Les échanges ont été longs, complexes et polémiques. Mais cette fois, les élus du Congrès ont examiné jusqu'au bout les deux projets de loi du pays liés à la fiscalité minière. Ceux qui étaient repartis en case commission après un premier passage dans l'hémicycle, le 8 décembre dernier, pour cause de motion préjudicielle générale. Ce mardi 10 janvier, la taxe sur les exportations de produits miniers et la redevance sur leur extraction ont été adoptées :
- 28 voix pour (indépendantistes et élus Eveil océanien) ;
- dix-sept contre (Loyalistes, Avenir en confiance) ;
- six abstentions (Calédonie ensemble).
Deux textes qui s’inscrivent à la fois dans le plan d’actions 2021-2023 du gouvernement Mapou, et dans la révision globale de la fiscalité calédonienne. Voilà ce qu'on peut retenir de la séance.
1 La taxe à l'exportation
- Le projet de loi du pays crée une taxe sur l’exportation de produits miniers. Comprendre : les minerais de nickel, de chrome et de cobalt, bruts ou traités, à l’exception des produits issus d’un procédé de transformation métallurgique. L'idée, c'est d'y assujettir les exportateurs et le principe d'origine consistait à verser les sommes récoltées dans un fonds pour les générations futures. Reste qu'il n'existe pas encore.
- Certes, cette notion de taxe sur les exportations fait l’unanimité dans l’hémicycle. D'autant que le texte présenté par Pierre-Chanel Tutugoro signale la très relative contribution fiscale du secteur. En sept ans, le nickel aurait rapporté 27 milliards CFP de taxes et impôts à la Nouvelle-Calédonie… mais aussi bénéficié de 85 milliards en exonération. Cette taxe à l’exportation pourrait rapporter jusqu'à trois milliards par an, du moins sur le papier.
- Il y a accord sur la forme, mais pas sur le fond. Si Koniambo nickel et Prony Resources ne seront pas assujettis à la taxe, car ils bénéficient d'un pacte de stabilité fiscale, elle concernera les "petits mineurs" et la SLN. SLN dont la situation pour le moins délicate, et les probables difficultés à s'acquitter de cette nouvelle ponction, ont été largement évoquées durant les débats, notamment par les groupes Avenir en confiance et Loyalistes. Celle de la NMC, Nickel mining company filiale de la SMSP, a aussi été mise sur la table.
- Autre grief fait par l'opposition non indépendantiste à la majorité : ne pas avoir suffisamment recherché un consensus. Le texte avait été renvoyé une première fois pour cette raison. Les débats en commission n’auraient pas permis de définir une stratégie commune.
- Plusieurs amendements ont été proposés. Adopté à la majorité, celui qui affecte à titre provisoire le produit de la taxe aux finances de la Nouvelle-Calédonie. Faute de fonds pour les générations futures, mais aussi face aux incertitudes liées au Fonds nickel. Par contre, rejet pour la proposition de taux préférentiel destiné aux exportations vers les usines off-shore. Une exception jugée mal venue, voire anticonstitutionnelle.
La taxe a été adoptée en début d'après-midi. Voyez le compte-rendu de Bernard Lassauce et Claude Lindor :
2 La redevance à l'extraction
- L'autre projet de loi du pays instaure une redevance sur les extractions de produits miniers. C'est-à-dire "les minerais de nickel, de chrome et de cobalt bruts ou traités, à l’exception des produits issus d’un procédé de transformation métallurgique". "Ayant vocation à compenser l’appauvrissement du sous-sol calédonien en nickel", elle serait due par tout concessionnaire ou amodiataire de concessions minières, sur chaque tonne de minerai extrait et valorisé", dit le texte. Là encore, la SLN et les "petits mineurs" seront concernés. Pas Prony Resources ni KNS, pacte de stabilité fiscale oblige. Rendement attendu au mieux, environ un milliard par an.
- La redevance serait exigible sur les produits miniers qui font l’objet d’une valorisation, au moment de cette valorisation : le chargement sur un minéralier à but d'exportation ; l’entrée en usine lorsque les produits miniers sont traités en Calédonie par une unité métallurgique ; la cession à un tiers "lorsqu’un concessionnaire de mines ou amodiataire de concessions minières n’exporte pas ces produits ni ne les intègre directement à un processus de transformation métallurgique (cette précision vise les "'petits mineurs' qui revendent aux usines métallurgiques locales)."
- Les recettes doivent bénéficier à 60 % aux communes dites minières et à 40 % au budget de répartition de la Nouvelle-Calédonie. Donc, de manière indirecte, aux collectivités du pays.
