère présenté par Martin Charmasson. L'élu de la province Sud et du Congrès a abordé les thématiques du nickel et de l'avenir institutionnel.

Après le communiqué commun qui faisait suite aux deux jours de discussions à Bourail entre le FLNKS, l'Eveil océanien, le Rassemblement et Les Loyalistes, Calédonie ensemble a emboîté le pas vendredi 26 janvier, en rendant publiques ses "propositions de convergence avec les indépendantistes".

Si tous les sujets ont été évoqués avec le FLNKS, comme le chantier de l'identité calédonienne, la nécessité d'une mémoire commune, le renforcement d'une souveraineté partagée ou encore une architecture institutionnelle renforcée, restent quelques points de désaccord, comme l'épineuse question du déclenchement du droit à l'autodétermination.

Alors que Calédonie ensemble propose que trois cinquièmes des membres du congrès activent ce droit, l'UNI pencherait pour une activation de ce droit à la majorité absolue, et l'UC proposerait de maintenir les dispositions actuelles avec un tiers des membres du Congrès et la tenue obligatoire d'un référendum en 2029.

Autre sujet d'actualité, le nickel. Dans le collimateur de Calédonie ensemble, Trafigura et Eramet. Dans les deux cas, le parti souhaite le retour d'actionnaires de référence qui assument les risques financiers et les pertes des usines, allant jusqu'à proposer, pour la SLN, une reprise temporaire par l'Etat, le temps d'établir, à long terme, une stratégie industrielle avec la France et l'Union européenne.

Nickel : les actionnaires privés pointés du doigt

Concernant KNS, l'actionnaire Glencore brandit la menace, si aucune solution de financement n'est trouvée d'ici là, de cesser de soutenir l'usine du Nord au 29 février et demande même à se préparer à une éventuelle mise en sommeil. Pour Philippe Gomès, "l'urgence est sur les trois usines. KNS et l'usine du Sud disent que dès le mois de février ça pourrait être le dépôt de bilan, quant à la SLN, elle dit c'est le mois d'avril, donc il n'y a pas une usine qui soit plus en péril que les autres. Les trois sont en péril, parce que leur actionnaire privé ne veut plus investir. Eramet nous dit qu'il ne mettra pas un franc CFP dans sa filiale calédonienne, alors qu'il a réalisé 180 milliards de bénéfices en 2022 et qu'il va investir près de 300 milliards au Gabon, en Indonésie et en Argentine dans les trois années qui viennent. Trafigura nous dit qu'elle ne mettra pas un rond dans l'usine du Sud, alors qu'il vient de faire 650 milliards de bénéfices. Et enfin, Glencore, qui a réalisé des bénéfices extrêmement importants, mais il faut reconnaître qu'ils ont mis plus de 1 400 milliards depuis douze ans dans l'usine du Nord. Ça signifie qu'ils ont couvert les pertes. Ça représente sept années de budget de la Nouvelle-Calédonie. Pour autant, on est dans une situation où aucune usine ne pourra survivre parce que les actionnaires privés veulent, en réalité, en sortir."

Il faut que l'Etat ne soit pas simplement un pompier. Il faut que ce soit aussi un Etat stratège, un Etat actionnaire, qui reprenne le contrôle.

Philippe Gomès

Appel à un "Etat stratège"

Pour le cofondateur de Calédonie ensemble, "il faut que l'Etat ne soit pas simplement un pompier, même si on en a besoin pour couvrir les besoins de ces entreprises en 2024 et passer ce cap. Il faut que ce soit aussi un Etat stratège, un Etat actionnaire, qui reprenne le contrôle. D'abord de la SLN. Je rappelle que l'Etat est actionnaire d'Eramet à hauteur de 27% et que l'Agence des participations de l'Etat a une action dans la SLN. Nous avons proposé également une nationalisation temporaire en ce qui concerne l'usine du Sud. En clair : que l'Etat fasse, en Nouvelle-Calédonie, ce que la Chine a fait en Indonésie : construire une véritable industrie métallurgique sur le nickel à long terme. C'est possible. Lorsque le président de la République a fait son discours sur la place des Cocotiers, il a dit “le nickel calédonien est un enjeu stratégique majeur pour la France et pour l'Europe”. L'Europe a adopté une loi, le 7 décembre 2023, disant que le nickel est une matière première critique et stratégique, c'est-à-dire dont l'approvisionnement n'est pas garanti, ce qui pourrait handicaper la transition énergétique et écologique." Pour faire face à cette urgence, "il faut mettre maintenant des actes derrière les paroles, estime Philippe Gomès. Le nickel calédonien est une chance pour la France et pour l'Europe." 

