"Libérez ma tante", "Kanaky libre". Devant le centre pénitentiaire de Riom, dans le Puy-de-Dôme, une jeune femme attend inlassablement sur un banc. Des inscriptions revendicatives sont écrites en rouge et noir sur son t-shirt blanc. Dans quelques minutes, ou quelques heures, Frédérique Muliava, la cheffe de cabinet du président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan, doit sortir de prison.
Dans la lourdeur de l’été hexagonal, les oiseaux animent la matinée de leurs chants. Sur la façade de la prison, sur laquelle est inscrit en gros "ministère de la Justice", les fenêtres parsemées de barreaux s'alignent. Les employés arrivent. Certains détenus sortent. Et des familles viennent rendre visite à un proche.
La jeune kanak au t-shirt blanc, qui n’a pas souhaité donner son prénom, voit les heures défiler. 8h. 9h. 10h. Rien ne se passe. Au même moment, on apprend la mort d’une dixième personne liée aux émeutes qui frappent la Nouvelle-Calédonie depuis deux mois.
Il faut dire que l'envoi en prison dans l'Hexagone de plusieurs militants indépendantistes de la CCAT n'a pas contribué à apaiser les tensions. Fin juin, la nouvelle a même poussé certains à ériger des barrages en dehors du grand Nouméa, seule localité qui était jusque-là touchée par les violences.
Une "déportation politique"
Depuis leur incarcération à 17.000 km de chez eux, peu de personnes ont pu voir les prisonniers kanak, détenus dans les quatre coins de la France hexagonale, si ce n’est leurs avocats. Mais ils ont pu voir passer quelques parlementaires de gauche, dont une des prérogatives est de visiter, quand ils le souhaitent, les lieux de privation de liberté. Ainsi en est-il de la sénatrice Raymonde Poncet Monge, élue écologiste du Rhône, qui est allée en visiter deux : Frédérique Muliava, à Riom, et Dimitri Tein Qeneigei, neveu de Christian Tein, détenu à Villefranche-sur-Saône (Rhône).
Dans le cloître de la prison auvergnate, elle a pu discuter dix minutes avec la militante indépendantiste. Coupée du monde et des autres détenus, Frédérique Muliava passait son temps entre sa petite cellule, la bibliothèque, la salle de sport et la cour. Raymonde Poncet Monge déplore l'isolement dans lequel ont été placés ces détenus, toujours présumés innocents. Pour elle, il s'agit purement et simplement d'une "déportation politique" qui s'apparente à une "pratique coloniale".
Difficile d’imaginer la solitude que procure un tel enfermement, loin de son territoire. Vendredi dernier, la cour d’appel de Nouméa a confirmé le maintien en détention des hommes de la CCAT emprisonnés dans l’Hexagone et en Nouvelle-Calédonie, dont Christian Tein, le leader du mouvement. Mais les deux femmes, elles, ont eu le droit de sortir.
"Mon amour"
Alors qu'un petit comité attend la sortie de Frédérique Muliava à Riom, la nouvelle tombe : Brenda Wanabo-Ipeze, emprisonnée à plusieurs dizaines de kilomètres de là, à Dijon, vient de sortir de prison. C'est le fils du sénateur indépendantiste Robert Xowie, Jean-Pierre, qui donne la nouvelle. Au bout du fil, son père est sur place. Il est ensuite attendu à Clermont-Ferrand dans l'après-midi.
Après de longues heures d'attente, Frédérique Muliava pose enfin un pied en dehors du centre pénitentiaire. Le large sourire sur son visage laisse deviner son soulagement. "Ça y est, on a réussi !", s'extasie-t-elle en prenant sa nièce dans ses bras, les larmes aux yeux.
Elle profite de sa liberté retrouvée pour sortir une cigarette qu'elle récupère dans un des trois gros sacs avec lesquels elle est sortie. Jean-Pierre Xowie, lui, est au téléphone avec des proches de la femme, restés en Nouvelle-Calédonie. Toute la matinée, il a joué le relais entre le parvis de la prison et le Caillou, où sa famille attendait des nouvelles avec impatience.
"Mon amour", crie une voix sortie du téléphone lorsque Frédérique montre son visage. Sanglotante, elle s’éloigne et passe des coups de fil.
"C'est un cauchemar"
Malgré son soulagement, elle sait, au fond, que cette libération n’est qu’une première étape dans le long parcours judiciaire qui l’attend. Frédérique Muliava, comme d’autres militants indépendantistes, est accusée d’avoir eu un rôle dans les émeutes qui frappent la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai. "C’est un cauchemar", souffle-t-elle à l'oreille de Jean-Pierre Xowie.
Si elle est sortie de prison, elle ne peut toujours pas retourner chez elle, auprès de sa famille. Les prochains mois, elle sera assignée à résidence chez un proche, qui vit à Clermont-Ferrand, grande ville située près de Riom. Elle n’aura pas le droit d’entrer en contact avec les autres mis en examen, devra respecter certains horaires pour sortir, et aura interdiction de quitter le département du Puy-de-Dôme. Elle aura par ailleurs à s'accommoder d'un bracelet électronique. Mais pour l’instant, devant le centre pénitentiaire, Frédérique Muliava profite. Pour l’instant, sa cheville est encore dénudée.