- Quelles municipalités sont concernées ? "Les communes sous le territoire desquelles les minerais bruts sont extraits ou/et les communes sur le territoire desquelles les chargements de produits miniers à bord d’un minéralier interviennent. Partant de cette définition, treize communes minières ont été identifiées : Boulouparis, Canala, Houaïlou, Kaala Gomen, Kouaoua, Koumac, Mont-Dore, Païta, Pouembout, Poum, Poya, Thio et Yaté."
Ce texte-là a été adopté en fin d'après-midi. Mais pour la taxe comme pour la redevance, il faudra délibérer par la suite sur les conditions précises d'application.
Précisions de Pierre-Chanel Tutugoro, rapporteur du projet, au micro de Dave Waheo-Hnasson et Carawiane Carawiane :
3 Les explications de vote
Les deux outils fiscaux sont souvent évoqués ensemble par les politiques qui en parlent, y compris pour quantifier leur rendement maximal, évalué autour de trois milliards et demi. Ce mardi au Congrès, les explications de vote données par les différents groupes s'appliquaient donc à l'un et l'autre texte, qui ont été votés avec la même répartition de voix.
PHILIPPE MICHEL POUR LE GROUPE CALÉDONIE ENSEMBLE (ABSTENTION)
"Calédonie Ensemble (…) est favorable de très longue date à une meilleure contribution du secteur nickel au financement des collectivités calédoniennes (…) Mais les deux textes soulèvent plusieurs difficultés.
La combinaison de la redevance d'extraction et de la taxe d'exportation aboutirait à imposer à la SLN une contribution supplémentaire de 800 millions par an (…) Quel dispositif faudrait-il adopter pour ne pas aggraver les difficultés de la SLN aujourd'hui, et demain [des] autres métallurgistes (…)?
Le seuil de déclenchement de la taxe à l'exportation est adossé sur le coût de production le plus élevé de la profession. Sans tenir compte de la plus-value générée par la transformation de minerais dans une société off-shore détenue à 51 % par une collectivité calédonienne. D'où un double effet pervers : la sous-imposition des 'petits mineurs' qui réalisent des bénéfices quel que soient le niveau des cours mondiaux et la sur-imposition des sociétés qui alimentent des usine off-shore à majorité calédonienne.
Troisième difficulté : l'affectation" des sommes obtenues. "Compte-tenu de ces éléments, et dans l'espoir que les discussions de fond qu'on n'a pas eues au moment des lois de pays, on pourra les avoir (…) avant le vote des délibérations d'application, nous nous abstiendrons."
SONIA BACKÈS POUR LE GROUPE LOYALISTES (CONTRE)
"Les Loyalistes sont très favorables à la mise en place d'un système qui permette de compenser l'appauvrissement du sol calédonien, pour préparer l'avenir des générations futures et la diversification économique. Mais nous regrettons la manière dont ce texte va être adopté (…) Sur le fond, on a vu dans les débats que finalement, rien n'est vraiment calé : quel seuil, pourquoi ce seuil-là (…), quel niveau de redevance (…), quelle affectation (…)
Les Calédoniens attendaient de nous beaucoup mieux sur ce sujet-là. Ils attendaient un vrai texte, avec une vraie compensation de l'appauvrissement de leur sol. Un texte qui permette réellement de financer la diversification économique, (…) de financer la protection de l'environnement (…) Ils auront un petit texte, voté par une petite majorité, avec de petites recettes à la clé. Et à ce moment de l'Histoire de la Nouvelle-Calédonie, alors qu'un groupe de travail est mis en place, que tous les outils nous sont permis (…) pour discuter entre nous, je regrette (…) que les choses se passent comme ça."
VEYLMA FALAEO POUR LES ÉLUS EVEIL OCÉANIEN (FAVORABLE)
"L'histoire de la fiscalité calédonienne commence dès 1859 avec les premiers textes encadrant l'activité minière. Cette fiscalité est sujette à bon nombre d'ajouts, de suppressions, de changements de taxes et notamment en l'an 2000 avec la suppression de la taxe dite spéciale pour le fonds de prévoyance. Dès lors, il n'existait plus vraiment de fiscalité sur l'extraction. Le minerai calédonien est donc une ressource gratuite pour les entreprises qui l'exploitent. Aujourd'hui, nous examinons les deux lois du pays et nous les voterons pour trois raisons." A savoir la notion d'aboutissement après des années d'attente, la prise en compte de paramètres comme les cours mondiaux ou les coûts d'exploitation, et leur affectation partielle au budget calédonien.
VIRGINIE RUFFENACH POUR LE GROUPE AEC (CONTRE)
"Alors même que nous souhaitons que les Calédoniens profitent des retombées de cette industrie de toute première importance, proposer dans le contexte actuel ces taxes, uniquement parce que le gouvernement cherche quelques recettes, est pour nous une fausse bonne idée.
