Pas de surprise. Avis favorable du Congrès, sur le projet de loi organique qui doit mener à reporter les élections provinciales. Il a été rendu ce mercredi 17 janvier, à la majorité : 38 votes pour et seize contre. Avec les voix des Loyalistes, de l'Union nationale pour l'indépendance, du Rassemblement, de Calédonie ensemble… Et sans celles de l'intergroupe UC-FLNKS et Nationalistes (quatorze membres), qui a émis un avis défavorable.
Avant la séance, un moment de silence. Il est respecté en mémoire de Louis Le Pensec, ministre de l'Outre-mer qui a marqué de son empreinte les accords de Matignon-Oudinot, et qui est décédé une semaine plus tôt. "Nous lui devons beaucoup et nous lui exprimons aujourd'hui notre gratitude et notre admiration", déclare Caroline Machoro-Reignier, qui préside la séquence de cet après-midi. "M. Le Pensec nous laisse un héritage précieux. Celui du dialogue, de la solidarité et de la fraternité."
Saisine en urgence
Entrée en matière haute en symbole, alors que l'ordre du jour touche aux sujets de l'avenir à dessiner ensemble et du consensus politique à trouver. Les conseillers de la Nouvelle-Calédonie - accompagnés d'un public nombreux - sont convoqués après saisine en urgence de l'Etat. L'avis du Congrès est nécessaire sur le projet de loi organique qui doit permettre de repousser les prochaines élections provinciales. Elles n'auraient pas lieu le 12 mai 2024, mais après cette date et au plus tard le 15 décembre. Par conséquent, le renouvellement du Congrès serait repoussé d'autant, puisqu'il est composé par une partie des élus de chaque assemblée provinciale.
"Clé de voûte de l'avenir institutionnel"
Stanislas Alfonsi, secrétaire général du haut-commissaire, pose le décor. "L'État, par cette proposition, exprime une volonté qui s'exprime dans la droite ligne de son attachement à ce que le dialogue, le consensus, la recherche d'un accord politique restent, soient, et demeurent la clé de voute de l'avenir institutionnel du territoire et ainsi, que la paix en Nouvelle-Calédonie puisse être garantie", déclare-t-il. "Pour cela, il est apparu au gouvernement nécessaire de proposer de reporter les élections des assemblées provinciales et du Congrès de quelque mois."
L'objectif, dans le contexte qui est le nôtre, celui d'un dialogue sur l'avenir institutionnel rendu nécessaire par la sortie de l'Accord de Nouméa, vise à donner le temps à ce dialogue de se nouer, de se nourrir et d'aboutir sans qu'il soit positionné sous la pression immédiate d'une échéance électorale trop proche.
Stanislas Alfonsi, secrétaire général du haut-commissariat
Et d'insister : "En cela, l'Etat manifeste son souhait qu'un accord politique global soit trouvé et qu'il puisse être traduit en texte(s) dans un horizon le plus proche possible, mais surtout sans que cet accord ne soit le sujet, ou le motif, de frustrations ou d'amertume de la part de ceux qui devront le parapher. L'Etat est attaché à ce qu'une solution consensuelle soit trouvée. Elle doit être créée, construite, entre acteurs calédoniens, prioritairement."
Sujet corollaire, et ô combien sensible, la présentation d'un projet de loi constitutionnelle pour "retoucher les contours du corps électoral restreint" appelé à se prononcer pour les provinciales. Le tout appuyé sur un avis rendu par le Conseil d'Etat en décembre.
"Aucune urgence" à modifier le corps électoral
Si le choix du Congrès ne sera pas une surprise, c'est qu'on connaît les positions des groupes. Dont l'opposition des élus UC-FLNKS et Nationalistes. "Aucune urgence ne justifie la modification du corps électoral pour les prochaines élections", redit le président de l'intergroupe, Pierre-Chanel Tutugoro. "Pour nous, ajoute-t-il, être favorable au report des élections dans ce cadre-là, c'est confirmer l'idée que le corps électoral provincial est une entorse à la démocratie, alors qu'il est garanti constitutionnellement et reste une nécessité locale."
