"Le vrai problème, c'est que cette loi est mauvaise. Elle est mauvaise pour l'économie, elle est mauvaise pour l'investissement, pour la consommation". Nuihau Laurey, représentant de A Here Ia Porinetia, ne mâche pas ses mots. Invité café de la radio Polynésie la 1ère, ce mardi, le politique dénonce, à l'instar des partenaires sociaux, le fait qu'aucune mesure ne soit proposée par le gouvernement pour lutter contre la vie chère.
"C'est ça le fond du problème. À deux reprises, nous avons proposé au président de reporter l'application de cette loi pour se donner le temps de la concertation. Tous les acteurs économiques ont critiqué finalement le fait qu'il y ait aucune discussion sur les dispositions qui sont proposées. Et je pense qu'au lieu de remettre tout de suite la même loi finalement sur le sur la table de l'Assemblée, il aurait été préférable d'organiser une vraie concertation avec tous les acteurs économiques".
Une économie en déclin
Une défiscalisation, qui selon lui, va conduire beaucoup de projets à être finalement annulés. "C'est ce qu'on voit déjà depuis le début de l'année. Et pourtant ça va en contradiction avec le souhait du président, qui l'a affirmé à plusieurs reprises, d'atteindre 600 000 touristes. On sait qu'on n’a pas suffisamment d'hébergements. Le fait de rendre plus difficile l'activité hôtelière, il y a une augmentation des impôts pour les hôtels, il y a une diminution de la défiscalisation, il y a des conditions qui sont plus difficiles pour les Airbnb. Donc finalement, ce texte vient rendre plus difficile la création de nouveaux hébergements (...) Notre président a une très grande facilité pour lancer des slogans. 600 000 touristes, 35 % d'économie numérique, réinventer ATN... Mais derrière, il n'y a aucun plan, il y a aucune stratégie pour créer davantage de chambres, il faut donner l'envie aux hôteliers d'investir dans ces domaines-là et pas et faire exactement le contraire.
Un recours sur le fond
L'opposition l'avait annoncé lors du vote de la loi fiscale à l'Assemblée, jeudi dernier. Un recours au conseil d'Etat sera déposé. Car, ce qui pose problème, selon Nuihau Laurey, c'est la demande de rétroactivité. "Le gouvernement souhaite que cette loi rétro agisse depuis le 15 décembre de l'année dernière, donc avant la clôture de l'exercice 2023, ce qui en droit est quasiment impossible. Cette disposition-là, elle risque d'être invalidée. Finalement, la question, c'est même plus la question du remboursement des trop-perçus, la question est : est-ce que c'est le moment de mettre en place un texte qui rend l'activité économique plus difficile dans une situation où elle est objectivement en déclin ?"
Une loi fiscale qui, dénonce le politique, ne contient aucune disposition visant à renforcer le pouvoir d'achat des ménages ou lutter contre l'inflation. "Au contraire, il y a une remise en cause d'une partie des exonérations qui avaient été accordées pour les matériaux de construction et faciliter est l'activité de construction. Quand on regarde ce texte du début à la fin, c'est un texte qui essaie de gratter dans les poches des uns et des autres un peu d'argent. Je pense que c'est le choix du gouvernement parce qu'en annulant la taxe sociale, ils se sont rendu compte finalement qu'ils perdaient de très 9 à 10 milliards et qu'il fallait bien les trouver quelque part pour équilibrer les régimes sociaux."
Alors, quelles modifications concrètes souhaite le représentant de AHIP ? "Des mesures qui vont plutôt en faveur du développement économique, des mesures de réforme du système des PPN et des produits de grande consommation. De cibler finalement ce soutien aux catégories de ménages les plus en difficulté. On aurait préféré qu'il y ait de vraies mesures de réduction de la dépense publique. Parce que si on veut baisser les impôts, le seul moyen de le faire, c'est de baisser aussi la dépense publique. Et surtout, on aurait souhaité des vraies mesures de simplification administrative."
"Le Président, c'est la première institution de notre Pays. C'est celui qui peut faire des arbitrages, c'est celui qui peut discuter en dernier ressort avec l'État pour les contrats de projets, de convergence. Le fait que le président soit aussi absent, puisque c'est le président le plus voyageur qu'on ait jamais eu, fait que finalement les arbitrages importants n'ont pas lieu".