La taxe à l'exportation n'alimente même pas le fonds pour les générations futures. Mais est directement injectée dans le panier percé du gouvernement. Et ainsi, par le biais de la clé de répartition, avec la redevance d'extraction, ces taxes favoriseront à nouveau la province Nord et la province des Îles au détriment de la province Sud (…) Est-ce vraiment le bon moment, est-ce vraiment le bon dispositif ? (…)
Prenons le temps et le recul de restaurer notre filière minière et métallurgique plutôt que la ponctionner sans discernement (…) La stratégie d'abord, les outils ensuite."
OMAYRA NAISSELINE POUR LE GROUPE UC-FLNKS (FAVORABLE)
"[La] taxe est importante pour notre pays, car elle permet de générer des revenus qui [serviront] pour nos générations futures et de préparer l'après nickel. Important aussi de rappeler qu'en 2021, les exportations de nickel ont représenté 90 % des exportations de la Nouvelle-Calédonie. Les exportations minières sont un des moteurs de l'économie mondiale. Mais elles peuvent également entraîner des conséquences non négligeables pour les populations locales. (…) Afin de réduire ces effets négatifs, de protéger l'environnement des populations locales, il est nécessaire d'instaurer une taxe sur les exportations minières."
Concernant la redevance, "elle est instaurée pour encourager les entreprises à exploiter le nickel de manière responsable et durable. Elle permettra également à nos communes et nos provinces d'avoir des revenus supplémentaires pour financer notamment des programmes sociaux et environnementaux."
NADIA HEO POUR LE GROUPE UNI (FAVORABLE)
"Dans un contexte où l'apport des produits de l'activité minière sur le financement des besoins des collectivités publiques du territoire se pose, tout comme celle de la valorisation et de la maîtrise de nos ressources, force est de constater que la définition d'un modèle propre à la Nouvelle-Calédonie, notamment en matière d'exportation, aura une incidence sur la position qu'occupera notre pays sur l'échiquier mondial. En ce sens, à l'heure où les intérêts géopolitiques et économiques dans notre région du monde fourmillent, il serait utile de ne pas brader nos ressources (…)
Question épineuse, qui n'en demeure pas moins essentielle : comment rendre l'activité minière soutenable pour en faire un levier de financement pour le pays ? Si une partie de la réponse à cette problématique est apportée par les 3,6 milliards issus de la redevance d'extraction et de la taxe sur les exportations, l'autre part dépendra essentiellement de la bonne volonté de chacun."
4 L'amodiation de concession
- En fin de journée, les élus du Congrès ont enchaîné avec un troisième gros sujet lié au nickel. L'idée d'intégrer dans le Code minier un régime spécial appelé l'amodiation de concession. Pour faire simple, une collectivité calédonienne pourra posséder des titres miniers, par le biais d'une société d'économie mixte, et les faire exploiter en échange d'un loyer.
- Ce texte concerne en particulier Prony Resources : il s'inscrit dans l'accord politique signé le 4 mars 2021 entre indépendantistes et non indépendantistes pour mettre fin au conflit usine du Sud. Avec ce cadre juridique, il s'agit de permettre une plus grande implication des collectivités et des populations dans l'exploitation du sous-sol.
- La proposition de loi du pays a été adoptée une première fois le 28 novembre dernier mais quinze jours après, Calédonie ensemble et une partie de l'Uni ont demandé une seconde lecture "eu égard aux risques qu'elle recèle".
- Ce mardi, elle a été à nouveau votée, par 31 voix pour (Loyalistes ; UC-FLNKS ; Avenir en confiance à l'exception d'élus AEC du Nord qui ont préféré ne pas prendre part au vote) ; quatorze contre (Calédonie ensemble, une partie de l'Uni) et trois abstentions. Les nouveaux amendements proposés ont été rejetés, ou retiré.
5 Pas l'aide médicale
En revanche, les débats attendus sur l'aide médicale n'ont pas eu lieu. Le président du Congrès l'a dit d'entrée : "Suite à demande des auteurs d’une proposition de loi du pays, cette proposition, après avoir été examinée par le bureau élargi aux chefs de groupe ce matin, a été retirée de l’ordre du jour." Le projet de texte questionnant le transfert de l'AMG des provinces à la Nouvelle-Calédonie est porté par Sonia Backès des Loyalistes et Jacques Lalié de l'UC. Lequel, touché par un deuil familial, n'était pas présent dans l'hémicycle.
6 L'hommage
La séance publique a été marquée par un hommage. Un moment de silence a été respecté à la mémoire d'un ancien élu du Congrès qui n'est autre que l'immense footballeur Marc Kanyan Case, décédé vendredi 6 janvier et dont les funérailles avaient lieu ce jour, a précisé Roch Wamytan. Le sportif était aussi un homme politique, qui fut l'un des vice-présidents boulevard Vauban.