Corps électoral, Azerbaïdjan, émeutes, crise… Que s'est-il passé depuis la dernière élection au Congrès de la Nouvelle-Calédonie ?

L'entrée du Congrès, boulevard Vauban.
Les douze derniers mois ont été mouvementés, pour le Congrès, présidé par l’indépendantiste Roch Wamytan. L'assemblée délibérante a été confrontée aux dissensions, aux polémiques et au bras de fer autour du corps électoral qui a conduit la Nouvelle-Calédonie à l’embrasement. A l'heure de renouveler ses instances, coup d'œil dans le rétro.

Le Congrès a renouvelé ses instances pour un an. Mais l'élection précédente paraît bien loin, tellement il s'est passé de choses entre-temps. Retour sur les grandes séquences de l'année écoulée, durant laquelle quatorze lois du pays et 99 délibérations ont été votées boulevard Vauban.

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Août 2023 : Roch Wamytan réélu président

Juste après sa réélection, et la remise de cadeaux par Aloisio Sako, Roch Wamytan prononce un discours devant le Congrès.

Le 30 août 2023, Roch Wamytan est réélu au perchoir pour la huitième fois, dont cinq d’affilée. L’indépendantiste, élu UC-FLNKS et Nationalistes, conserve les rênes du Congrès à la majorité absolue : il obtient 29 voix sur 54. Comme annoncé, les conseillers indépendantistes et les élus Eveil océanien le soutiennent. Le vote en sa faveur de Maria Isabella Saliga-Lutovika est moins attendu. Face à lui, Naïa Wateou. Portée par l’ensemble des non indépendantistes (Loyalistes, Rassemblement et Calédonie ensemble), elle réunit 25 suffrages.

Notre assemblée est dépositaire de la responsabilité fondamentale de maintenir, quelles que soient nos divergences, cette paix qui est pour tous les Calédoniens le bien le plus précieux.

Roch Wamytan, discours du 30 août 2023 au Congrès

Septembre 2023 : Jean Creugnet n'est plus vice-président

Trois semaines après cette élection, un dossier extérieur au Congrès modifie l'organisation du bureau. Jean Creugnet, mis en cause dans une affaire d'agression sexuelle, renonce à la troisième vice-présidence, tout en restant conseiller. L'élu UNI issu de l'assemblée provinciale Nord est remplacé par Sylvain Pabouty, élu du Sud, membre de l'intergroupe UC-FLNKS et Nationalistes. 

Octobre 2023 : la réforme du Ruamm est passée, mais…

Des professionnels de santé libéraux se sont mobilisés devant le Congrès pour rappeler qu'une prise en charge adaptée nécessite des dépenses adaptées.

Le 18 octobre, un texte particulièrement sensible est adopté, après des heures de négociations et d'échanges parfois tendus. Il concerne l'indispensable réforme du Ruamm, le Régime d'assurance maladie maternité, ou du moins son cadre général. Les conseillers se félicitent du consensus qui a été trouvé. Mais quelques jours plus tard, les élus du Rassemblement demandent une seconde lecture. Les estimations fournies par la Cafat sont contestées. Une guerre des chiffres s'ensuit. La réforme n'a toujours pas abouti. 

Décembre 2023 : réforme fiscale ou "matraquage" ? 

Les membres de l'association française des maires devant le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, ce 4 janvier 2024.

Soumises l'une après l'autre au Congrès, les mesures fiscales élaborées par le gouvernement rencontrent une forte opposition. Fin décembre, les Loyalistes et le Rassemblement dénoncent d'une seule voix ce qu'ils appellent un "matraquage". La taxe sur les produits sucrés doit faire l'objet d'une seconde lecture. La réforme de l'impôt sur le revenu est renvoyée en commission. L’Association française des maires manifeste contre la délibération censée sauver la société Enercal...

Janvier 2024 : avis favorable du Congrès pour le report des provinciales

La CCAT manifeste devant le Congrès le mercredi 17 janvier.