Le maire de Ponérihouen remet aussi en cause "la méthode utilisée". "On aurait pu faire plus simple. Surtout dans cette période où des discussions locales sont engagées. On a comme l'impression que c'est une démarche volontaire pour d'une part, non pas simplement forcer ou orienter les échanges, mais peut-être mettre à mal ces discussions qui peut-être prennent des orientations qui risquent de ne pas aller dans le sens que souhaite l'Etat français", assène-t-il. Et avec une certaine émotion : "En tout cas, vous n'hésitez pas à traiter avec légèreté d'un certain nombre de dispositions qui sont pour nous des acquis au prix de ce que tout le monde ici a vécu."
"Être favorable au report", dit aussi Henriette Tidjine-Hmae, élue du même intergroupe, "c'est confirmer les résultats de la troisième consultation et son organisation, malgré la non-participation d'une majorité de la population concernée."
Avant la séance au Congrès, la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT, à laquelle appartient l'UC) s'est rassemblée boulevard Vauban pour protester.
"L'État tient parole"
"Par ce texte, l'Etat tient parole, défend au contraire le député Nicolas Metzdorf, élu des Loyalistes, dans la mesure où le contexte qui était posé par le ministre de l'Intérieur et l'ancienne Première ministre était que, si les Calédoniens, avant décembre 2023, ne trouvaient pas d'accord entre eux, l'Etat prendrait ses responsabilités afin de dégeler le corps électoral", dont il évoque le caractère "transitoire". Et de remarquer : "Ceux qui aujourd'hui contestent le report des élections provinciales sont ceux qui ne voulaient pas venir discuter jusqu'à présent. Nous n'aurions pas eu à décaler les élections provinciales si à chaque fois que nous avions dû échanger, l'ensemble des groupes politiques avaient participé."
"Pas de brutalité" dans cette démarche
"Il n'y a pas de brutalité", enchaîne Sonia Backès, élue Loyalistes et présidente de l'assemblée provinciale Sud. "Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer est venu en Nouvelle-Calédonie six fois. Il nous a reçus au moins autant de fois à Paris. Avec à chaque fois la volonté de trouver un accord (…) La brutalité, elle a été en 2007 quand le corps électoral a été gelé de manière unilatérale alors que l'Accord de Nouméa, lui, prévoyait un corps électoral glissant. Et à ce moment-là, il n'y a pas eu de consultation de la population. Il n'y a pas eu de consultation des institutions calédoniennes. Il y a eu une modification constitutionnelle unilatérale qui a privé des milliers d'électeurs du droit de vote." Seul bémol, de forme, l'espoir que le scrutin n'ait pas lieu aussi tard que le 15 décembre, pour des questions d'organisation.
"Une nouvelle chance"
Côté Rassemblement, sa présidente de groupe, Virginie Ruffenach voit là "une nouvelle chance, une dernière chance, de trouver entre nous une solution qui ne ferait perdre la face à personne et qui permettrait aux Calédoniens de se projeter avec sérénité dans une stabilité et dans une visibilité pour notre territoire du Pacifique." Pour le mouvement, l'ouverture du corps électoral provincial représente par ailleurs une "obligation juridique et politique".
Au nom de l'Uni, son président de groupe, Jean-Pierre Djaïwe, réitère la position favorable du groupe qu'il préside. Non sans critiques (exemple : "Le constat que l'on peut faire, c'est que l'Etat a toujours fait preuve de son incapacité à solutionner durablement le sujet calédonien")." Mais selon lui, "il nous faut résolument créer les conditions pour que les discussions en cours aboutissent à un consensus nécessaire à un accord global. On en a la possibilité. Nous en avons tous la volonté (…) Il faut y aller."
Philippe Gomès s'attarde longuement, pour Calédonie ensemble, sur l'avis du Conseil d'Etat. "Sur cette base-là, qui ne me semble pas contestable, le gouvernement a déposé un projet de loi organique [qui] décline exactement ce que le Conseil d'Etat a dit." Il observe "une démarche globale positive et respectueuse des uns et des autres".
Élue non inscrite, Maria-Isabella Saliga-Lutovika suggère quant à elle de tenir les provinciales le 12 mai ou de les reporter dans dix-huit mois. Ce sera la position des conseillers Eveil océanien, qui donnent un avis favorable assorti d'une réserve sur la date butoir du 15 décembre.
Voyez aussi le reportage de Valentin Deleforterie et Laura Schintu