La Cafat face à la crise sanitaire et ses conséquences financières

La pandémie de Covid-19 place la Nouvelle-Calédonie et ses habitants dans une situation sans précédent. Cotisations, chômage partiel, indemnités de «quatorzaine»... : notre système de protection sociale pourra-t-il faire face ? Entretien du jeudi 30 avril avec Xavier Martin, directeur de la Cafat.
NC la 1ere : Le Congrès a validé mercredi un prêt inter-régimes de cinq milliards. A quoi vont-ils servir? 
Xavier Martin
: Ces cinq milliards, dans le contexte actuel, vont nous permettre de pouvoir  continuer à garantir le versement des prestations à la charge du Ruamm. […] Notamment des dotations de fonctionnement des hôpitaux, et le paiement des professionnels de santé, tout en garantissant les indemnités journalières d’arrêts de travail et l’ensemble des prestations que nous avons l’habitude de verser.  

Quand vont-ils échoir dans le budget du Ruamm? 
Les cinq milliards sont à disposition, dans les réserves des régimes retraites et prestations familiales. Ce que nous attendons, c’est la promulgation de la loi de pays. Ceci devrait intervenir aux alentours du 15 mai. Et dès que cette loi aura été publiée, nous opèrerons l’opération financière de transfert des fonds entre vieillesse, famille et Ruamm.

Pourquoi ce délai de quinze jours? 
Parce que c’est une loi de pays. Le vecteur juridique impose un délai de quinze jours. 

Ce délai va-t-il avoir une conséquence? 
Il était prévu, que les cinq milliards soient dépensés par le Ruamm. Nous sommes dans une situation rendue plus complexe par les impacts du Covid-19 que celle que nous connaissions au moment où le président Thierry Santa a présenté son plan de redressement. Dont le prêt était une des mesures court-terme, pour permettre la prise d’effets de l’ensemble des autres mesures du plan.
 

Je pense que le plan de redressement du Ruamm va devoir être réétudié pour tenir compte des impacts de la crise actuelle.


Ces impacts de la crise, ont-ils déjà été évalués?
Nous avons fait un certain nombre d’évaluations. Les jours prochains vont être très intéressants dans l’observation de ces impacts. Si je reprends l’ensemble des mesures d’aide qui ont été votées dans le cadre de la crise générée par le virus Covid-19, nous avons l’échéance de cotisation des employeurs du premier trimestre [le 30 avril].
Nous allons pouvoir mesurer quelle part d’entre les entreprises auront souhaité bénéficier du report d’échéance voté par le Congrès, qui les amène à pouvoir décaler le paiement de leurs cotisations au 30 septembre. On n’a pas aujourd’hui une idée assez précise de la part des entreprises qui vont garantir leur paiement à la date du 30 avril.
 

Toutes les entreprises qui peuvent payer [leurs cotisations], que ce soit aujourd’hui ou dans les prochains jours, qui auraient la trésorerie, je les enjoins de le faire parce que ça nous permettra de passer plus facilement, plus solidairement, les effets et les problèmes créés par la crise que nous traversons.  


Dans un courrier du 2 avril, le président du conseil d’administration de la Cafat alertait le gouvernement sur un régime chômage au plus bas, qui ne permettrait pas d’assurer le paiement des mesures envisagées, sur une cessation de paiement du Ruamm au 15 avril, et sur des accidents du travail qui ne pourraient pas être indemnisés au-delà de la mi-mai… 
Ça a été entendu par le gouvernement, qui a pris des mesures pour retarder ces échéances. Nous avions la difficulté du Ruamm : le gouvernement a pris la décision de payer par avance certaines des compensations qui devaient nous être versées aux mois de mai et de juin. Pour nous permettre de passer ce cap et justement attendre de pouvoir bénéficier du prêt de cinq milliards. Et éventuellement du reversement d’une partie de ce que la Nouvelle-Calédonie va pouvoir obtenir du prêt de l’[Agence française de développement] garanti par l’Etat. 
S’agissant du chômage, nous somme sur un régime qui dispose de la trésorerie juste nécessaire pour assurer le montant des indemnisations qu’il a habituellement à sa charge, c’est à dire le chômage total. Il est clair que là, nous avons besoin d’un apport de trésorerie supplémentaire, pour prendre en charge cette prestation exceptionnelle qui est celle du chômage partiel Covid-19

Est-ce que la mesure de chômage partiel est payée dès cette semaine? 
Il y a plusieurs éléments. D’abord, quand est-ce que nous allons pouvoir bénéficier des fonds reversés par l’AFD ? Je dirais que la balle est dans le camp de l’AFD, puisque l’AFD va devoir prendre la décision finale, dans les jours qui viennent. Semble-t-il, au travers d’un conseil d’administration qui doit se tenir. 
Entre-temps, un autre élément important : combien d’entreprises vont, malgré cette possibilité de report d’échéances, verser leurs cotisations [au 30 avril]. C’est l’apport de trésorerie qui va permettre de déterminer à partir de quand, et à quelle hauteur, nous allons pouvoir verser les allocations de chômage partiel liées à la nouvelle réglementation Covid-19.