Le 17 janvier, le Congrès, saisi en urgence par l’Etat, doit se prononcer sur le projet de loi organique qui va mener à reporter les élections provinciales prévues en mai. Et si elles sont repoussées, au plus tard au 15 décembre 2024, cela reportera aussi le renouvellement des élus boulevard Vauban, puisque le Congrès est composé par des élus de chaque assemblée provinciale.

Il rend un avis favorable, par 38 voix pour et seize contre. L’UC-FLNKS et Nationalistes s'y oppose. L'Union calédonienne est partie prenante de la CCAT, la Cellule de coordination des actions de terrain, qui manifeste avant la séance. En toile de fond, un sujet explosif : le report doit permettre d’ouvrir le corps électoral de cette élection, à travers une réforme de la Constitution. Le report des provinciales est accepté par le Sénat en février et par l’Assemblée nationale en mars.

Mars 2024 : les loyalistes claquent la porte

Sonia Backès fustigeant les indépendantistes, à Nouméa, lors du rassemblement devant le Congrès, le 28 mars 2024.

Le 21 mars, la séance du Congrès vire au règlement de comptes. Les élus doivent discuter du pacte nickel, destiné à sauver une filière en grande difficulté, et du projet très impopulaire de "taxe carburant", qui doit redresser les finances d’Enercal. Déclaration solennelle de Sonia Backès, au nom des Loyalistes et du Rassemblement.

Ce Congrès ne représente plus le peuple calédonien (…) Nous ne siégerons plus dans les institutions non démocratiques.

Sonia Backès, présidente de la province Sud, le 21 mars

Les deux groupes militent pour rééquilibrer la répartition des sièges héritée de l’Accord de Nouméa. "Vous n’êtes plus légitimes, dit-elle à Louis Mapou, parce que si les habitants de la province Sud pesaient le poids qu’ils devraient peser ici, vous ne seriez pas à la tête du gouvernement." C’est aussi devant le Congrès que les mêmes mouvements manifestent le 28 mars, sous le mot d’ordre "Y en a marre". Les mots de Sonia Backès vont marquer : "On ne partira pas, on va se battre. Je le dis à Paris aujourd'hui, aux parlementaires qui tremblent. Le bordel, c'est nous qui le mettrons si on essaie de nous marcher dessus !"

Avril 2024 : le mémorandum avec l'Azerbaïdjan

L'élue Omayra Naisseline (à droite) aux côtés de Sahiba Gafarova la présidente de l'assemblée nationale d'Azerbaïdjan. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie est représenté par un drapeau du FLNKS.

Le 18 avril 2024, Omayra Naisseline, signe à Bakou un "mémorandum de coopération". C'est au nom du Congrès que la membre de l'intergroupe UC-FLNKS et Nationalistes paraphe cette déclaration d'intention avec la présidente du parlement azerbaïdjanais. Congrès dont une partie des élus s'étranglent, après avoir appris ce rapprochement avec le pays du Caucase au régime autoritaire. Face à la polémique, le président Wamytan explique avoir habilité la conseillère Naisseline. Au fil des mois, il apparaît de plus en plus évident que l'Azerbaïdjan s'immisce dans le dossier calédonien, sur fonds de bras de fer avec Paris. Pourtant, à la mi-juillet encore, des élues du boulevard Vauban participent au "congrès des colonies françaises" organisé à Bakou. 

Le Congrès ne peut pas être un outil des indépendantistes pour aller se balader chez leurs amis dictateurs.

Communiqué des Loyalistes

Mai 2024 : l’embrasement

Nuit de saccages et de violences à Nouméa et dans le grand Nouméa dans la nuit du 13 au 14 mai 2024

Le 13 mai, échanges électriques au Congrès autour du dégel du corps électoral. A 28 voix contre 24, les élus adoptent une résolution qui demande le retrait du projet de loi constitutionnelle. Pendant ce temps, la CCAT opposée à cette réforme muscle sa mobilisation, alors que le texte s’apprête à être soumis à l’Assemblée nationale.

