En Azerbaïdjan, des élus calédoniens fustigent l'Etat et invitent une délégation du Groupe initiative Bakou à venir en Nouvelle-Calédonie

Le congrès des colonies françaises en Azerbaïdjan, le 17 et 18 juillet.
L'Azerbaïdjan accueille mercredi et jeudi un congrès rassemblant des représentants de plusieurs formations indépendantistes françaises, dont la Nouvelle-Calédonie. Cette réunion de deux jours est organisée avec le soutien du Groupe initiative Bakou (GIB), une organisation promue par l'Etat azerbaïdjanais.

C'est un congrès "des colonies françaises" qui se tient en ce moment en Azerbaïdjan. Il réunit les représentants d'une quinzaine de partis et mouvements venus de Corse, de Mélanésie, de Polynésie, des Caraïbes et des Antilles.

Ce congrès dure deux jours, mercredi 17 et jeudi 18 juillet. Et des représentants de Nouvelle-Calédonie constitués en délégation du FLNKS, sont présents. Il s'agit d'Isabelle Kaloï-Bearune, Mickaël Forrest, Maria Isabella Saliga-Lutovika et Marie-Line Sakilia. Mickaël Forrest fait partie du gouvernement, tandis que les trois autres, sont membres du Congrès. Jacques David Wanabo et Charles Qénégei sont également présents, au nom du FLNKS. Ils sont tous les deux militants fondateurs de la CCAT.

Cette réunion est organisée avec le soutien du Groupe initiative Bakou (GIB), un organisme international créé par le gouvernement d'Azerbaïdjan pour lutter contre le "colonisalisme français".

Au programme : "vaincre le colonialisme français"

D'après le programme, ce congrès vise à "vaincre le colonialisme français en créant une plateforme unifiée" pour faciliter les échanges entre leurs membres "dans leur lutte pour l'indépendance". Une idée de plateforme à laquelle le membre du gouvernement Mickaël Forrest adhère.

En ouverture du congrès, Mickaël Forrest a devant lui une étiquette sur laquelle est notée "Gouvernement de Nouvelle-Calédonie". Il remercie le GIB : "Depuis le 13 mai dernier, on vous remercie pour avoir marqué votre solidarité et attachement au peuple Kanak."  

Lors de leurs différentes interventions, les élus calédoniens sont assez véhéments contre l'Etat et dénoncent une "omerta" qui, selon eux, sévirait sur le territoire.

Le directeur Azerbaïdjanais du GIB, parle même d’actes de "torture", notamment contre les militants de la CCAT placés en détention provisoire en Métropole. Des militants et leurs familles qui recevront un soutien financier du GIB pour les frais de justice. A noter que ce mercredi 17 juillet, un journaliste de l'AFP a rencontré Christian Tein, leader de la CCAT détenus à Mulhouse. Ce dernier déclarait être bien traité. 

"Accumulation de frustrations"

Chacun des élus calédoniens intervient pour parler des événements qui touchent la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai dernier, dénonçant ce qui constitue, selon eux, des "actions racistes et illégales" de l’Etat.

"Nous denonçons fermement les violences policières systématiques exercées sur la population Kanak, en particulier ceux résidant à Nouméa et sur la Grande Terre", déclare Isabelle Kaloï-Bearune, qui se présente comme élue de la province des îles, membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, et militante du parti de l'Union Calédonienne.

"Nous condamnons avec la plus grande fermeté l'impunité des forces de l'ordre et la complicité des milices racistes", assène-t-elle. "La situation actuelle, marquée par des affrontements, des barrages, des incendies, n'est pas uniquement le fruit de tensions récentes mais bien le résultat d'une accumulation de frustrations et injustices subies par la communauté Kanak." 

Pendant un long moment, elle rappelle les faits concernant la loi sur le dégel du corps électoral : "l'Etat français a fait la sourde oreille : ce projet de loi a été voté au Sénat, à l'Assemblée nationale. Je tiens à remercier les députés ultra-marins qui ont apporté leur force à leur niveau pour faire barrage à ce projet de loi ", a-t-elle souligné. 

"Combattants de la liberté"

De con côté, Marie-Line Sakilia, présentée comme membre du congrès de la Nouvelle-Calédonie et élue FLNKS de la province Sud ne mâche pas ses mots : elle n'hésite pas à qualifier le régime d'état d'urgence de "régime dictatorial" qui, selon elle, "perdure encore". Elle dénonce une "omerta qui règne sur la situation de la Nouvelle-Calédonie" et d'ajouter : "nous sommes dans la difficulté de recueil d'informations sur ceux qui ont été arrêtés et déportés."  Au 2 juillet, le haut-commissariat décomptait 1 675 personnes interpellées depuis la mi-mai.

Pendant son discours, Marie-Line Sakilia se reprend plusieurs fois pour ne pas dire le mot  "émeutes" mais plutôt "soulèvement".

