Pourquoi la présidente du Congrès calédonien a déclaré "nul et non avenu" le mémorandum signé avec l'Azerbaïdjan

MEMORANDUM CONGRES AZERBAIDJAN SUITE ©NC la 1ère
En avril, environ un mois avant les émeutes en Nouvelle-Calédonie, un mémorandum de coopération était établi au nom du Congrès avec le parlement de l'Azerbaïdjan. Provoquant un tollé politique sur fonds de soupçons grandissants d'ingérence étrangère. Après un recours du haut-commissaire contre le document signé par Omayra Naisseline, la nouvelle présidente, Veylma Falaeo, a annoncé qu'il n'avait aucune valeur. Pas sûr que cela suffise à tourner la page, après des mois d'intense polémique.

Qu'y avait-il dans ce document tenu secret depuis six mois ? NC la 1ère s'est procuré le mémorandum établi à Bakou au nom du Congrès calédonien avec le Milli majlis, qui est le parlement d'Azerbaïdjan.

>> LIRE AUSSI : Déplacement d'Omayra Naisseline en Azerbaïdjan, l'affaire qui embarasse le Congrès

Ce que dit le document

Ses onze articles prévoient "la coopération interparlementaire (…) dans l'intérêt du renforcement des relations amicales". Il est question que les "parties contractantes s'efforcent activement d'explorer, d'examiner, de développer et de mettre en œuvre diverses voies de coopération" entre l'Azerbaïdjan et la Nouvelle-Calédonie "sur la scène parlementaire internationale". Mais aussi que soit pris en compte "le droit du peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie à l'autodétermination", et de "sensibiliser la communauté internationale à ce sujet"

Signé par Omayra Naisseline au nom de Roch Wamytan

Le document daté du 18 avril porte la signature de Sahiba Gafarova, à la tête de l'assemblée nationale azerbaïdjanaise, et d'Omayra Naisseline. L'élue UC-FLNKS et Nationalistes le paraphe au nom de Roch Wamytan, est-il précisé en bas de page. Quatre mois plus tard, le président indépendantiste du Congrès perd le perchoir du boulevard Vauban, désormais occupé par Veylma Falaeo dont l'élection est portée par le vote non indépendantiste. 

Contesté par l'Etat

Dans l'intermède, la nouvelle présidente est saisie d'un recours gracieux contre le mémorandum, émanant du haut-commissaire. Louis Le Franc, qui l'a reçu à la mi-juillet, estime qu'il s'avère contraire à la légalité. Parce que le président du Congrès, écrit-il, ne détient pas la compétence pour signer un tel acte, ni la capacité de déléguer sa signature à un élu qui n'est pas vice-président. Mais aussi, argumente-t-il, parce que le document ne peut que relever du champ des relations extérieures et selon le représentant de l'Etat, la Nouvelle-Calédonie ne dispose pas des compétences pour signer des conventions de coopérations avec l'Azerbaïdjan (ou l'une de ses institutions).

Un accord invalidé

Dans un courrier reçu le 18 septembre, le haussaire demande donc à Veylma Falaeo de retirer l'engagement au nom du Congrès dans cette démarche. C'est chose faite. Lors d'une conférence de presse tenue à Nouméa, ce lundi 14 octobre, la présidente actuelle du Congrès, qui fait partie de l'Eveil océanien, déclare qu'Omayra Naisseline n'était pas habilitée à signer le fameux document : "Aucun élu, ni moi-même, ni même l'administration, n'avons eu copie de ce mémorandum. Pour ces raisons, le mémorandum est juridiquement non existant." 

En tant que présidente et au nom du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, je déclare, et je confirme, que ce mémorandum est nul, non avenu, de nul effet, puisqu'il est sans existence.

Veylma Falaeo, présidente du Congrès

Les non indépendantistes applaudissent

Satisfaction générale dans le camp non indépendantiste, dont les groupes ont dénoncé d'emblée cet accord. "C'est important que la présidente du Congrès rappelle qu'on ne peut pas envoyer à l'extérieur, pour signer des actes quels qu'ils soient et a fortiori celui-là, des gens qui ne sont pas habilités. Ce qui était le cas", appuie Philippe Dunoyer pour Calédonie ensemble. "Et qu'on ne peut pas, non plus, faire signer à l'extérieur du territoire des actes qui n'ont pas été présentés au préalable aux élus du Congrès. Ce qui était également le cas."

"Un espace neutre"

"Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie est une assemblée législative. Ce n'est pas un gouvernement, ce n'est pas une collectivité et ce mémorandum devait être nul", renchérit Philippe Blaise de l'intergroupe Les Loyalistes. "Le président du Congrès n'a pas le droit de faire tout ce qu'il veut. [Le] changement de mandature, avec le remplacement de Roch Wamytan par Veylma Falaeo permet de redonner au Congrès ce qu'il doit être : un espace de dialogue, un espace de débat, neutre."

La commission d'enquête reste évoquée

Présidente du groupe Rassemblement, Virginie Ruffenach parle de "première étape" et enfonce le clou : "Nous souhaitons que [la] commission d'enquête dont nous avons déposé la création au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, se mette en place car nous voudrions savoir si des fonds publics ont été utilisés dans le cadre de cet accord avec l'Azerbaïdjan. De nombreux déplacements d'élus ont été effectués, et de collaborateurs de notre assemblée. Nous voulons savoir si le Congrès a participé à un financement quelconque". Pour être lancée, la commission d'enquête doit obtenir 28 voix sur 54. 

Veylma Falaeo est "dans son rôle", mais...

Comment réagit Roch Wamytan, qui avait mandaté Omayra Naisseline ? "La présidente du Congrès est tout à fait dans son rôle, elle a été saisie par le haut-commissaire de la République", a-t-il déclaré lundi... tout en estimant être resté dans le cadre des nombreux partenariats conclus entre la France et l’Azerbaïdjan. "Mais c'est un cadre très politique", conçoit-il. "L'Azerbaïdjan a présidé le mouvement des non-alignés pendant quatre ans", jusqu'en janvier 2024. L'établissement du mémorandum était "une forme de reconnaissance de ce travail-là".  

Je pensais  que c'était intéressant de signer cet accord-là. Je prends acte, tout simplement. 

Roch Wamytan, ancien président du Congrès

"Accusations gratuites"

Regrettant l'idée d'une commission d'enquête, parlant d'"accusations gratuites", l'élu indépendantiste rappelle qu'il souhaitait plutôt voir le Congrès se doter d'une commission spéciale sur la décolonisation. Comme l'a fait l'assemblée de la Polynésie française, en lien avec le comité C24 des Nations unies. Et de glisser que les relations avec Bakou ont été entamées par le FLNKS "depuis quelques années" : l'Etat, lance Roch Wamytan, aurait pu signaler son désaccord plus tôt.