Comme à l’accoutumée, ce n’est pas un clivage droite-gauche qui existe au Fenua, mais celui de l’indépendance contre l’autonomie. Ces élections revêtent un aspect particulier en Polynésie, car elles interviennent après un an de gouvernance de Moetai Brotherson. Une année émaillée par des dissensions internes au sein du Tavini, une motion de confiance des élus du parti de l’Assemblée de la Polynésie française et une redistribution de portefeuilles ministérielles après l’éjection d’Eliane Tevahitua du gouvernement.
Un bilan d’un an de gouvernance qui pourrait profiter aux autonomistes
Le bilan de cette année de gouvernance a fait l’objet de critiques de toute part et particulièrement du camp autonomiste. Le Tapura huiraatira, dans un article de Tahiti Infos datant du 21 mai 2024 fustigeait un an de "mensonges et de la poudre aux yeux", "une méconnaissance des dossiers importants et stratégiques", triplé "d'un amateurisme dans la façon de piloter le Pays". Le sénateur de la Polynésie française, Teva Rohfritsch, partageait aussi sa déception le 24 mai 2024. Il dénonçait un manque "de cohérence entre les objectifs annoncés et les moyens mobilisés" et une "forme de trahison des électeurs". Un bilan "quasi inexistant" regrettait de son côté Nuihau Laurey sur le plateau de TNTV le 24 mai dernier. Les adjectifs ne manquent pas aux élus pour qualifier le gouvernement indépendantiste.
Alors pour ce scrutin, c’est tous ensemble qu’ils décident de contrer le Tavini Huiraatira. Édouard Fritch, Gaston Flosse, Teva Rohfritsch et Nicole Sanquer ont enterré la hache de guerre pour que les trois députés sortants ne soient pas réélus. Principal argument de campagne : non à l’indépendance. Car pas plus tard que le 3 juin 2024, le président du Tavini Huiraatira s’était invité à la conférence de presse de présentation du nouveau gouvernement de Moetai Brotherson. Oscar Temaru avait affirmé que la Polynésie française pouvait obtenir sa souveraineté "sans passer par un référendum". Pour le maire de Faa’a, "plus tôt on l'aura, mieux ça sera : moi, je pense qu'il faut y aller, il n'y a pas de crainte à avoir à partir du moment où nous avons le soutien de la communauté internationale. On est là pour être un État souverain et pour être amis avec la France". Une déclaration qui a fait bondir les autonomistes et une partie de la population. Ces propos ont d’autant plus choqué qu’ils ont été tenus alors que des émeutes secouaient la Nouvelle-Calédonie et que des élus et représentants indépendantistes revenaient d’un voyage en Azerbaïdjan.
Ce retour aux urnes est aujourd’hui une aubaine pour les autonomistes qui font campagne sur le non à l’indépendance. Reste à savoir si la stratégie de l’alliance va payer et suffire pour faire basculer la tendance. Aux élections territoriales, l’alliance Flosse-Fritch durant l’entre-deux tour n’a pas convaincu. Le Tapura Huiraatira avait recueilli 38, 53 % des voix. A here ia Porinetia, qui s’était présenté seul, a obtenu 17, 16 % des suffrages.
Les indépendantistes au pouvoir grâce à un rejet des autonomistes
La victoire du Tavini Huiraatira aux élections territoriales de 2023 ne fut pas une très grande surprise. La défaite cuisante du parti autonomiste aux élections législatives un an plus tôt annonçait déjà les résultats de ce rendez-vous électoral crucial. La remontada des indépendantistes débute en 2022 pour se confirmer en 2023.
Après avoir raflé les trois sièges au palais Bourbon, ils obtiennent la majorité des sièges à l’Assemblée de la Polynésie française. C’est la première fois que le parti remporte seul une élection territoriale grâce à un rejet des autonomistes, et notamment du parti d'Edouard Fritch, au pouvoir depuis 2014.
Rappelons que lors de la campagne des territoriales, Oscar Temaru était resté en retrait, et Moetai Brotherson avait joué la carte de la modération. Acteur historique de l'indépendantisme, le Tavini Huiraatira a, le temps de la campagne, mis de côté la question de l'organisation d'un référendum d'autodétermination en Polynésie. Moetai Brotherson, alors député de Polynésie et candidat à la présidence du pays en cas de victoire, avait martelé pendant l’entre-deux tour que l'indépendance n'était pas l'objectif du prochain mandat. Un moyen de désamorcer l'argument principal des autonomistes, qui jouaient sur la peur et l'incertitude d'une possible indépendance. Le parti bleu ciel avait donc davantage axé sa campagne sur les problèmes socio-économiques du territoire.
Mais un an après l'arrivée des indépendantistes aux affaires du pays, force est de constater que le pays semble tourner au ralenti. La seule promesse qui a été tenue est celle de la suppression de la contribution pour la solidarité, dites la TVA sociale. Elle rapportait huit milliards de Fcfp par an à la caisse de prévoyance sociale. Le gouvernement a dû puiser dans les caisses du pays pour combler le manque depuis sa suppression le 1er octobre 2023. Alors que les caisses du pays sont pleines, près de 40 milliards de Fcfp, l’exécutif a décidé d’annuler tous les engagements pris par le gouvernement précédant comme le Village tahitien, le lycée agricole de Moorea ou encore le port de Faratea.
Cette élection sera donc un test pour le parti indépendantiste, mais surtout pour le président Moetai Brotherson. En 2022, le Tavini avait recueilli 50, 88 % des suffrages exprimés dans la première circonscription, 58, 89 % des voix dans la seconde circonscription et 61, 32 % des suffrages dans la troisième circonscription. Aux élections territoriales, 44, 32 % des électeurs polynésiens leur avait accordé leur confiance.