Les élections sénatoriales ont créé la surprise ce 24 septembre, en Nouvelle-Calédonie, avec la défaite de deux sénateurs sortants, qui comptaient bien conserver leur fauteuil à Paris. Pierre Frogier (Rassemblement-LR), élu à la chambre haute depuis 2011, et Gérard Poadja (Calédonie Ensemble), sénateur depuis 2017, ne représenteront plus le Caillou au palais du Luxembourg.
Comment expliquer leur défaite ? Dans celle de Gérard Poadja, la "raison essentielle", "c’est la faiblesse des grands électeurs de Calédonie ensemble, suite au déclin de ce parti, ces dernières années", estime Luc Steinmetz, qui rappelle qu'il "avait déjà commencé aux élections municipales de 2020".
Pierre Frogier, "victime d’une élection transpartisane"
Quant à Pierre Frogier, "peut-être que certains ont considéré que c’était la candidature de trop et qu’il valait mieux qu’il ne se représente pas", soulève Luc Steinmetz, avant de nuancer. "Je crois qu’il a été victime (de) ce que le nouveau sénateur Georges Naturel a appelé une élection transpartisane. C’est la principale raison de l’échec de Pierre Frogier, qui a d’ailleurs touché la candidate Sonia Backès."
Un vote "contre la gouvernance de Sonia Backès"
Autre observateur de la vie politique calédoniennne, Louis-José Barbançon souligne les visions divergentes de l’avenir institutionnel de la Calédonie, au sein de la famille non indépendantiste. "Il y a plusieurs "non" [à la pleine souveraineté]. Le "non" de monsieur Naturel et des grands électeurs qui ont voté pour lui n’est pas le "non" de Sonia Backès et encore moins celui de Nicolas Metzdorf". Pour l’historien calédonien, les grands électeurs non indépendantistes qui ont voté Robert Xowie, "ont voté contre Sonia Backès". Un vote que la secrétaire d’Etat vit comme "une trahison", "alors que c’est sa gouvernance, son discours et son trop-plein d’ambition qui ont été sanctionnés", analyse Louis-José Barbançon.
Une sanction des indépendantistes contre Emmanuel Macron
Quant aux "indépendantistes qui ont voté Georges Naturel, [ils] n’ont pas voté contre Sonia Backès, ils ont voté contre Emmanuel Macron", assure-t-il. "La défaite de Sonia Backès est la résultante du maintien du 3e référendum ; du discours de la place des Cocotiers [du chef de l’Etat] ; du document martyr [sur l’avenir institutionnel] ; de la vidéo de Gérald Darmanin [soutenant la candidature de Sonia Backès], qui a fait déborder le vase et a levé les doutes des derniers réticents indépendantistes à voter Georges Naturel".
"Les indépendantistes ont envoyé un message à Emmanuel Macron et aux représentants de l’Etat qui ne prennent pas au sérieux les indépendantistes et leur revendication. Ce message arrive après la venue d’Emmanuel Macron, après son discours qui n'a pas été accepté dans le monde kanak."
Le fait que ce soit un ministre du président Macron, le seul qui se présentait aux sénatoriales, qui ait été battu, est une humiliation infligée au président de la République.
Louis-José Barbançon, historien
"Ce dont on devrait se réjouir, c’est que les indépendantistes ont choisi de le faire par la voie démocratique, en utilisant le bulletin de vote comme seule arme", ajoute Louis-José Barbançon. Ce dont on devrait se réjouir, c’est que le vote de dimanche est l’illustration que l’esprit de Nainville et de la poignée de main est toujours vivant."
Epi-phénomène ou redistribution des cartes ?
"La seule conséquence importante", selon l’historien calédonien, est la question suivante : "l’Etat va-t-il entendre ce message, alors qu’il a toujours refusé d’entendre celui de la majorité des Kanak qui ne sont pas allés voter au troisième référendum ?"
À l’échelle locale, il est encore trop tôt pour dire s’il s’agit d’un épiphénomène ou d’une future redistribution des cartes.