On pointe la démarche forcée du gouvernement français pour faire adopter ce projet de loi constitutionnelle. Si l’on ne fait rien, nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer de part et d’autre.

Pierre-Chanel Tutugoro, président du groupe UC-FLNKS et Nationalistes, le 13 mai

La demande de mission de médiation proposée par Calédonie ensemble n’est, elle, pas adoptée.

C’était le moment opportun pour que tous les groupes du Congrès affirment leur volonté de dialogue parce qu’en Calédonie, quand on ne dialogue pas, les choses se finissent mal.

Philippe Michel, président du groupe Calédonie ensemble, le 13 mai

Ce soir-là, Nouméa et son agglomération s’embrasent. Des manifestations, on bascule dans les émeutes et la violence. Les jours suivants, la Calédonie s'enfonce dans une profonde crise politique, sociale, économique et sécuritaire.

Juin 2024 : une collaboratrice accusée d'avoir eu un rôle dans les émeutes 

Dans un courrier daté du 7 juin, le président et la première vice-présidente du Congrès demandent à Emmanuel Macron "d'arrêter la procédure de révision constitutionnelle afin de ramener l'apaisement dans notre pays et d'envisager une reprise des discussions sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie conformément à l'esprit des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa". "Notre devoir, en tant qu'élus, nous impose aujourd'hui de reconnaître notre responsabilité collective face à ces évènements", écrivent Caroline Machoro-Reignier et Roch Wamytan. C’est l’une des rares fois où celui-ci s’exprime de façon officielle sur les émeutes.

Frédérique Muliava sort du centre pénitentiaire de Riom, dans le Puy-de-Dôme, le 10 juillet 2024.

Le 19 juin, vague d'arrestations dans le cadre de l'enquête sur les commanditaires présumés des exactions. La directrice de cabinet de Roch Wamytan au Congrès figure parmi les personnes interpellées, placée en garde à vue, puis mise en examen pour une série de faits très graves. Frédérique Muliava est transférée dans l'Hexagone avec d'autres personnalités présentées par la sphère indépendantiste comme des "prisonniers politiques". Cette mère de famille effectue sa détention provisoire à la prison de Riom, près de Clermont-Ferrand, avant d'être remise en liberté le 10 juillet. Elle est assignée à résidence dans le Puy-de-Dôme, sous contrôle judiciaire avec bracelet électronique.

C’est un cauchemar.

Frédérique Muliava à sa remise en liberté, sous contrôle judiciaire, le 10 juillet, à Riom

Juillet 2024 : des séances qui valent des milliards

Le Congrès réuni ce 8 août 2024

Face à la catastrophe qui se profile après les dégâts astronomiques des violences, la Nouvelle-Calédonie a besoin d’argent. Le 4 juillet, le Congrès accepte à l’unanimité d’intégrer au budget 5,9 milliards avancés par l’Etat. Unanimité aussi le 6 juillet pour voter le budget supplémentaire. On apprend à cette séance que les pertes fiscales liées à la crise sont déjà estimées à 32,5 milliards de francs.

L'enseignement à retenir, c'est la difficulté financière que connaît le pays. Et donc la diminution des moyens dans la mise en œuvre des politiques publiques de nos collectivités. Forcément, nos populations vont être impactées.

Jean-Pierre Djaïwé, président du groupe Uni, le 6 juillet

Le 8 août,  le Congrès vote à la majorité des mesures impopulaires, pour sauver la Caisse locale de retraites d'une faillite imminente. Les cotisations salariales de la fonction publique augmentent, les pensions des retraités baissent. Le 22 août, l'âge de départ à 62 ans est entériné boulevard Vauban. Et le 28, à la veille du renouvellement, le plan quinquennal de reconstruction porté par Calédonie ensemble est adopté à une large majorité. Il prévoit 500 milliards de francs, pour reconstruire.