Dissensions en cascade : que se passe-t-il au Tavini ?

Image d'illustration.
C’est un nouveau camouflet pour le gouvernement Brotherson. La majorité a voté contre deux articles du projet de loi fiscale. « C’est inédit, » résume une élue de l’opposition. Reste que ces désaccords entre l’exécutif et le législatif font, au mieux, perdre un temps précieux. Au pire, bloquent les textes.

La fissure au sein du Tavini ne date pas d’hier et du projet de loi fiscale…Le 10 mars dernier, lorsque Moetai Brotherson annonce sa candidature à la radio, à quelques semaines des territoriales, il coupe l’herbe sous le pied d’Antony Géros.

Le président Brotherson fait le pari de la jeunesse. En politique, c’est aussi prendre le risque du manque d’expérience et le clan Géros l’a bien compris.

Le courant Brotherson face au contre-courant Géros

Car depuis, il y a eu la nomination, puis la démission de Yan Jambet à la tête de l’OPH, la méthode employée à l’ONU vis-à-vis de l’Etat ou encore le projet de résolution sur la limitation des mandats. Mais aussi le cannabis thérapeutique, la cause LGBT+ ou encore la citoyenneté, des thèmes de campagne portés par Moetai Brotherson et recadrés par Antony Géros. Les fausses notes s’enchaînent dans la chorale indépendantiste.

Et politiquement, ça fait désordre. "C'est juste l'expression de la démocratie," balaye pourtant ce matin le représentant Tavini Tevaipaea Hoiore. Il n’en reste pas moins que ces dissensions devraient rester dans l'informel, lors de comité de majorité ou de réunions du parti.

« C’est inédit. Il faut remanier le gouvernement, » s'engouffre une élue de l’opposition. De mémoire de représentant, aucune majorité n’avait encore voté contre un projet de loi du gouvernement. Même au temps du Tapura Huiraatira, empêtré dans la tempête de l’obligation vaccinale, les dissensions internes ne s’affichaient pas autant à l’Assemblée.

« Si jusqu'ici les locataires de Taraho'i se considéraient comme dans une chambre d'enregistrement, les choses vont changer, prévient Antony Géros, ce matin. On ne fonctionne pas comme ça, au Tavini. Si on est d'accord, on lève le doigt. Si on n'est pas d'accord, on ne va pas lever le doigt."

L’épisode Tevaiti Pomare

Hier, le ministre de l’économie et des finances, Tevaiti Pomare, a été « sapé » en commission pour certains, simplement « recadré » pour d’autres. Deux articles concernant la taxe sur les propriétés bâties et les véhicules hybrides ont été retoqués par la majorité elle-même. Reste que l’explication de texte a été tendue, avec pas moins de 11 heures de commission. « Le ministre avait une attitude fermée, voire irrespectueuse. C’est peut-être le manque d’expérience, l’orgueil… » confie une élue de l’opposition. "Tevaiti n'a pas trop le choix. Il va devoir plier, là," résume-t-on au Tavini.

"Ce qu'on voit, c'est que Tony tient sa majorité. Il dit : 'on va à droite', tout le monde va à droite," nous confie-t-on dans les couloirs de l’Assemblée. Et le chef d’orchestre de Taraho’i de confirmer : 

"La décision, c'est nous. Je pense que le ministre est assez mature pour comprendre ce genre de choses".

Antony Géros, président de l'Assemblée de Polynésie

Au milieu de ce brouhaha politique, le président du Pays, en apparence impassible, est en voyage officiel en Europe. A peine les rumeurs de « motion » ou de « démission » lui parviennent-elles jusqu’aux oreilles...Pourtant, aucune raison impérieuse ne nécessite de partir au moment du budget fixant les politiques publiques de l'année suivante et de laisser un ministre seul face à tous. "Une énorme erreur," commente-t-on dans la sphère politique. "On aurait souhaité l'avoir avec nous, même par visio-conférence, mais vu la durée de la commission hier, je ne sais pas s'il aurait tenu toute la nuit," veut tempérer Antony Géros. « Si Moetai avait été là, Tony n’aurait pas parlé comme ça, en commission, » lâche une élue Tavini.

Mais le président de l’Assemblée veut arrondir les angles : "J'ai cru comprendre qu'il y aurait, de part et d'autre, des comités de réflexion sur des sujets importants, comme la transition énergétique, la cherté de la vie, la réforme fiscale...pour qu'on puisse se retrouver pour arbitrer dans un délai très court."

Insincérité, motion, dissolution : et la suite ?

"Ca n'ira pas jusqu'à un blocage," assure Tevaipaea Hoiore.

Reste que si le budget du Pays est insincère, le Haut-commissaire peut reprendre le budget, ce qui démontrerait que le gouvernement n'est pas à la hauteur. Une issue inenvisageable pour Antony Géros : " on ne peut pas parler de sincérité sur des documents prévisionnels."

Le président de l’Assemblée et le ministre de l’économie et des finances se sont de nouveau entretenus ce mercredi matin. Ce dernier a jusqu’à vendredi pour revoir sa copie fiscale qui « manque de bon sens, va même à l’encontre du programme, » selon une représentante.

La motion de défiance est inenvisageable également. Pour pouvoir l’adopter, il faudrait non seulement les deux tiers des élus, mais surtout un consensus sur le nom d’un remplaçant. Autant dire que l’équation est impossible.

Peut-on aller vers un blocage des institutions ? En cas de blocage, le Président de la République peut prononcer la dissolution de l'Assemblée de Polynésie. En l'occurrence, il n'y a pas ici de blocage total, c'est la démocratie qui s'exprime avec le rejet de quelques articles. Juridiquement, le fondement n'est pas suffisant.

Enfin, le Tavini ne doit pas occulter qu’avec une autre tête de liste, le parti n’aurait pas remporté les élections territoriales. Les Polynésiens ont voté pour Moetai Brotherson et le changement, plus que pour le parti bleu. Et c’est cette équation qui a permis au parti indépendantiste de dépasser son électorat historique de 20 000 voix.