Santé au féminin : ces Calédoniennes qui ne prennent pas assez soin d'elles

Troisième et dernier volet de notre dossier sur la santé des femmes. La journée internationale des droits des femmes a été déclinée autour de cette thématique cette année au Mont-Dore. L'occasion pour les femmes de se renseigner auprès de professionnels. Elles sont en effet encore nombreuses à ne pas prendre suffisamment soin d’elles.

C’est un constat partagé par de nombreux médecins. Les femmes calédoniennes ne prennent pas suffisamment soin de leur santé. Et ce pour des raisons très différentes. Précarité, centres de soin trop éloignés ou manque de temps, tout simplement. Ce défaut de suivi a des conséquences, multiples et parfois graves. Elles sont en effet plus touchées par certaines maladies, qui restent sous-diagnostiquées et sous-traitées. L’information est donc indispensable.

Identifier les femmes éloignées du système de santé

À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, le gouvernement a proposé un parcours santé complet sur invitation, en particulier autour des maladies cardio-vasculaires et en présence de plusieurs spécialistes. Pas moins de 200 Calédoniennes ont été identifiées en croisant plusieurs types de données.

Des femmes qui s'étaient éloignées du système de santé progressivement, mais durablement. "On s'est rendu compte qu'il y a beaucoup de pudeur chez certaines femmes, en ce qui concerne les examens gynécologiques par exemple, assure Souad Sédiri, angiologue. Lors de cette consultation, on a abordé d'autres disciplines. On a distribué des bons de dépistages gratuits par exemple."

Une soixantaine d'entre elles a pu bénéficier de cette initiative. "Cela a aussi permis à des femmes qui travaillent en semaine d'avoir ce créneau sur un samedi."

Des retards de diagnostic gravissimes

"C’est une vraie problématique. Les femmes font trop souvent passer leur santé après tout le reste, leurs enfants, les grands-parents. Beaucoup se négligent", estime Thierry Corre, président du conseil de l’ordre des sages-femmes. Une négligence qui peut entrainer des retards de diagnostic gravissimes. Il se souvient en particulier de cette femme qui a eu un bébé à 39 ans, décédée des suites d’un cancer à 46 ans. "J’essaye de leur faire comprendre qu’il faut qu’elles soient en bonne santé pour pouvoir prendre soin de leur famille. Qui s’occupera de leurs enfants si elles tombent malades ? C’est un message qui fonctionne bien, pour les inciter à consulter."

Le temps de la grossesse est une période privilégiée, pour les soignants. L’occasion de voir celles qui ne consultent pas souvent. Parfois, une autre contrainte s’ajoute. Pierrane Mahé a été sage-femme pendant six mois à Ouvéa, elle exerce aujourd’hui à Tontouta. "Il peut y avoir le jugement des autres qui pèse sur les patientes. Les gens parlent beaucoup, c’est pour ça que la cabinet est un peu isolé. Une fois, je devais suivre une jeune femme pour une IST (infection sexuellement transmissible), mais elle n’est pas revenue avec son petit-ami, regrette t-elle. Il avait pourtant des risques d’infertilité, à ne pas se soigner."

Sensibiliser les hommes

Meke Cuer, la présidente du conseil des femmes du Pacifique, a pu constater cette situation sur le terrain. "Lors de notre tournée de la flamme de paix, nous sommes allées dans des endroits très reculés. On voulait rencontrer les femmes de l'intérieur pour voir leur quotidien, leur façon de vivre. Je ne sais pas si c'est par négligence ou par manque de temps, mais on l'a constaté, c'est tout à fait vrai. Il y a aussi bien sûr l'éloignement des tribus, avec des problèmes de déplacement, pour celles qui n'ont pas de moyens de locomotion." D'autant plus que certaines femmes, non véhiculées, n'osent pas demander à un homme de la famille de les emmener chez un médecin. "On leur a dit qu'il était impératif qu'elles prennent soin de leur santé, mais il faut aussi sensibiliser les hommes. Il y a encore des choses taboues."

Le conseil des femmes du Pacifique a proposé des ateliers santé lors de sa grande tournée l'an dernier. " Il y a des gardes, des médecins qui passent. Mais ce n'est pas suffisant. Les associations de femmes nous ont demandé de revenir."

Repousser sans cesse une consultation

Et il ne faut pas croire que les femmes de catégorie socioprofessionnelle supérieure ne rencontrent pas de difficultés. Alors qu'elles doivent jongler entre leurs obligations professionnelles et familiales, "elles ont tendance à négliger leurs symptômes et à retarder la prise en charge médicale, en repoussant sans cesse à plus tard la consultation salvatrice, qui intervient souvent trop tard", selon l'association Agir pour le cœur des femmes. Bien souvent, elles donnent la priorité à la santé de leurs enfants, se faisant passer au second plan. 

Moins d'activité physique que les hommes

Sans oublier que la santé passe également par l'activité physique. Et là aussi le bât blesse. Dans l'hexagone, les femmes ne sont que 53 % à atteindre les recommandations de l'OMS en matière d'activité physique, contre 70 % des hommes (source Esteban Santé publique France 2017).
De même, les femmes actives physiquement selon les recommandations de l’OMS ont régressé de 10 % en dix ans, et tout particulièrement la tranche d’âge 40-54 ans (- 22 %). Parallèlement, la proportion d'hommes physiquement actifs a augmenté de 7 %.

En Nouvelle-Calédonie par exemple, le dispositif POP, porté par la province Sud, accompagne des hommes et des femmes en surpoids pour retrouver des habitudes de vie saine avec un rééquilibrage alimentaire et une activité physique.

Les opérations ludiques et sportives, comme la course la Nouméenne, permettent aussi de rappeler aux femmes qu'elles doivent faire des examens régulièrement.

Les questions de santé encore portées par les femmes au sein de la famille

D’autant plus que, selon les spécialistes, une femme qui est en bonne santé et qui connaît l’importance d’une bonne alimentation, ou les grands rendez-vous qu’il faut prendre chez un médecin, va également être prescriptrice. Autrement dit, elle va être mieux informée pour prendre soin de la santé de sa famille. "Les études montrent que les femmes sont prescriptrices au sein du foyer sur la bonne santé. Donc si elles sont elles-mêmes en bonne santé et qu’elles connaissent les bons messages, ça va avoir une influence très positive sur la famille dans son ensemble", poursuit Isabelle Champmoreau, membre du gouvernement en charge de l’égalité des chances.

Même si cette responsabilité n’est pas censée peser uniquement sur la femme dans le couple, la femme reste encore dans de nombreux foyers calédoniens une référente en matière de santé.

Jeune maman avec son bébé à la clinique Kuindo-Magnin, image d'illustration.

 Rééquilibrer la charge mentale

La loi sur l’égalité professionnelle adoptée l’an dernier va également dans ce sens, selon le gouvernement. L’idée étant de rééquilibrer la vie professionnelle, et donc familiale, des parents. Afin que la charge mentale du suivi de la santé soit mieux partagée entre les hommes et les femmes. "L’Isee a sorti une étude sur ce sujet, qui dit que maintenant, les femmes représentent quasiment 50 % de la population active, ajoute Isabelle Champoreau. Donc si on veut se former, avoir un emploi, et aussi passer de bons messages dans sa famille, on doit connaître ce droit à la santé, on doit avoir les informations." 

Retrouvez les deux autres volets de notre dossier consacré à la santé au féminin :