En réalité, qu'il s'agisse du Ruamm, du budget ou de l'industrie métallurgique, on a aujourd'hui toutes les casseroles de lait sur le feu.

Philippe Gomès

Une incertitude qui plombe l'économie

Il n'y a pas que sur les trois usines que pèse la menace d'une cessation de paiements. Le Congrès a récemment débattu sur le sauvetage d'Enercal. Le régime de santé connaît également des problèmes de financement. Dans ce contexte, l'économie paraît bien plus prioritaire que l'avenir institutionnel. Mais, "on a très rarement une économie déconnectée de l'avenir institutionnel, rappelle l'élu. Par exemple, on vient de passer trois référendums en cinq ans et, au final, vu les incertitudes, les gens consomment moins, les entreprises investissent moins, donc ça crée moins d'emplois et moins d'activité. Il y a une interpénétration dans tous les pays du monde. En réalité, qu'il s'agisse du Ruamm, du budget ou de l'industrie métallurgique, on a aujourd'hui toutes les casseroles de lait sur le feu. Il faut dans un même temps régler la sortie de l'accord de Nouméa, offrir une nouvelle perspective aux Calédoniens et, en même temps, apporter des réponses aux difficultés budgétaires."

Les négociations avec les indépendantistes

Concernant l'avenir institutionnel, le document présenté vendredi Calédonie ensemble, au terme de trois mois de discussions avec les indépendantistes, porte sur les propositions de convergences d'un "grand accord". Principal point d'achoppement dans ce document : le droit à l'autodétermination et la manière de le mettre en œuvre. "Ces propositions ne sortent pas d'un chapeau, enchaîne l'ancien député. C'est le fruit d'un travail de trois mois, d'une centaine d'heures de réunions, avec l'UNI menée par Jean-Pierre Djaïwé, et l'Union calédonienne par Pierre-Chanel Tutugoro. L'idée, c'était de travailler dans un couloir. On a un cadre républicain qui est l'accord de Nouméa, constitutionnalisé, et qui est le plancher de la négociation. On ne peut pas descendre en dessous ni le démonter. C'est le respect du travail des anciens et du parlement de la République. Et il y a un plafond, c'est le résultat des trois référendums. Il y a eu trois fois Non. Respecter ce plafond, c'est respecter la souveraineté qui a été exprimée par le peuple calédonien. Comment trouver des convergences entre ce plancher et ce plafond entre indépendantistes et non-indépendantistes pour construire l'après-accord de Nouméa ? C’est dans ce cadre que nous avons sorti ce document. 90% du texte ont été validés par les deux formations politiques. L'UNI était prête à signer, et on s'est retrouvé face à un blocage avec l'UC, sur le sujet du droit à  l'autodétermination."

Oui ou non à l'indépendance, c'est un référendum mortifère pour le destin commun.

Philippe Gomès

Pour un référendum "de rassemblement"

Sur ce point, Calédonie ensemble défend l'idée qu'il faut sortir du "référendum binaire, du oui ou non à l'indépendance, qui nous oppose entre Calédoniens et qui a fracturé notre société. C'est un référendum mortifère pour le destin commun. Il faut passer à un référendum de rassemblement. Un projet construit ensemble, indépendantistes et non-indépendantistes. Un référendum qui renforcerait le peuple calédonien, pas qui va le faire régresser. Lors des discussions, l'UC, même s'il y a eu des accords sur tout le reste, a dit “non, nous voulons la capacité de demander un référendum avec un tiers des membres du Congrès”, donc qui pourrait n'être demandé que par les indépendantistes et pas par la totalité des élus, et, deuxièmement, qu'il faudrait absolument un référendum en 2029. On ne pouvait pas être d'accord. Le document est donc resté en l'état faute de pouvoir surmonter cet obstacle."

