Un séminaire en ligne pour sensibiliser la Chambre d'agriculture, de commerce, d'industrie, de métiers et de l'artisanat (Cacima) à la détresse des dirigeants en difficultés financières a été mis en place fin mai. Objectif : mettre en avant les souffrances, souvent méconnues, qui les touchent en temps de crise. "Autant, on sait s'occuper des entreprises en difficultés avec des outils juridiques, autant on est totalement démunis quand on est confronté à la souffrance psychologique des chefs d'entreprise", approuve Marc Binié.
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Lorsqu'il cofonde l'association Apesa, en 2013, ce greffier du tribunal de commerce de Saintes part du constat que les entrepreneurs ne sont pas accompagnés face à des difficultés professionnelles ou à la dissolution de leur entreprise. "Alors qu'ils ont parfois des idées noires", selon lui.
"Personne n'a jamais serré la main d'une personne morale, donc dans toute entreprise, il y a un homme ou une femme qui peut traverser des moments compliqués." - Marc Binié, co-fondateur d'Apesa France
Un accompagnement dans l'Hexagone
Il met alors en place, avec son association, un dispositif d'accompagnement aujourd'hui en vigueur dans toute la métropole : des "sentinelles" sont formées dans les tribunaux et les chambres de commerce à détecter "la souffrance morale des entrepreneurs". Ces derniers sont ensuite redirigés vers un psychologue, lui aussi formé à ces questions, que le dirigeant peut voir jusqu'à six fois.
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Aujourd'hui, le dispositif est, pour Marc Binié, d'autant plus important que l'on risque d'entrer dans une période de crise économique, liée à la pandémie de Covid-19. À Saint-Pierre et Miquelon, de nombreux commerces ont été affectés par le confinement, notamment dans les domaines du tourisme et de l'hôtellerie. Or, "toutes les crises économiques ont mené à une hausse du taux de suicides", affirme-t-il. La crise de 2008 aurait par exemple provoqué une augmentation de 6,5 % des suicides entre 2007 et 2010 en Europe, selon une étude de l'université d'Oxford et de la London School of Hygiene & Tropical Medicine, publiée en 2014 dans le British Journal of Psychiatry. Cela représente un surcroît de 7 950 morts.
"Une crise économique est un bouleversement total, qui n'a pas le même impact pour tout le monde [...] Mais dans de nombreux cas, la dégradation de la santé d'une entreprise aboutit à la dégradation de la santé physique et mentale de l'entrepreneur." - Marc Binié, co-fondateur d'Apesa France
Dans cette optique, le ministère du Travail s'est associé à l'association Apesa pour mettre en place un numéro vert. Cette ligne téléphonique est accessible depuis l'archipel, en tenant compte du décalage horaire avec la métropole. Mais selon Marc Binié, il faudrait aussi développer à Saint-Pierre et Miquelon un dispositif similaire à celui qu'il a mis en oeuvre en métropole.
Besoin de relais à Saint-Pierre et Miquelon
Le webinaire récemment mis en place est un premier pas dans cette direction. Mais l'archipel ne compte toujours pas de "sentinelles" formées à l'accompagnement des chefs d'entreprise en souffrance ni de psychologue membre du réseau.
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Pourtant, les conditions sont presque réunies, d'après Marc Binié. "On pourrait assez facilement mettre en place à Saint-Pierre et Miquelon un dispositif identique à celui développé en métropole : un psychologue vient régulièrement dans l'archipel. Et le sénateur Stéphane Artano a déjà travaillé sur la santé des entrepreneurs" assure-t-il. "Apesa France pourrait apporter tous les outils technologiques pour sécuriser le processus : déclencher l'alerte, vérifier que l'alerte est bien reçue et ainsi de suite."
"Quand les entreprises ont des difficultés, cela a des conséquences sur l'entrepreneur." - Marc Binié, co-fondateur d'Apesa France
Le co-fondateur d'Apesa préconise la mise en place de personnes relais, formées à gérer les situations délicates. Il espère également sensibiliser à la perte d'estime de soi et aux problèmes liés à la dignité de la personne qui touchent les chefs d'entreprise. Lors de l'émission À la une du 28 mai 2020, consacrée au tourisme, la question avait aussi été soulevée par les hôteliers et restaurateurs de l'archipel, stressés par les difficultés professionnelles auxquelles ils font face.