Eddie Lecourieux, maire du Mont-Dore : "C’est quoi notre avenir, une ville qui va mourir doucement ?"

Eddie Lecourieux, maire du Mont-Dore, invité politique du dimanche ©NC la 1ère
Elle a été moins touchée que ses voisines par les dégâts matériels liés aux émeutes qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie. Mais la ville du Mont-Dore continue à payer un prix très lourd, alors que la circulation reste impossible la nuit sur l’axe qui relie le Nord au Sud. Une énorme contrainte dont le maire énumère les conséquences. Eddie Lecourieux était l’invité politique du dimanche sur NC la 1ère.

Bientôt sept mois que la troisième ville calédonienne est fracturée. Il n’est toujours pas possible de circuler de façon normale sur la route provinciale qui traverse Saint-Louis, seul axe à desservir le Sud du Mont-Dore et Yaté. Les deux verrous installés par la gendarmerie mobile ferment le tronçon entre 18 heures et 6 heures du matin. L’arrêté du haut-commissariat sur le sujet expire ce lundi 9 décembre mais il devrait être renouvelé, sans qu’une date ne soit évoquée pour la réouverture totale de la RP1. 
Résumé par Stéphanie Chenais

"Les seuls à ne pas avoir la liberté de circulation"

Invité du journal télévisé dimanche soir, le maire du Mont-Dore s’en désole et juge l’action de l’État insuffisante. "Des choses ont été faites mais nous sommes les seuls à ne pas traverser la nuit, à ne pas avoir cette liberté de circulation", insiste-t-il en évoquant le couvre-feu qui vient d’être levé. 

Je crois que tout le monde n’a pas pris conscience que le Mont-Dore vivait reclus sur sa partie Sud. 

Eddie Lecourieux, maire du Mont-Dore


Une contrainte énorme qui entraîne toutes sortes de conséquences, notamment sur la santé des habitants côté Sud. "Il y a beaucoup de personnes qui ont des problèmes cardio, respiratoires, les femmes enceintes… Ce sont les pompiers qui s’en occupent."

Cette semaine encore, il a fallu évasaner deux mamans qui devaient accoucher, dans des conditions difficiles. L’ambulance a été frappée par un projectile, malgré les deux Centaure qui l’accompagnaient. 

Eddie Lecourieux

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Deux à trois mille départs ? 

Les départs se succèdent. "Combien de personnes sont parties du Mont-Dore, ne veulent plus y vivre ?", alerte le maire. "Le recensement, dans quelques mois, viendra nous confirmer une baisse significative. Je parle de deux mille à trois mille personnes, plus de 10 % de la population. Et ce n’est pas tant que les gens partent, mais c’est quoi, notre avenir ? Une ville qui va mourir doucement ?"

"Les gens n’en peuvent plus"

Un élu qui a des mots forts. "Il faut aller à la rencontre des gens. Des fois, quand je n’ai pas les larmes aux yeux, je baisse la tête. Qu’est-ce que vous voulez dire en tant que maire ? J’ai honte. Les gens n’en peuvent plus", martèle-t-il. "Il faut voir le nombre de personnes qui vivent sous anxiolytiques, qui sont plus souvent chez le médecin que chez eux. Des gamins qui ont à peine pu finir leur scolarité, ou qui l'ont mal finie…"

Il y a un vrai débat à avoir et on n’ouvre pas ce débat. On dit simplement : ‘Oh, les pauvres du Mont-Dore...’

Eddie Lecourieux 


À hauteur de Saint-Louis, "on sent qu’il y a un apaisement, reconnaît-il, et ce qui me rend encore plus en colère, c’est que le soir, quelques individus - on parle d’enfants et de mamans, aussi - viennent mettre des gravats sur la route. Et le matin, au moment d’ouvrir la route, il faut nettoyer." Ce qui retarde souvent l’ouverture de la portion. 

Encore "un millier" d’usagers pour les navettes

Un internaute s’inquiète à l’idée que les navettes maritimes entre le Vallon-Dore et l’autre côté s’arrêtent au 15 décembre. Eddie Lecourieux entend rassurer : "C’est une date initialement annoncée par la province parce qu’on retrouvait un axe, une vie normale, etc. Aujourd’hui, il y a encore plus d’un millier de personnes par jour qui prennent les navettes. Donc la présidente [de l’assemblée provinciale Sud] s’est engagée à [les] poursuivre le temps nécessaire. Mais derrière, une partie est payée par l’Etat, qui rembourse le coût. Et depuis août, les comptes n’ont pas été mis à jour."

[Le coût des navettes maritimes représente] plus d’un milliard déjà pour l’année 2024. 

Eddie Lecourieux

Pour une "mission de l’État"

Un maire qui n’entend pas renoncer au projet de viaduc, aussi chère son estimation soit-elle (on parle de plusieurs dizaines de milliards CFP), et quel que soit l’état des caisses. "Non, je ne tourne pas la page ni de ce projet, ni d’un autre. Bien sûr qu’il est réalisable. Il y a onze mille personnes sur le [Sud du] Mont-Dore et trois mille personnes sur Yaté." Il en appelle à Paris pour trancher. "Pourquoi l’Etat français ne fait pas venir une mission pour trouver une solution viable pour un axe qui ne l’est pas aujourd’hui ?"

Et de lancer : "Je trouve qu’on s’apitoie sur nous. Pourtant, ça creuse, entre les Calédoniens. Ceux qui ont envie qu’une solution soit trouvée, avec un axe différencié, et les autres qui disent : ‘Non, ça coûte trop cher.’"

Le budget fond

La ville déplore "à peu près 150 millions de dégâts" liés aux émeutes et aux dégradations des derniers mois. En parallèle, ses ressources fondent. En début d’année, elle a voté "un budget à six milliards. C’était sept milliards il y a deux ans. On finira [l’année] à cinq milliards et l’année prochaine, on tape sur un budget entre quatre et cinq milliards. On a été obligé de considérablement réduire les charges, avec des réductions de personnel."

On attend la manne financière que l’Etat doit nous donner. Je crois qu’il veut nous payer nos centimes additionnels à la place de la Nouvelle-Calédonie. Pour le Mont-Dore, ce serait 700 millions. Et on attend de voir comment va se définir le projet de budget de la Nouvelle-Calédonie pour l’année 2025.

Eddie Lecourieux

"La dernière année" de gestion saine

Interrogé sur une éventuelle mise sous tutelle de la commune, il étend la problématique aux autres municipalités. "On a tous les mêmes problèmes. Si demain, on n’arrive pas à clôturer convenablement nos budgets, la loi veut que ce soit une mise sous tutelle de l’Etat. Pour l’instant, on a réussi à équilibrer. On a eu les prêts nécessaires des organismes bancaires. Aux yeux des emprunteurs, la commune a encore une gestion saine. Mais ce sera la dernière année."