A ce jour, il n’y a pas encore eu de versements pour le chômage partiel? 
Aujourd’hui, non. L’arrêté qui doit fixer le modèle de déclaration que les entreprises vont devoir ensuite adresser à la DTE et à la Cafat, pour obtenir le remboursement des avances qu’elles auront pu opérer, cet arrêté va être publié dans les jours qui viennent.
 

C’est un fichier Excel, qui a été construit pour l’occasion, et qui doit impérativement être utilisé par les entreprises parce que ça va permettre d’accélérer leur dossier. J’insiste bien sur le fait que, y compris les entreprises qui prépareraient des déclarations aujourd’hui, doivent attendre que ce fichier soit à disposition. Nous venons de terminer son calage technique et il va être mis en ligne sur les sites de la DTE et de la Cafat très rapidement. 


Que va payer la Cafat, concrètement? 
Le chômage partiel va se calculer sur le salaire brut que le salarié a l’habitude de percevoir. La proportion de ce salaire est maintenue à hauteur de 70 %, déduction faite de la Contribution calédonienne de solidarité. Ça va pouvoir représenter un net variable en fonction du profil de cotisation sociale de l’entreprise. Mais c’est quand même une mesure très favorable pour le salarié au regard de ce que le régime chômage avait l’habitude d’indemniser aujourd’hui. 
 

A peu près 1 500 entreprises se sont déclarées auprès de la DTE comme pouvant demander le bénéfice du remboursement des avances qu’elles auront pu concéder à leurs salariés sur la base de la réglementation Covid-19. D’habitude, le chômage partiel concerne entre cinquante et 80 dossiers par an ! 


Certaines entreprises ont déjà dû licencier. Y a-t-il une hausse des demandes de chômage total ?
Ce que nous observons depuis une dizaine de jours, c’est une augmentation du nombre de dépôts de dossiers de chômage total. Nous sommes, en une semaine, sur un volume qui correspond à ce que nous recevons habituellement en un mois.
 
Est-ce que cela va pouvoir être financé par le prêt de l’AFD? 
Je vous dirai ça quand je saurai de combien nous allons pouvoir disposer sur le régime chômage, entre les différente mesures qui vont être financées. Il y aura une allocation sur le chômage partiel. Mais ce qui est prévu également, c’est une utilisation de la part du prêt AFD pour venir contribuer au manque de cotisations au 30 avril. C’est une part importante, qui va bénéficier également au régime chômage, et lui permettre de passer ce cap.
 

La difficulté, avec le chômage total, c’est que c’est une période d’indemnisation d’au moins neuf mois si le salarié ne retrouve pas d’emploi. Il va falloir observer sur le moyen terme pour savoir si nous pourrons passer cette période. 


La Cafat est aussi concernée par le paiement des indemnités pour les personnes en «quatorzaine». Pourquoi ? 
On se base sur l’existence d’un fonds particulier : le fonds autonome de compensation en santé publique. Il a été créé par la Nouvelle-Calédonie. Il est abondé habituellement par la Cafat, les provinces et la Nouvelle-Calédonie. La Cafat prenant en charge, au travers du Ruamm, 75% du financement. Il est là pour financer de grandes actions au profit des Calédoniens. La Nouvelle-Calédonie utilise ce vecteur, en le dotant d’une part du prêt de l’AFD. C’est au travers de ce fonds que nous liquiderons des indemnités journalières au profit des gens en quatorzaine, qui auront fait l’objet d’arrêtés nominatifs.

Est-ce que ces indemnités seront compensables avec du chômage partiel ?
Non.
 

Les dispositifs sont exclusifs les uns des autres. On bénéficie soit du chômage, soit de la majoration des prestations familiales, soit d’une indemnité journalière pour «quatorzaine», soit d’autres dispositifs qui pourront être émis en place ultérieurement.


On voit que la Cafat va être confrontée à de nouvelles dépenses, à de nouvelles contraintes, énormes. Ça n’allait déjà pas. Comment abordez-vous cette crise ?
Avec beaucoup d’optimisme, parce que nous avons besoin de ce système. Je pense qu’on peut être fiers du système de protection sociale dont nous bénéficions. Et il va falloir que nous trouvions les solutions pour adapter ces financements au niveau des dépenses que nous souhaitons lui voir prendre en charge. 
 

On voit, en cette période de crise, quelle est l’utilité de la Cafat. C’est, avec les provinces, l’un des seuls outils que l’on peut mettre en œuvre pour arriver à compenser les risques et les difficultés que nos concitoyens vivent au quotidien. Il faudra s’en souvenir au moment de prendre décisions difficiles pour venir abonder en financements complémentaires ou en réduction des dépenses.


Un entretien à retrouver ici :