Un grand bol d’air et d’art. Mathieu Venon revient d’un événement australien dédié à la sculpture en plein air. Du 6 au 15 septembre, le plasticien calédonien a présenté une installation au Swell festival : des formes animales en bois brûlé, plantées dans le sable de Currumbin beach, à Gold coast. "L’événement était super. Une organisation professionnelle. Je crois qu’il y avait 350 candidatures, pour une soixantaine d’artistes retenus…" Un large public a déambulé autour de leurs œuvres.
Ça réconforte un artiste, quand il voit autant de gens regarder son travail et que ça fait, pour une partie, sens avec leur vie.
Mathieu Venon, plasticien calédonien
À la base, Mathieu Venon a remporté un appel à projet, dans le cadre d’un partenariat entre la ville du Queensland et sa jumelle Nouméa. Il a donc fait migrer un concept déjà exposé en divers endroits de Calédonie, du parc forestier à l’île aux Canards en passant par le centre Tjibaou et le château Hagen.
Des incendies planétaires, au bestiaire
"Ce que j’ai présenté en Australie est lié à tous les travaux que j’ai menés ces dernières années, explique-t-il. Depuis début 2019, je travaille avec le feu. J’ai mis en abyme les problématiques liées aux incendies planétaires, et notamment ceux qui ont ravagé le bush en Australie. On avait toutes ces images d’animaux, d’écosytèmes complètement ravagés."
Le désastre écologique lui a inspiré la représentation d’animaux aux formes différentes, comme rongées par les flammes. Il a donné à son bestiaire noirci le nom de "black birds". "Arrivé là-bas, je me suis rendu compte que les black birds", comme les corbeaux, "sont des oiseaux très présents, qui font partie du quotidien. Ça a beaucoup parlé aux Australiens, c’est le pur hasard."
Pendant les émeutes
Participer à cet événement relevait du défi logistique. À la mi-mai, la crise insurrectionnelle éclate en Nouvelle-Calédonie. Mathieu Venon vit et crée dans le quartier du Mont-Dore Sud. Comme des milliers d’habitants, il est isolé par l’impossibilité d’emprunter la seule route qui mène au reste du pays. "J’ai produit le travail pendant les émeutes. J’entendais vaguement au loin les clameurs du monde… Je l’ai fait dans un état d’esprit un peu perturbé. Mais ça ressemblait quand même pas mal à ce que j’avais prévu."
Dans ces moments-là, j’ai encore plus besoin de m’exprimer et de créer.
Mathieu Venon
De navette en navire
Pour rejoindre le port autonome, les "black birds" partent du wharf du Vallon-Dore. À bord d’une des navettes maritimes qui permettent de desservir le Sud malgré le blocage routier.
Ensuite, l’attente. "Le petit stress a été de savoir si ça allait pouvoir embarquer dans un gros bateau pour aller en Australie." Les sculptures vont finir par partir, et par arriver à bon port.
Mathieu a aussi décliné ses oiseaux en peinture. "Mon travail a été bien reçu. Je me suis dénoté, je crois, peut-être par une écriture plus poétique, plus sensible, plus tournée vers une expression liée au monde dans lequel on vit. Les artistes australiens qui étaient avec moi avaient en tout cas une démarche différente."
"Reboostant"
Du Swell festival, le Calédonien a retiré "une expérience supplémentaire" et des contacts auprès d’artistes, "dont l’un avec qui des choses pourront peut-être se faire. C’est toujours enrichissant, inspirant, reboostant. Maintenant, je suis prêt à travailler sur la suite." Il lui faut par exemple terminer une commande publique qui devait être livrée à Nouméa en mai, dans le cadre du 1 % artistique. "Tout a été chamboulé. J’ai bon espoir que le chantier redémarre pour le finaliser, que ça puisse enfin être accroché sur le nouveau bâtiment de la DAEM", (la direction de l'Aménagement, de l'équipement et des moyens, à la Première Vallée-du-Tir).
Détournement de claquettes
L'autre projet du moment marche par paire. Avec son voisin d'artiste Denis Rancelot, Mathieu Venon prépare une drôle d'exposition, née de cette période exceptionnelle. "Il est venu me voir un matin en disant : 'J’ai envie de faire des claquettes en béton.' On s’est mis à produire des claquettes ensemble, en béton au début, et puis en tous types de matériaux."
Je me suis rendu compte que c’était un objet intéressant à détourner, qu’il fait partie du patrimoine calédonien et que dans ces temps complexes, c’était l’élément qui nous réunissait. Malgré nos divergences, on porte tous des claquettes, dans ce pays.
Mathieu Venon