"La situation se dégrade chaque jour au CHT", confie un professionnel de santé. "L’hôpital public a connu une première vague de départs très rapidement après les évènements", écrivait fin octobre le président de la commission médicale d’établissement (CME), dans sa communication mensuelle à la communauté médicale, au syndicat des médecins libéraux, doublée d'une lettre à l'Ordre des médecins. Le docteur Thierry de Greslan qui annonçait alors que cette vague se renforçait en novembre, et s’accentuera encore d’ici la fin de l’année.
Au manque d'attractivité du territoire pour les soignants venus d'ailleurs, un problème déjà ancien, s'est ajoutée la crainte de se retrouver pris dans un nouvel épisode de violences. La direction du CHT doit redoubler d'efforts pour combler les postes vacants. "Avant le 14 mai, on avait remonté le service de gastro, ainsi que l'ophtalmo et l'oncologie. En novembre, on avait toutes les arrivées. Tout le monde a annulé. C'est la bérézina", déplore le chef de service de neurologie.
Les conséquences sur l'offre de soins
"Une centaine de lits d’hospitalisation sont fermés au Médipôle sur cinq cents, car il manque autant d'infirmiers". C'est compliqué de fonctionner en pédiatrie et en néonatalogie, où il manquera 30 % des paramédicaux d’ici décembre. La moitié des psychiatres et la quasi-totalité des pédopsychiatres font défaut du CHS, ainsi que 83 % des kinés du CHT. Trente postes ont été ouverts pour des praticiens hospitaliers et des assistants, sans candidature enregistrée. La Calédonie n’a attiré finalement que dix-neuf internes à la place des quarante prévus et des soixante qui avaient initialement candidaté… Ils ont pris leur poste le 4 novembre.
Les conséquences, sur l'offre de soins, sont réelles, et entraînent des fermetures : de l'unité d'hospitalisation de très courte durée le week-end en octobre, du caisson hyperbare, de la ligne de Smur 2 (de manière occasionnelle), arrêt d'un plateau de rééducation. Au bloc opératoire, seules six salles sont ouvertes sur huit. "Nous en sommes sincèrement désolés, mais il faut s'attendre à un allongement des délais de consultation et de prise en charge des opérations programmées. Les patients ne doivent pas hésiter à contacter les services de spécialité en cas de besoin".
"Nous ferons notre possible pour assurer les urgences, ajoute Thierry de Greslan. Nous prendrons du retard dans le suivi des maladies chroniques. Nous espérons que cette situation ne durera pas au-delà du mois d'avril."
C'est une situation que nous n'avons jamais vécue. Et notre taux d’absentéisme augmente, du fait de la pression sur les équipes en effectif réduit.
Thierry de Greslan, président de la CME du CHT Gaston-Bourret
Les services les plus tendus
Une note de service de la direction datée du 7 novembre informe qu’aucun spécialiste d'hépato-gastro-entérologie ne sera présent au Médipôle à compter du 20 novembre, et pour deux mois. Les patients seront orientés vers la clinique Kuindo-Magnin. Il n'y a plus d'oncologue, après le départ de trois médecins. La chimiothérapie est toujours assurée au CHT, mais il n'y a plus d'hospitalisation. "On a une oncologue qui revient début décembre toute seule, mais on ne pourra pas réouvrir les lits. Et ensuite, on va être en difficulté au moins jusqu'en janvier. On a peut-être une deuxième spécialiste qui va arriver... Si la première ne s'est pas lassée et qu'elle n'est pas partie."
En ophtalmologie, après deux départs, c'est une interne thésée qui assure les urgences et les consultations. "Elle travaille avec les ophtalmos libéraux et on envisage de lui proposer d'aller opérer à la clinique pour s'occuper de nos malades." Il reste deux pneumologues sur une équipe de six. En soutien, un médecin burundais en CDD a commencé début novembre. Deux gynécologues ukrainiens devraient embaucher fin novembre. Il manque cinq praticiens sur onze dans le service. Enfin en cardiologie, deux nouveaux départs sont annoncés. Dès le mois de décembre, il n'y aura plus qu'une astreinte et plus de garde, avec maintien de la coronarographie et de la rythmologie sept jours sur sept.
Les consultations et les opérations vont prendre du temps. Mais il faut continuer de venir aux urgences, et appeler dans les services quand il y a des prises en charge urgentes, pour avancer les rendez-vous.
Thierry de Greslan, neurologue au Médipôle
Aux urgences, le recrutement de nouveaux médecins est en cours. Le retour à un niveau satisfaisant n'est pas attendu avant janvier 2025. En neurologie, ils sont trois à assurer la prise en charge des patients au lieu de six. Deux remplaçants se sont portés volontaires," in extremis", pour finir l’année.
Des pistes pour rendre attractive la Calédonie
Face à cette situation dégradée, la direction du CHT a entamé des discussions avec le haut-commissaire et le gouvernement pour attirer les soignants sur le territoire. "Plusieurs mesures d'attractivité ont été mises en place, détaille Thierry de Greslan, notamment la reprise totale de l'ancienneté, incluant les années en libéral, qui d'habitude ne sont pas reprises, sur des contrats en CDD. On a la prise en charge de billets d'avion, de logement pendant un mois pour les médecins et de la motorisation pendant un mois. On réfléchit à un contrat état-pays qui nous permettrait d'avoir des recrutements pérennes en lien avec des CHU. Bordeaux et Nice sont d'accord pour travailler avec nous."
Comment s'organise le recrutement au Médipôle ? Une cellule spéciale a été ouverte avec le bureau de la commission médicale d'établissement, la direction des affaires médicales et les chefs de service volontaires pour les médecins. Concernant le personnel paramédical, cela revient à la direction des soins et la DRH. "Pour reconstruire un service, il faut faire du recrutement et c'est compliqué de venir s'installer dans un hôpital où il n'y a plus la spécialité qu'on pratique. Se retrouver tout seul n'est jamais bien pour les nouveaux arrivants. Y compris pour ceux qui restent là, d'ailleurs, la situation devient de plus en plus difficile."