Alimenter le débat pour "un grand accord"

Calédonie ensemble propose dans son document que ce droit à l'autodétermination et le projet soient validés à une majorité des trois cinquièmes du Congrès avant que les Calédoniens s'expriment sur le projet ainsi élaboré. L'UNI, de son côté, prône une validation à l'unanimité des élus du Congrès, qui semble plus consensuelle. "C'est un sujet sensible, radioactif, réagit Philippe Gomès. Mais, en même temps, il faut comprendre qu'on ne peut pas sans arrêt vivre avec cette indépendance qui pourrait du jour au lendemain être de nouveau posée dans le débat public avec toutes les conséquences qui en résultent dans la société. Nous avons souhaité rendre publiques ces propositions de convergence pour qu'elles nourrissent la réflexion de chacun, qu'elles soient un élément de débat. Nous allons également les envoyer à l'échelle nationale, aux présidents de groupe, aux présidents des institutions, aux membres du gouvernement. L'idée, c'est d'irriguer ce qui pourrait constituer, on l'espère, demain, un grand accord."

Valoriser la culture des communautés non-kanak

Autre point de désaccord soulevé dans le document, "la valorisation des cultures des autres communautés", autrement dit celles qui ne sont pas kanak. Sur ce sujet, le cadre de Calédonie ensemble pointe la différence de points de vue avec l'UC : "Nous insistons sur la nécessité de valoriser la culture kanak, bien sûr, comme c'est le cas depuis trente-cinq ans, mais aussi de la culture des autres communautés, qui ont parfois pu ressentir qu'elles étaient moins considérées dans le pays."

Des divergences de taille avec les Loyalistes

En août 2023, Philippe Gomès, invité politique du JT de NC la 1ere, déclarait "on a jusqu'à la fin de l'année pour signer le grand accord qui sera décliné en 2024 avec la modification constitutionnelle et le référendum projet". Six mois plus tard, rien n'est signé, des discussions ont eu lieu entre Calédonie ensemble et indépendantistes, entre Loyalistes et indépendantistes mais le dialogue semble rompu entre Calédonie ensemble et les Loyalistes. "Quand nous avons lancé notre intitative calédonienne, le 23 octobre 2023, explique Philippe Gomès, nous avions invité l'ensemble des formations politiques. Le Rassemblement et les Loyalistes n'ont pas voulu participer à ce travail de convergence, donc nous l'avons fait uniquement avec les indépendantistes. C'est dommage, on le regrette. Nous les avons sollicités pour qu'ils reviennent à la table mais ils ont préféré engager un autre chemin. Ils ont des propositions qui sont quand même très différentes des nôtres. Ils veulent rendre des compétences à l'Etat, ils veulent que tous ceux qui arrivent, au bout de cinq ans, puissent voter, ils veulent désinscrire la Nouvelle-Calédonie de la liste des territoires à décoloniser, supprimer le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie... Nous ne sommes pas sur cette ligne-là. Nous souhaitons poursuivre l'émancipation dans le respect des résultats des référendums."

Accès à la citoyenneté

A l'occasion de son passage sur le plateau de NC La 1ere, les internautes avaient la possibilité de poser des questions directement à Philippe Gomès. Ils l'ont interrogé notamment sur l'entretien d'assimilation à la culture kanak. Cette proposition conditionnerait-elle l'accession à la citoyenneté ? "Cet entretien, ce n'est pas Calédonie ensemble qui l'invente, précise l'ancien maire de La Foa. C'est l'UNI qui l'a proposé à l'Etat [dans le cadre du coument martyr, NDLR]. C'est un entretien d'assimilation non pas à la culture kanak, mais qui vise à juger de la connaissance du pays, de son histoire, des différentes cultures, des valeurs calédoniennes, par la personne qui demande la citoyenneté. Ça s'inspire de l'entretien d'assimilation exigé en Métropole pour accéder à la nationalité française."

Peut-on sauver les usines ? "Oui!"

Enfin la chute des cours du nickel permet-elle de sécuriser les trois usines du pays ? "Oui !, répond sans hésiter Philippe Gomès. S'il y a une volonté politique, il y a un chemin. Si la France fait pour le nickel calédonien ce que la Chine a fait pour le nickel indonésien, il y a un chemin pour préserver nos emplois et nos outils, mais il faut que l'Etat traduise ses paroles en actes."