Et de continuer par ces termes :"en Nouvelle-Calédonie, on nous traite de terroristes. Du point de vue de l'oppresseur, nous sommes des terroristes, mais nous sommes des combattants de la liberté (...) au regard de la scène internationale et de l'ONU".  A savoir qu'en juin dernier, Isis Jaraud Darnault, coordinatrice politique de la France auprès des Nations unies avait appelé au dialogue : "nous appelons toutes les forces politiques à accorder la priorité au dialogue, sans disqualifier telle ou telle partie prenante".

L'élue rappelle que la Nouvelle-Calédonie est "dans une grave difficulté financière" et a reçu notamment le soutien de l'Etat au travers d'aides de 6 milliards cfp et d'un prêt bancaire de 5,9 milliards cfp "qui nous permet de mettre en place les aides mais aussi le versement au budget de répartition, c'est-à-dire pour subvenir aux besoins de nos institutions."

Marie-Line Sakilia conclut ainsi son discours : "On a besoin d'être entendus et nous souhaitons l'appui du peuple d'Azerbaïdjan (...) Ce que ce pays représente au niveau des non-alignés et les autres membres du Groupe initiative de Bakou, c'est notre fenêtre de tir pour la sortie et l'accession à la pleine souveraineté."

"La France est un pays terroriste"

Maria Isabella Saliga-Lutovika, présentée par Mickaël Forrest comme membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie et élue à la province Sud assène : "la France est un pays terroriste qui continue de commander des territoires qu'elle refuse de libérer."

Elle qualifie les événements depuis le 13 mai de "guerre civile" résultant "de la volonté absolue de l'Etat français de dégeler le corps électoral, le président Macron a décidé de violer cette règle constitutionnelle ignorant les démarches démocratiques pour amender un tel texte (...) imposant une dictature en Nouvelle-Calédonie."

Pour elle, "les Kanak indépendantistes se sont levés non pas pour provoquer une guerre civile mais pour se protéger du vol et du détournement des richesses de leur pays." Dans ce cadre, elle propose à l'Azerbaïdjan et aux délégations présentes lors ce congrès de venir visiter la Nouvelle-Calédonie. Une mission soutenue par Mickaël Forrest qui invite, en effet, le GIB "pour se rendre compte un peu plus de la situation vécue par notre peuple". Une invitation lancée pour septembre 2024, à l'occasion des 40 ans du FLNKS.

Parmi les participants à ce congrès, se trouvent aussi François Benedetti et Alain Simoni, du parti indépendantiste corse Nazione mais aussi le Guadeloupéen Jean-Jacob Bicep, et les Martiniquais Arnaud Maurice Ingargiola et Sylviane Curton.

Un rapprochement depuis plusieurs mois

L'Azerbaïdjan, qui reproche à Paris son soutien à l'Arménie, avait déjà convié à Bakou en juillet 2023 les indépendantistes de Martinique, de Guyane, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. De cette conférence, était né le "Groupe d'initiative de Bakou" qui vise à soutenir "les mouvements de libération et anticolonialistes français".  

En avril dernier, l’élue UC-FLNKS et Nationalistes Omayra Naisseline a signé un mémorandum de coopération au nom du Congrès de la Nouvelle-Calédonie avec Sahiba Gafarova, la présidente de la Milli Majlis, le parlement de l’Azerbaïdjan. 

Puis, en mai, le parti polynésien Tavini Huiraatira a signé à son tour un mémorandum avec le groupe d'Initiative de Bakou.

En pleine émeute calédonienne, Gérald Darmanin a accusé, l'Azerbaïdjan d'ingérence en Nouvelle-Calédonie. Ses propos avaient été jugés "insultants" par l'Azerbaïdjan qui démentait alors tout lien avec les indépendantistes.

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Nicolas Metzdorf saisit la justice

Au même moment que la tenue de ce congrès en Azerbaïdjan, le député Nicolas Metzdorf a interpellé la Procureure de la République de Paris, en vertu de l’article 40 du code pénal, afin de "l’avertir que des élus calédoniens entretiennent des intelligences avec l’Azerbaïdjan visant à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la République française."

"Je souhaite vous informer qu’en ce 17 juillet 2024, en Azerbaïdjan, à l’invitation du Groupe d’Initiative de Bakou, un membre du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ainsi que des élus du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, sont en train de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la République française en tentant de compromettre son intégrité territoriale", est-il indiqué dans un communiqué du député, envoyé le même jour.

Parallèle avec la Libye

Ce déplacement a fait réagir les Loyalistes et le Rassemblement qui, dans un communiqué, disent "refus[er]que la Nouvelle-Calédonie s'allie avec des dictatures sanglantes". 

De son côté, Calédonie ensemble fait le parallèle avec les militants indépendantistes qui s'étaient alliés au temps des Evénements de 84-88 avec régime de Mouammar Kadhafi. "Même à cette époque, l'UC condamnait les relations avec la Libye qu'entretenait Yann Celeneï du Fulk", écrit Calédonie ensemble dans un communiqué. Le parti de Philippe Gomès rappelle que "pas moins de 204 professions sont interdites aux femmes en Azerbaïdjan"