La brouille perdure, après l’adoption in extremis du budget 2023 par les élus de la province îles, le 31 mars dernier. Les tensions entre Jacques Lalie et ses opposants ont même été avivées par une décision qui remonte au 14 avril. D’après nos informations, le directeur de cabinet du groupe d’opposition Palika-îles reçoit alors sur son bureau un courrier lui indiquant la cessation de ses fonctions dès le lendemain, soit le 15 avril, et l’abrogation de sa décision de recrutement.
Contexte délétère
Le contexte est capital. Depuis plusieurs mois, l’assemblée de province se déchire autour du budget primitif 2023. Fin décembre, le patron de l’institution est mis en minorité. Wali Wahetra, du groupe Palika, compare la gestion de la collectivité à une “république bananière”. Elle critique les hausses sur la masse salariale, de plus d’un milliard de francs en quatre ans, “sans motif valable”, tandis que quatre élus appartenant à la propre famille politique de Jacques Lalie (UC-FLNKS) appellent à sa démission.
Au 31 mars, le budget est finalement voté (seuls les conseillers Palika s’abstiennent) alors que la province s’exposait à passer sous tutelle de l’Etat. Les habitants des Loyauté peuvent souffler. Pourtant, les clans politiques indépendantistes semblent irréconciliables. En coulisses, les couteaux s’aiguisent et les vengeances se préparent.
“Participation à la paralysie d'une collectivité"
Informé du courrier du 14 avril, le président du groupe Palika, Charles Washetine, adresse un “recours gracieux” auprès de Jacques Lalie pour que celui-ci revienne sur sa décision. Un mois plus tard, la demande est rejetée. Explication fournie : “dans un contexte politique récurrent exigeant des restrictions au niveau des dépenses de personnel, comme vous l’avez désiré, j’ai pris la décision de mettre fin aux fonctions de ce collaborateur.”
Plus intéressant encore, la suite du courrier mentionne : "par ailleurs, la participation à la paralysie d’une collectivité territoriale durant près de trois mois aurait été un motif plus que suffisant pour justifier cette décision. Effectivement, le rôle actif de l’intéressé dans les différentes exactions ayant porté préjudice au bon fonctionnement de la province en témoigne.”
Décision contestée
La lutte intestine vient d’être relancée. Le directeur de cabinet saisit la justice. Interrogé par la rédaction, Charles Washetine n’en revient toujours pas de cette démission forcée. “C’est totalement illégal. Ce collaborateur relève directement de la responsabilité et de l’autorité du chef de groupe”, explique-t-il, évoquant “une mesure de rétorsion après la contestation du budget”. Le responsable politique parle d’une “sanction politique” de la part de Jacques Lalie, “qui se fait le chantre de la démocratie dans ses déclarations publiques mais qui n’accepte pas le débat contradictoire. Il doit admettre des visions politiques différentes. Ce ne peut pas être le diktat permanent.”
"Un cas d'école du détournement de pouvoir"
L’avocat du directeur de cabinet, Me Loïc Pieux, compare la situation “à une purge, c’est en tout cas l’appréciation que j’en ai eu. Le président Lalie a voulu faire un exemple après la fronde des élus d’opposition en s’affranchissant de toutes les règles procédurales”. Le conseil ironise, “c’est un cas d’école du détournement de pouvoir, une procédure de sanction déguisée”.
Dans les conclusions de son référé, Me Pieux insiste, “la décision arbitraire" de Jacques Lalie a pour effet “d’affaiblir le groupe Palika-îles en raison du rôle fondamental du directeur de cabinet dans le fonctionnement d’un groupe politique […] Le président exprime clairement sa volonté de sanctionner le groupe ainsi que le directeur de cabinet pour son comportement, alors qu’il s’agissait seulement d’un comportement qui peut être entendu en tant que directeur de cabinet d’un groupe politique d’opposition qui a pour objet de faire vivre le débat et donc la démocratie.”
Première réponse judiciaire
Saisi, le juge des référés a donné raison au collaborateur du Palika. Dans un jugement que NC la 1ère a pu consulter, le juge du tribunal administratif considère que “l’absence de motivation de la décision attaquée, du non-respect du délai de notification de ladite décision, sont de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, qui doit être suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité”. “Il fallait mettre un stop aux velléités de Jacques Lalie’, conclut Me Pieux.
Il y a quelques semaines encore, le compte administratif pour l’exercice 2022 a été adopté par l’assemblée dans un contexte toujours tendu. “On espère que la situation va s’apaiser, qu’on puisse travailler dans de bonnes conditions et que le président prenne en compte les points de vues que nous défendons. C’est le souhait que nous formulons”, poursuit Charles Washetine. D’ici trois mois, le tribunal administratif se penchera sur le fond de l’affaire.
Contactés par la rédaction à de multiples reprises, ni le président Jacques Lalie, ni son directeur de cabinet, n'ont souhaité répondre à nos sollicitations.