Nuihau Laurey
Quant au bilan du gouvernement Brotherson, Nuihau Laurey estime que la durée du discours du président, une dizaine de minutes, est à l'image du bilan. "C'est la première fois que j'entends un discours aussi court. Ça montre bien qu'il n'y a aucun bilan sur l'année écoulée.", explique l'élu qui dénonce, comme Edouard Fritch, la suppression du préconseil des ministres du lundi. "Cela marque bien cette incompréhension puisque l'objet du préconseil des ministres est de faire en sorte que tous les ministres soient au courant des dossiers de leurs collègues. De dire qu'on va organiser à la place de ça, la concertation, cela montre bien que le président n'a pas bien saisi quel était l'objet de ses fonctions. Le Président, c'est la première institution de notre Pays. C'est celui qui peut faire des arbitrages, c'est celui qui peut discuter en dernier ressort avec l'État pour les contrats de projets, de convergence. Le fait que le président soit aussi absent, puisque c'est le président le plus voyageur qu'on ait jamais eu, fait que finalement les arbitrages importants n'ont pas lieu". Des multiples voyages pointés du doigt par le représentant d'AHIP. Car, selon lui, la solution aux problèmes du Pays se trouve en Polynésie et se trouve dans les discussions avec les partenaires habituels du pays, et non à l'étranger.
Importation des yaourts, ATN
Quant aux importations de yaourts, là aussi, l'élu pointe du doigt une politique qui va à l'encontre du Tavini et du développement des ressources propres à la Polynésie. "Ce paradoxe n'est pas le seul dans la gestion de notre Pays par ce gouvernement (...) Je pense qu'il est important, si on veut devenir autonome sur le plan alimentaire, de soutenir au contraire ces secteurs pour les accompagner les protéger, de les accompagner et de faire en sorte que leurs conditions d'exercice soient au moins égales à celle des concurrents extérieurs qui, eux, ont beaucoup plus de moyens. Je ne dis pas que c'est facile, mais je dis que le fait de prendre des décisions de cette manière sans prévenir les acteurs, ce n’est pas ce qui va permettre notre développement."
Autre actualité abordée, l'avenir d'ATN. En effet, le président du Pays a annoncé un changement à la direction de la compagnie et l'objectif de réinventer Air Tahit Nui. "Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on va augmenter le prix des billets pour revenir à l'équilibre ? Ça veut dire qu'on va ouvrir de nouvelles lignes comme on l'avait fait à l'époque avec New York ou Sydney ? (...) C'est facile de dire on va réinventer une compagnie aérienne. C'est compliqué comme activité, le transport aérien. C'est encore plus compliqué quand on a en face de soi des concurrents qui pèsent 100 fois sa capacité en termes de transport. United Airlines, c'est environ 700 avions. Air France-KLM, qui a quasiment cinq fréquences par semaine, c'est plusieurs centaines d'avions. Nous, on a quatre avions. Et donc c'est pour ça que sur ce sujet, moi, je souhaiterais qu'il y a un vrai débat au sein du conseil d'administration et qu'on ne vienne pas nous dire : bon bah voilà, l'homme clé, la personne qui va nous sortir, c'est un tel."
L'idée pour Nuihau Laurey : négocier avec ces compagnies pour avoir un meilleur partage de ces lignes et organiser finalement cet équilibre avec des compagnies, "qui viennent aujourd'hui mais qui peuvent partir demain si elles estiment que finalement le taux de remplissage n'est pas le bon ou qu'elles ont d'autres opportunités ailleurs". "Air Tahiti Nui, sa fonction lors de sa création, est de nous assurer notre indépendance par rapport à l'acheminement de nos touristes. Ça a un coût. Est-ce que le Pays est prêt à supporter ce coût ? Voilà les questions qu'il faut poser en conseil d'administration très, très vite."
Plateforme autonomiste
Pour l'heure, c'est surtout le travail commun avec le Tapura que l'élu met en avant. Un travail qui selon lui fonctionne plutôt bien au sein de l'Assemblée. Quant à l'idée d'une plateforme et de faire un parti unique, soutenue principalement par Gaston Flosse, elle ne correspond pas aux souhaits des différents partis. "Pour nous, le plus important, c'est d'arriver à proposer quelque chose au sein de l'Assemblée et à montrer qu'on est capable non seulement de travailler ensemble, mais aussi de proposer des solutions aux problèmes que rencontrent les Polynésiens. C'est ça notre travail".
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